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Immersion dans la salle de bain d’une femme du monde sous le Second Empire !

> 04 décembre 2021

Immersion dans la salle de bain d’une femme du monde sous le Second Empire !

Une robe « couleur buisson » représentant une chasse à cour, un costume de bain « prodigieux »... voilà le genre d’excentricités vestimentaires que se permet la belle Renée Saccard, la femme d’Aristide, fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech.1 En ce milieu de XIXe siècle, Paris est en train d’être entièrement remodelé... En achetant des immeubles placés sur le trajet des futures grandes artères, il est possible de faire rapidement fortune. Encore faut-il en avoir les moyens. Et pour cela se débarrasser d’une épouse encombrante (et hop une petite pincée de poison dans la soupe !) et épouser, en secondes noces, une jeune fille joliment dotée. Si cette jeune fille est, de surcroit, une véritable beauté, le jackpot est assuré !2

Aristide Rougon-Saccard, un homme qui découvre les cosmétiques à 40 ans

Aristide Rougon est venu faire fortune à Paris, au lendemain du coup d’état du 2 décembre 1851. Comptant sur le soutien de son frère Eugène, proche de Napoléon III, Aristide va très vite déchanter. Eugène se méfie d’Aristide et préfère même que son frère change de nom, afin de ne pas être gêné par celui dont il a, quelque peu, honte (c’est ainsi que le nom de Saccard est adopté). En lieu et place du poste prestigieux attendu, Aristide est casé, tout de même, à l’hôtel de ville, avec de faibles appointements. Déçu, mais philosophe, Aristide en profite pour glaner des informations sur le nouveau Paris qui sortira bientôt de terre (un petit délit d’initiés, tant qu’à faire !). Repérer les lieux de percement des nouvelles avenues risque bien de faire d’Aristide le grand gagnant de l’époque à venir. Connaître à fond le « projet de la transformation de Paris », tel est son but. Tout démolir, faire bouillir les quartiers resserrés dans un « alambic », jouer au petit chimiste pour tout faire exploser et générer de belles et larges avenues... voilà son rêve !

La première femme d’Aristide, Angèle, « une personne blonde et fade », qui lui a donné deux enfants, Clotilde et Maxime, est bien encombrante pour un homme ambitieux. Afin de faire disparaître cet obstacle, Aristide va avoir recours aux services de sa sœur Sidonie. Un peu de poison, savamment dosé, et Angèle disparaît du décor. Une jeune fille riche de sa connaissance en situation difficile - elle a été violée - est en quête d’un mari... L’aubaine !

Avec Renée, sa seconde épouse, Aristide entre dans un monde feutré et luxueux. Grâce à d’habiles spéculations, la dote de la jeune femme va, petit à petit, enfler considérablement. « Saccard entrait enfin dans la bande, il se nettoyait les ongles et ne se lavait plus qu’avec des poudres et des parfums inestimables ». Ce petit homme, « laid, âgé de 40 ans », découvre le monde des cosmétiques avec extase.

Sidonie Rougon, une femme de 35 ans qui vend des cosmétiques

Sidonie Rougon, la sœur d’Eugène et d’Aristide, a été abandonnée par son mari, un dénommé Touche. Afin de survivre, elle s’adonne à un curieux métier... Sidonie vend de tout, de « l’huile nouvelle pour faire pousser les cheveux, des appareils orthopédiques », des pommades en tous genres, des cafetières automatiques... cette femme de 35 ans, aux allures de vieillard, prête également de l’argent et dispose d’une boutique munie de deux issues. Il s’agirait, dit-on, d’un lieu de rendez-vous galants. « Petite, maigre, blafarde », Sidonie traîne derrière elle une « vague senteur de confessionnal et de cabinet de sage-femme ». Son activité est louche, sans aucun doute permis. Souhaitant devenir la confidente de Renée, Sidonie se veut conseillère-beauté. De jolis cadeaux : « un objet renfermé dans une sorte de boîte rose », « un nouveau savon », dont l’inventeur est un « charmant jeune homme » (« C’est un savon très doux, très bon pour la peau »), une « ceinture élastique », très pratique pour remplacer le corset et arborer une « taille de guêpe »... Rien n’y fait. Renée n’aime pas du tout Sidonie !

