Nos regards
Souvenirs parfumés sous une lumière bleue

> 27 mai 2018

Souvenirs parfumés sous une lumière bleue

C’est à la lumière d’un « Fanal bleu » que Colette se livre à une introspection parfumée. N’attendons pas une réponse à la question « Faut-il avoir peur de la lumière bleue ? » Colette ne prendra pas position... Elle ignore alors les méfaits attribués à celle-ci (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-cosmetiques-au-secours-de-notre-peau-quand-la-lumiere-bleue-lui-voudrait-du-mal-258/) (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pour-ou-contre-la-lumiere-bleue-486/).

« Que nos précieux sens s’émoussent par l’effet de l’âge... » C’est par cette phrase que Colette introduit l’ensemble des souvenirs qu’elle va égrener pour nous.

Les parfums y occupent une place de choix. Colette évoque le « lilas varin », dont la fragrance étonnait Sido. « [...] je n’arrive jamais à décider s’il sent un peu bon ou beaucoup mauvais. »

Elle nous emmène dans l’usine Robertet, à Grasse, où l’accueille, durant l’été 1948, son ami Maurice Maubert, un homme passionné par son métier et amoureux des choses de la vie (https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/portraits-de-grandes-familles-maubert-un-parfum-de-reussite_1925485.html). C’est en fauteuil roulant que Colette fait le tour du propriétaire. L’air est saturé de molécules odorantes ; l’authenticité est de mise. Point de parfum de synthèse s’il vous plaît ! « Ici on extrait le jasmin du jasmin, et des bulbes d’iris vient l’iris. » Ce sont les saisons qui commandent... « Si vous restiez à Grasse, me dit Maurice Maubert, je vous montrerais les grands matelas multicolores d’oeillets frais cueillis, qui sentent l’essence de girofle... » Maurice Maubert se fait ensuite pédagogue pour montrer à son élève que le parfum se dompte et qu’il n’est pas si simple de le circonscrire dans un flacon. Tel un dresseur de fauves, le patron de la société de matières premières parfumantes apprivoise le « concret de jasmin » (Colette se trompe sur le genre du mot - on dit, en effet, une concrète). Colette, gourmande comme à son habitude, voit dans ce produit solide obtenu par traitement des matières premières végétales par des solvants volatils (https://www.parfumeurs-createurs.org/gene/main.php?base=409) un « chocolat onctueux et brun ». Dès qu’elle l’a effleurée, sa journée s’écrit désormais en six lettres. L’oeuf à la coque, le loup à la crème, le gratin d’aubergines, l’entremet au caramel... tout ce qu’elle porte à sa bouche est imprégné de jasmin... Et le café brûlant qui achève le repas n’est même pas exempt de quelques parcelles du parfum si suave. Oui vraiment, « le concret de jasmin est incoercible » et n’obéit pas au premier venu !

Telle une colonne de chromatographe, Colette sépare les différentes fragrances qui composent les parfums. Le parfum de l’hysope est ainsi analysé, en deux temps trois mouvements. « Partie du camphre pur, sa senteur traverse deux ou trois parfums chastes légèrement capsicants comme la lavande et le romarin, avant d’aboutir à... eh, mon Dieu, à l’hysope. »

Elle nous fait entrer dans l’intimité de l’actrice Marguerite Moreno. Celle-ci distille sa propre fragrance et n’a besoin d’aucun parfumeur, serait-il le plus doué du monde, pour titiller les récepteurs olfactifs de ses amis et amoureux. Sa « fragrance personnelle » est son empreinte olfactive, une empreinte que Colette reconnaît entre mille. « Rien d’axillaire, rien qui vînt de la sueur humaine - « Je suis plus sèche qu’un cotret », disait-elle -, rien qui s’aidât d’une essence ou d’une lotion. » Marguerite Moreno est le tourment de l’industrie cosmétique ; son épiderme embaume le tabac, l’ambre... et ce tout naturellement !

Lorsque l’on est sur la Côte d’Azur en plein été, il n’est pas étonnant de se confronter à quelques nudités. Les huiles solaires ont fait leur apparition sur le marché ; elles promettent un bronzage réussi (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/sous-le-soleil-exactement-naissance-des-produits-de-protection-solaire-pps-210/) ; à défaut d’être efficaces, elles transportent un parfum de vacances et laissent sur les vêtements des souvenirs indélébiles. Les shorts, par exemple, en font les frais. « [...] l’ourlet en haut de la cuisse est un peu graisseux, un peu crasseux à cause de l’huile. » Sur la plage, les corps sont juxtaposés et semblent dialoguer fraternellement. « [...] le dos nu dit au dos contigu, avec l’accent du défi : « Moi, je suis le plus noir. » Le spectacle ravit tellement Colette qu’elle en redevient enfant. « Encore un tour dit-elle ! » Mais tout à coup, le charme est rompu. Ce qui était un jeu, il y a un instant, devient tout à coup pesant pour cette femme immobilisée dans son fauteuil roulant... Devant cette foule qui s’expose comme à la devanture d’un boucher, Colette s’interroge : « Au fond, je ne sais pas très bien, ici, si toute la chair diverse et exhibée me rend végétarienne, ou si je suis terriblement jalouse de ceux qui jouissent de l’eau salée, de l’agilité, de la nudité. »

Le soleil se voile, le fond de l’air est plus frais, je crois qu’il faut rentrer Madame Colette !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui, avec sa gourmandise d'artiste, nous donne à voir, aujourd'hui, Colette en dompteuse de fragrances !

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