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L’acide borique, le loup dans la bergerie !

> 29 juin 2019

L’acide borique, le loup dans la bergerie !

Après avoir été largement utilisé dans les cosmétiques – le talc boraté, né à la fin du XIXe siècle est recommandé aussi bien pour les fesses des bébés que pour les joues des papas1 – l’acide borique, considéré pendant longtemps comme un « agneau », s’est révélé être, en réalité, un « loup déguisé en agneau ».2 Désormais, le loup est interdit de séjour dans les cosmétiques. Cela valait bien un Regard.

L’acide borique un ingrédient naturel

L’acide borique (H3BO3) et son sel de sodium, le borate de sodium appelé borax dans le jargon pharmaceutique (Na2B4O7), sont des molécules que l’on peut retrouver dans la nature. On identifie, par exemple, du borax dans des lacs tibétains et de l’acide borique au pied des geysers qui créent un paysage insolite au niveau des collines de Toscane.3

L’acide borique, un principe actif médicamenteux

Durant la Première Guerre mondiale, l’acide borique fait partie de l’arsenal médicamenteux mis en œuvre pour traiter les blessures.4 Par la suite, il sera utilisé dans différentes indications, en particulier en gynécologie et en ORL. En cas de vulvovaginite candidosique, l’acide borique semble faire ses preuves.5,6 En otologie, en revanche, il est moins efficace que le clotrimazole7 ou que la ciprofloxacine.8 En ophtalmologie, les solutions à base d’acide borique constituent bien souvent la préparation utilisée en première intention et ce quel que soit le problème rencontré. Une étude de 2009 place l’acide borique (53,3 %) en tête des produits d’automédication-maison devant la solution saline (35,7 %), l’eau du robinet (8,5 %), les préparations à base de plantes type romarin (6,1 %) ou d’autres solutions plus farfelues les unes que les autres telles que le lait maternel, le shampooing ou même l’urine.9 Dans les années 1980, l’acide borique entre dans la composition de nombreux produits (médicaments ou cosmétiques). On en trouve dans des préparations antiseptiques (vaseline salicylée), des préparations adhésives pour dentiers (Perma-Grip Powder), des poudres pour les pieds (poudre du Dr Scholl), dans des bains de bouche (Listérine), des collyres (Murine), des lubrifiants intimes (Massengill Lubricating Jelly)...10 A l’heure actuelle, l’acide borique est retrouvé dans des solutions à usage ophtalmique (Dacryosérum, par exemple) et dans une pommade homéopathique (Homéoplasmine).11

L’acide borique, l’ingrédient qui devrait « être éliminé de la Pharmacopée »

Des cas d’empoisonnements volontaires sont signalés ; ils concernent, entre autres, une femme ayant absorbé une demi boîte (sans plus de précision !) d’acide borique pour « faire peur à ses enfants ». Souffrant de troubles psychiatriques, cette femme, qui avait remplacé l’évocation du Père fouettard par un drôle de procédé, s’était retrouvée dans un service hospitalier afin de prendre en charge les signes cliniques apparus. On citera un érythème généralisé sur l’ensemble du corps dont l’aspect est qualifié familièrement de « homard bouilli », suivi d’une phase de desquamation, accompagnée de nausées et de vomissements.10 On peut également rapporter le cas d’une autre femme ayant tenté de suicider en consommant un produit anti-cafards12 et le cas d’un bébé de 3 mois ayant, nous dit-on, ingéré « accidentellement » de l’acide borique.13 Il est important de préciser qu’il n’existe pas d’antidote et que la prise en charge des patients est uniquement symptomatique. On préconise une hémodialyse ou l’administration de diurétiques car une oligurie est fréquente ; une prise en charge de l’acidose métabolique doit être pratiquée.14 Selon les sources, l’acide borique est présenté comme un poison violent ou bien comme un ingrédient pouvant être supporté même à forte dose.15 Wong et Heimbach ne badinent pas avec l’acide borique ; ils considèrent que ce principe actif « dont la valeur thérapeutique est du reste douteuse, devrait être entièrement éliminé des hôpitaux, des dispensaires et même de la Pharmacopée. » Il faut dire pour justifier cette virulence de ton que ces médecins rapportent le cas de 11 nouveau-nés ayant reçus « de manière accidentel ou par inadvertance » une solution d’acide borique à 2,5 % mêlée à leur alimentation ce qui s’était soldé par des décès dans 5 cas.16 La presse médicale bruisse déjà depuis quelque temps en faveur de l’abandon de ce principe actif préoccupant. La glycérine boratée destinée à calmer les douleurs dentaires des nourrissons et les gouttes auriculaires employées pour nettoyer leurs oreilles sont ainsi mises à l’index.17