Renée, une femme qui use de cosmétiques depuis l’âge de 20 ans

Renée est une belle jeune femme âgée de 30 ans (« une grande fille, d’une beauté exquise et turbulente »), dont les cheveux sont tout de même un peu particuliers. « Ses étranges cheveux jaune pâle » empruntent au « beurre fin » sa teinte incomparable. Pour mettre en valeur ce curieux capillaire, Renée dispose d’un « adorable petit salon » où tentures et rideaux créent une harmonie « bouton d’or ». « Les tentures jaunes, au lieu d’éteindre sa chevelure pâle, la doraient de flammes étranges [...] ». Comme on peut facilement l’imaginer, Renée raffole de cette pièce qui met sa beauté en valeur. Fière de sa chevelure, elle la soigne avec une véritable « dévotion ». « Longtemps, la couleur l’en avait désolée, cette couleur particulière, d’un jaune tendre, qui rappelait celle du beurre fin. Mais quand la mode des cheveux jaunes arriva, elle fut charmée, et pour faire croire qu’elle ne suivait pas la mode bêtement, elle jura qu’elle se teignait tous les mois. »

Renée est la reine du moment ; les journaux parisiens ne parlent que d’elle. Elle règne en « souveraine » ! Renée, c’est avant tout la femme de Saccard, un veuf qui doit sa richesse à une spéculation forcenée. C’est également un outil de réussite. Reine des soirées mondaines, Renée, « décolletée jusqu’à la pointe des seins, les bras découverts avec des touffes de violettes sur les épaules », donne l’impression d’être nue... Parée de bijoux, elle témoigne de l’état de santé insolent des affaires de son époux. Laissant derrière elle une « odeur de plaisir tiède », Renée est une belle enseigne pour un homme en pleine ascension. Son appartement suinte le parfum... « [...] la jeune femme laissait là, sur toutes choses, l’empreinte, la tiédeur, le parfum de son corps. »

Renée, c’est une jeune femme lascive qui passe des heures à feuilleter son album de photographies. Traquant à la loupe sur le visage de ses amies, de ses rivales, les signes de l’âge, un poil follet, une ride naissante, « des trous mal bouchés par la poudre de riz », Renée cherche à se rassurer. Miroir, mon beau miroir qui est la plus belle ? Renée, bien sûr !

Renée, c’est une femme qui vaut le détour... une femme qui se prélasse dans un cabinet de toilette qui fait parler la bonne société. La « merveille de l’appartement » est une pièce ronde qui ressemble à une tente. Le « blanc rose » utilisé pour les tentures simule une « chair nue ». Les matériaux les plus prestigieux s’y sont donnés rendez-vous. Un « tapis d’une blancheur de neige », du marbre, des cristaux « en vieux bohême », une table de toilette « où se trouve rangé l’outillage, les engins de toilette, trousse bizarre, qui étalait un nombre considérable de petits instruments dont l’usage échappait, les gratte-dos, les polissoirs, les limes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, les ciseaux droits et recourbés, toutes les variétés des pinces et des épingles, de l’argent, de l’ivoire. » Et, bien évidemment, comme on peut s’en douter, une baignoire remarquable : « Chaque matin, Renée prenait un bain de quelques minutes. Ce bain emplissait toute la journée le cabinet d’une moiteur, d’une odeur de chair fraîche et mouillée. Parfois un flacon débouché, un savon resté hors de sa boîte mettaient une pointe plus violente dans cette langueur un peu fade. ». Toute une matinée consacrée aux soins de la toilette... il n'en faut pas moins pour être la plus jolie femme de Paris !

La rencontre entre Maxime (l’enfant envoyé à Plassans à la mort de sa mère est revenu vivre avec son père et sa belle-mère) (13 ans) et Renée (21 ans) a tout d’un coup de foudre. « Cette dame si blanche de peau » séduit le jeune garçon. Renée succombera un jour dans les bras du jeune homme, à la sortie du bain. Une peau d’ours noire placée dans la serre sera également le terrain des exploits amoureux de ce couple incestueux.