L’acide borique et le talc boraté, une histoire à rebondissements

Si le talc boraté semble sourire aux égéries qui figurent sur les emballages de talc à destination des nourrissons, il n’en est pas toujours de même dans la vie courante. Des cas d’intoxication à l’acide borique sont déclarés dans les années 1950 et 1960. Les signes cliniques sont d’ordre rénaux et neurologiques.18 A partir de 1948, on trouve, rapportés dans la littérature, des cas de décès de nouveau-nés, consécutifs à l’utilisation d’acide borique dans la zone du change.19 Quelques médecins américains tirent ainsi la sonnette d’alarme en 1955 en partant en guerre contre le talc boraté utilisé depuis une cinquantaine d’années. Considérant que cet ingrédient n’est pas utilisé comme un antiseptique, mais comme adaptateur de pH (le pH d’une solution réalisée avec une partie de talc additionnée de 9 parties d’eau a un pH de 9,3) permettant de réaliser un talc de pH adapté à la peau du nourrisson, ils s’étonnent que l’on n’ait pas trouvé d’ingrédient moins sulfureux pour cette application.20 Le son émis par cette sonnette d’alarme devait être faible dans la mesure où plus de vingt ans plus tard certaines équipes hospitalières continuaient toujours à tartiner les fesses des nourrissons à l’aide de pommade renfermant du borax (0,15 %) et de l’acide borique (2,85 %).21

L’acide borique, un ingrédient à faire tomber les cheveux

On trouve, mentionné dans la littérature scientifique, le cas d’une femme qui, dans les années 1970, avait développé une alopécie consécutive à l’ingestion de bain de bouche renfermant de l’acide borique. La correction de cette mauvaise habitude avait mené à un retour à la normale.22 D’autres cas sont également répertoriés et correspondent soit aux effets indésirables liés à des traitements à base d’acide borique, soit à des maladies professionnelles chez des sujets en contact journalier avec l’acide borique.10

L’acide borique, un ingrédient à s’arracher les cheveux (qui restent)

Le profil toxicologique de l’acide borique s’est affiné au fil des ans au point d’en faire un principe actif médicamenteux à manipuler avec précaution23 et un ingrédient cosmétique très indésirable. Du point de vue réglementaire, l’acide borique était facile à trouver dans la mesure où il figurait en première place de l’Annexe III du Règlement (CE) N+ 1223/2009. Selon le cas, les doses limites d’emploi étaient variables (5 % pour un talc, 0,1 % pour un produit d’usage bucco-dentaire, 18 % pour les produits pour le bain, 8 % pour les produits pour les cheveux et la pilosité faciale et 3 % pour les autres produits) avec une contre-indication systématique concernant l’usage chez les enfants de moins de 3 ans. Si l’on parle de cet ingrédient au passé c’est pour la bonne raison que cet ingrédient vient d’être interdit en cosmétologie et vient de rejoindre l’Annexe II (Règlement 2019/831 de la Commission du 22 mai 2019). Cette interdiction que l’on attendait depuis longtemps ne bouleverse pas l’industrie cosmétique qui s’en est débarrassé depuis longtemps comme en témoigne la recherche effectuée sur notre blog. Seuls l’Eau précieuse®24 et les cosmétiques Granado25 persistaient, il y a peu encore, à employer cet ingrédient.

Désormais, « le loup déguisé en agneau » est sorti de la bergerie et c’est vraiment une bonne nouvelle pour tous les petits chaperons rouges qui utilisent des cosmétiques !