Maxime, un jeune homme qui abuse aussi des cosmétiques

Le fils de Saccard, Maxime, jeune homme blond aux yeux bleus (des « yeux de fille », « des miroirs de coquette »), flirte ouvertement avec sa toute jeune belle-mère, jusqu’au jour où il se fiance avec Louise de Mareuil, une jeune fille de 17 ans, « chétive, légèrement bossue » et de constitution plus que précaire. Prenant grand soin de ses mains, Maxime a un « air fille ». Adorant vivre dans les jupes des femmes (« dans la poudre de riz des femmes »), Maxime ne s’intéresse qu’aux choses légères, aux prospectus des parfumeurs... Il pourrait, dit-on, soutenir une « thèse sur le Tout-Paris mondain ». Toujours partant lorsqu’il s’agit d’aller chercher une « boîte de savon » ou un cosmétique quelconque pour sa jeune belle-mère, Maxime ne se plaît que dans une ambiance délicatement parfumée. Dans sa poche, on trouvera, systématiquement, un « bout de dentelle musquée ». Chez les couturiers, Maxime est une aide précieuse. Connaissant à merveille tous les tissus et les associations qui fonctionnent, Maxime n’est pas avare de conseils pour qui veut faire sensation. « Les toilettes ont certainement une odeur propre ; la soie, le satin, le velours, les dentelles avaient marié leurs arômes légers à ceux des chevelures et des épaules ambrées ; et l’air du salon gardait cette tiédeur odorante, cet encens de la chair et du luxe qui changeaient la pièce en une chapelle consacrée à quelque secrète divinité. »

A 17 ans, Maxime séduit la femme de chambre de Renée ; il en aura un enfant. Il sort beaucoup, traîne dans le lit des femmes et en rapporte « une senteur d’alcôve suspecte ». Une odeur « étrange », troublante, qui témoigne de son vagabondage.

Maxime est considéré par Zola comme « un produit défectueux, où les défauts des parents se complétaient et s’empiraient ». La « peau fine », épilée avec soin, le « cou potelé », Maxime n’a rien de très viril.

Louise, une jeune fille qui ignore tout des cosmétiques

Une « petite tête laide », l’aspect d’un « garçon déguisé en fille », voilà comment apparait Louise de Mareuil à qui la découvre pour la première fois. Lorsque l’on apprend que cette fille poitrinaire, « contrefaite et laide », possède une dote d’une valeur d’un million, on la trouve soudain « adorable » !

Chez les Saccard, des soirées époustouflantes

Chez les Saccard, dès lors que la réussite a frappé à la porte, les dîners fins se succèdent en un véritable tourbillon. « Des fumets légers traînaient mêlés aux parfums des roses. Et c’était la senteur âpre des écrevisses et l’odeur aigrelette des citrons qui dominaient ». Les hommes vêtus de noir et les femmes affichant une peau d’une blancheur laiteuse se retrouvent pour ces soirées qu’il ne faut surtout pas manquer. Le parfum des mets exquis qui défilent sur une table, savamment dressée, se fond aux parfums des femmes, faisant tourner ainsi plus d’une tête. « Des éventails battaient lentement, comme des ailes, jetant à chaque souffle, dans l’air alangui, les parfums musqués des corsages ».

Chez les Saccard, un poète en liberté

M. Hupel de la Noue est un poète... Une soirée tableaux vivants illustrant « Les Amours du beau Narcisse et de la nymphe Echo » est organisée. Bien évidemment, Maxime sera Narcisse et Renée, Echo ! M. Hupel, plein de complaisance, se fait habilleuse pour la cohorte des dames impliquées dans le spectacle prévu. « Son habit avait, sur la manche gauche, trois doigts marqués en blanc, une petite main de femme qui s’était posé là après s’être oubliée dans une boîte de poudre de riz. » « [...] et de plus, le gant de sa main droite était taché de rouge au bout du pouce ; sans doute il avait trempé ce doigt dans le pot de fard d’une de ces dames. » Le spectacle est un succès. Renée s’est « couverte de poudre de riz », afin de simuler la « chair de marbre de la nymphe Echo. » On la croirait morte ! Une fois la représentation achevée, changement de costume. Renée revêt une tenue minimaliste de Tahitienne, avec un « maillot couleur tendre ». Mais avant cela il s’agit de se débarrasser de la poudre de riz qui couvre tout son corps. Passage obligatoire dans le cabinet de toilette qui jouxte sa chambre. « Les petits outils d’ivoire et d’argent gisaient un peu partout ; il y avait des brosses, des limes tombées sur le tapis ; et les serviettes encore humides, les savons oubliés sur le marbre, les flacons laissés débouchés mettaient, dans la tente couleur de chair, une odeur forte et pénétrante. La jeune femme, pour enlever le blanc de ses bras et de ses épaules, s’était trempée dans la baignoire de marbre rose, après les tableaux vivants. Des plaques irisées s’arrondissaient sur la nappe d’eau refroidie. »

Chez les Saccard, une serre à la luxuriance époustouflante

La serre extraordinaire dans laquelle aime à vivre Renée concentre les odeurs entêtantes. « Un parfum indéfinissable, fort, excitant, trainait, fait de mille parfums : sueurs humaines, haleines de femmes, senteurs de chevelures ; et des souffles doux et fades jusqu’à l’évanouissement, étaient coupés par des souffles pestilentiels, rudes chargés de poison. » Sous la plume d’Emile Zola, les parfums prennent vie ; à chaque fragrance sa description anthropomorphe. La vanille domine souvent... « une odeur humaine, pénétrante, sensuelle, cette odeur d’amour qui s’échappe le matin de la chambre close de deux jeunes époux ». Les odeurs puissantes se combinent, générant parfois un « éréthisme nerveux extraordinaire ». « Par instant, la vanille chantait avec des roucoulements de ramier ; puis arrivaient des notes de Stanhopéa, dont les bouches tigrées ont une haleine forte et amère de convalescent. Les Orchidées, dans leurs corbeilles que retenaient des chaînettes, exhalaient leurs souffles, semblables à des encensoirs vivants. Mais l’odeur qui dominait, l’odeur où se fondaient tous ces vagues soupirs, c’était une odeur humaine, une odeur d’amour que Maxime reconnaissait, quand il baisait la nuque de Renée, quand il enfouissait sa tête au milieu des cheveux dénoués. »

Gare à qui s’attarde dans cette ambiance surchauffée ! Gare en particulier aux plantes toxiques telle le « Tanghin de Madagascar », dont le latex, contenu dans les différentes parties de la plante, est un « lait empoisonné ». « Renée, l’esprit perdu, la bouche sèche et irritée, prit entre ses lèvres un rameau de Tanghin, qui lui venait à hauteur des dents, et mordit une des feuilles amères ». Elle en restera indisposée durant plusieurs jours et aura la tentation à plusieurs reprises de puiser dans ce végétal le remède à ses tourments.

La serre, le lieu où bouillonnent toutes les passions ! Les végétaux renvoient indéfectiblement à des « images sensuelles ». La luxuriance, la moiteur... autant d’éléments propices aux épanchements amoureux.

Et puis, une demi-mondaine qui aime les couleurs

Au bois de Boulogne, les dames se pressent dans leurs calèches. Moqueurs, Renée et Maxime - du temps de leur belle entente - confortablement installés sur des coussins moelleux détaillent les toilettes, les visages, les capillaires... Deux véritables chenapans qui aiment à se moquer des unes et des autres ! Laure d’Aurigny est ainsi blaguée : Laure a « changé la couleur de ses cheveux ». « Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge. »

Et puis, une demi-mondaine pas très propre

Pour s’encanailler Renée harcèle Maxime. Emmène-moi chez Blanche Muller... Et Maxime d’obtempérer ! Chez Blanche, Renée furète partout, visite le cabinet de toilette, « commun et un peu sale », avec « ses tentures de soie bleue tachées de pommade, piquées par les éclaboussures du savon. »

La curée, en bref

La curée ne raconte pas seulement l’ascension vertigineuse d’un spéculateur de génie dans un Paris en pleine mutation, La curée raconte surtout la vie d’une jeune femme désœuvrée. Emile Zola, avec un plaisir évident, avec même une sorte de délectation, détaille tous les cosmétiques (les savons, les huiles, les pommades, les cérats...) nécessaires à la toilette d’une femme à la beauté fatale. Les amours interdites de Renée et de Maxime tourneront court, avec le mariage de ce dernier avec Louise. Et Sidonie, pleine de fiel, qui apprend la vérité à Aristide au sujet des rapports de sa femme et de son fils, en est pour ses frais. Mieux vaut passer l’éponge et éviter le scandale. Rien ne doit venir troubler l’apparente respectabilité du couple Saccard. De ce jour, Renée dépérit. « C’était la fin d’une femme », nous dit Emile Zola, qui enterre coup sur coup Louise (Maxime sera veuf au bout de seulement 6 mois de mariage) et Renée (une méningite emporte tristement la reine des soirées parisiennes) !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien pour sa vision du cabinet de toilette sous la Second Empire !

Bibliographie

1 Des cosmétiques pour transformer un révolutionnaire sanguinaire en fin diplomate ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 Zola E., La curéeLe livre de Poche classiques, 2020, 411 pages

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