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mennen-du-talc-borate-au-deodorant-stick-large-345/

2 Schillinger BM, Berstein M, Goldberg LA, Shalita AR, Boric acid poisoning, J Am Acad Dermatol., 1982, 7, 5, Pages 667-673

3 Woods WG, An introduction to boron: history, sources, uses, and chemistry, Environ Health Perspect., 1994, 102, Suppl 7, Pages 5-11

4 Sabbatani S, Fiorino S, The treatment of wounds during World War I, Infez Med., 2017, 1, 25, 2, Pages 184-192

5 Rein MF, Current therapy of vulvovaginitis., Sex Transm Dis., 1981, 8, 4 suppl, Pages 316-320

6 Zeron Mullins M, Trouton KM, BASIC study: is intravaginal boric acid non-inferior to metronidazole in symptomatic bacterial vaginosis? Study protocol for a randomized controlled trial, Trials., 2015, 26, 16, Page 315

7 Romsaithong S, Tomanakan K, Tangsawad W, Thanaviratananich S, Effectiveness of 3 per cent boric acid in 70 per cent alcohol versus 1 per cent clotrimazole solution in otomycosis patients: a randomised, controlled trial, J Laryngol Otol., 2016, 130, 9, Pages 811-815

8 Macfadyen C, Gamble C, Garner P, Macharia I, Mackenzie I, Mugwe P, Oburra H, Otwombe K, Taylor S, Williamson P, Topical quinolone vs. antiseptic for treating chronic suppurative otitis media: a randomized controlled trial, Trop Med Int Health., 2005, 10, 2, Pages 190-197

9 Carvalho RS, Kara-José N, Temporini ER, Kara-Junior N, Noma-Campos R., Self-medication: initial treatments used by patients seen in an ophthalmologic emergency room, Clinics (Sao Paulo)., 2009, 64, 8, Pages 735-741

10 Schillinger BM, Berstein M, Goldberg LA, Shalita AR, Boric acid poisoning, J Am Acad Dermatol., 1982, 7, 5, Pages 667-673

11 https://www.vidal.fr/recherche/index/q:acide+borique/

12 Webb DV, Stowman AM, Patterson JW, Boric acid ingestion clinically mimicking toxic epidermal necrolysis, J Cutan Pathol., 2013, 40, 11, Pages 962-965

13 Pedicelli S, Picca S, Di Nardo M, Perrotta D, Cecchetti C, Marano M, Treatment of boric acid overdose in two infants with Continuous Venovenous Hemodialysis, Clin Toxicol (Phila)., 2015, 53, 9, Pages 920-922

14 Teshima D, Taniyama T, Oishi R, Usefulness of forced diuresis for acute boric acid poisoning in an adult, J Clin Pharm Ther., 2001, 26, 5, Pages 387-390

15 Litovitz TL, Klein-Schwartz W, Oderda GM, Schmitz BF, Clinical manifestations of toxicity in a series of 784 boric acid ingestions, Am J Emerg Med., 1988, 6, 3, 209-213

16 Wong L.C., Heimbach M.D., TruscottD.R., Duncan B.D., Boric acid poisoning report of 11 cases, Can Med Assoc J., 1964, 25, 90, Pages 1018-1023

17 Boric acid and babies, Br Med J., 1966, 23, 2, 5507, Pages 188-189

18 Skipworth GB, Goldstein N, McBride WP, Arch Dermatol., Boric acid intoxication from "medicated talcum powder", 1967, 95, 1, Pages 83-86

19 Macgillivray P.C., Fraser M.S., Boric acid poisoning in infancy arising from the treatment of napkin rash, Arch Dis Child., 1953, 28, 142, Pages 484-489

20 Johnstone DE, Basila N., Glaser J., A study on boric acid absorption in infants from the use of baby powders, J Pediatr., 1955, 46, 2, Pages 160-167

21 Friis-Hansen B, Aggerbeck B, Jansen JA, Unaffected blood boron levels in newborn infants treated with a boric acid ointment, Food Chem Toxicol., 1982, 20, 4, Pages 451-454

22 Stein KM, Odom RB, Justice GR, Martin GC, Toxic alopecia from ingestion of boric acid, Arch Dermatol., 1973, 108, 1, Pages 95-97

23 https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=ANSM+acide+borique

24 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-l-eau-precieuse-rencontre-lucette-159/

25 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/granado-des-formules-restees-dans-leur-jus-depuis-plus-d-un-siecle-615/

 

 

 

 

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