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Savon, eau de Cologne et cérat de Galien au service d’un zouave sous le Second Empire

> 16 octobre 2019

Savon, eau de Cologne et cérat de Galien au service d’un zouave sous le Second Empire

Dans la famille Coiffard, il est un petit carnet que l’on se transmet fidèlement de génération en génération. Ce petit carnet renferme le récit de voyage de Théodore Coiffard, un boulanger du Maine-et-Loire dont l’un des frères avait tiré le mauvais numéro. Sept ans de service militaire, cela ne disait vraiment rien à Louis. Théodore, en revanche, n’y voyait pas vraiment d’opposition, ayant soif d’aventure. « Quand tu reviendras et que tu te marieras, je te ferai tous tes meubles » avait ajouté Louis. Dans le document soigneusement conservé, on trouve l’itinéraire précis suivi par Théodore avec son régiment de zouaves, ainsi qu’un certain nombre de formules médicamenteuses. Ces formules sont écrites, visiblement, à la hâte comme en témoigne l’orthographe souvent approximative, parfois changeante, sous la dictée semble-t-il d’une personne qualifiée. L’apprenti-pharmacien doit se former sur le tas, afin de pouvoir réaliser des potions, « tisannes », gargarismes, « collires », hydrolats, « liliments », lavements, limonades, vins thérapeutiques, « sérats », onguents, caustiques, pilules, pommades, émulsions, cataplasmes, pastilles, emplâtres... autant de formes galéniques destinées à traiter les pathologies diverses et variées qui peuvent sévir au sein de la troupe.

Un itinéraire bien détaillé                                                                                                                          

Le 12 juin 1859, Théodore se rend de Landemont - son lieu de résidence -, à Angers, afin de retrouver ses camarades de voyage et faire route vers Marseille. D’Angers à Poitiers, la distance est parcourue en « cinq étaples » (sic). C’est le train qui achemine ensuite la troupe vers Angoulême, Libourne, Bordeaux (arrivée le 17 juin), enfin Marseille. Théodore note scrupuleusement dans son carnet l’itinéraire suivi, mentionnant, bien souvent, les villes traversées. Agen, Valence, Montauban, Toulouse, Villefranche, Carcassonne, Bézier, Sète, Narbonne, Montpellier, Nîmes, Beaucaire, Arles, Aix. Et enfin Marseille, le 19 juin, à 11 heures du matin. C’est au Fort Saint Jean que les soldats sont cantonnés. Ils y restent 2 jours. Puis c’est le grand départ vers l’Afrique, avec un voyage de 2 jours et 2 nuits et des hommes qui, peu habitués à la mer, sont « tous malades ». Le 24, les hommes arrivent à Filippéville (sic) en Afrique. Ils y restent « deux jours campés couchés sur la terre ». On leur annonce alors qu’il reste encore « trois étables » à faire avant d’arriver à Constantine. Le voyage dans les montagnes est éprouvant ; il y règne de « grandes chaleurs » ; les hommes souffrent, en particulier, de la soif. L’arrivée à Constantine se fait le 28 juin, sur le coup de 10 heures du matin. Le cantonnement dans la caserne ne durera que 8 jours. Ordre est donné de faire route en direction du camp des oliviers, situé à 2 km de la ville de Constantine. Les hommes y resteront seulement un mois. Nouveau départ, nouvelle destination, pour une quarantaine des recrues, dont Théodore, qui s’embarquent sur un bateau à vapeur dénommé « Le Tartare », à destination du camp de Djidjéli. Le 8 août, à 8 heures du soir, les hommes arrivent à destination ; ils sont logés dans des « baraques en bois ». Dès le lendemain, la vie militaire commence avec l’exercice durant 4 heures (2 heures le matin et 2 heures l’après-midi).

Par la suite, Théodore sera amené à se déplacer pour Sétif, pour Bou-Sâada et sa « forêt de palmiers ». Il embarquera pour la France le 12 janvier 1863. Le retour se fait via l’Espagne, Majorque et Barcelone. L’arrivée à Marseille a lieu le 18 janvier, à Paris, le 20 janvier, à Angers, le 21 janvier.

Un zouave barbu

Sur le quai de la gare d’Angers, les personnes qui attendent les voyageurs voient descendre du train un zouave à longue barbe. Un homme s’approche de lui et lui demande s’il connaît un certain Théodore Coiffard. L’homme en question n’est autre que Louis, le père de Théodore. Il n’a pas reconnu son fils après toutes ces années d’absence.

Un recueil de formules médicamenteuses

Les conditions de vie sont rudes ; Théodore fait ainsi mention de camarades morts du « Colérât », lors d’une expédition. Afin de traiter les différentes pathologies qui ont cours, Théodore note soigneusement un ensemble de formules permettant de constituer un arsenal thérapeutique de base. On dénombre ainsi une centaine de formules capables de traiter les maux de tête, les piqûres de guêpes ou plus généralement d’insectes, les morsures de vipères ou autres serpents venimeux, les morsures par des animaux enragés, les maux de dents, la gale, les corps (sic) au pied, les plaies de la cornée, l’herpès, la teigne, le scorbut, les plaies suppurées, la constipation (traitement par le haut ou par le « bâs »), la toux, les engelures, la dissenterie (sic) et le choléra, les rhumatismes, l’érésipèle, la vérole, la goutte, les cancers, la lèpre, « la chaude pisse ».

L’eau de Cologne, indispensable pour traiter les piqûres d’insecte

« Si les piqûres sont légères frictionnez la plaie avec quelques gouttes d’ammoniaque liquide dans deux cuillérées d’eau de Cologne ». Les cas plus sévères seront cautérisés avec un fer rouge.

Le savon, pour traiter la gale

Le « bain de savon » réalisé en dissolvant 1 kg de savon dans 3 litres d’eau constitue un remède contre la gale.

Le « sérat » de Galien, pour adoucir plaies et blessures

Le cérat est préparé de la manière suivante : « L’on met de l’huile dans une castrolle (comme on dit dans les Mauges d’où il est originaire) et l’on met de la cire blanche et de la jaune quand à les fondu ont la verse dans un mortier de marbre et on la brasse avec une cuillère de bois et l’on y ajoute un peu d’eau. L’on la brasse jusqu’à quelle soit reliez ensemble ». Si on ajoute de l’eau de laurier cerise, on traitera les brûlures, les ulcères, les cancers.

Le liliment calcaire pour traiter les brûlures

Composé d’« Eau de chaux 500 grammes, huile d’amande douce 64 grammes, le liniment permet d’imbiber des compresses de ce liquide qui seront appliquées « sur les brûlures pendant quelques jours pour les faire sécher. » A noter qu’il faut lire : liniment et non liliment et que celui-ci est habituellement composé à part égale de solution d’hydroxyde de calcium (eau de chaux) et d’huile d’olive.1 La version proposée par notre zouave est donc atypique.

Des bains de pieds plus ou moins piquants

Différentes formules sont proposées. Le bain de pied sulfureux est obtenu en dissolvant 200 grammes de « pollisulfure » dans 10 litres d’eau chaude pour un baquet. Le bain de pied moutarde, quant à lui, est réalisé avec 100 grammes de farine de moutarde et 10 litres d’eau chaude pour un baquet. Les bienfaits associés ne sont pas indiqués.

Feuilleter le petit carnet rédigé par notre ancêtre boulanger-pharmacien-infirmier est, bien sûr, émouvant pour les pharmaciennes que nous sommes. Cent soixante ans après la rédaction de ce formulaire, on se rend compte que les formules qui intéressaient Théodore nous intéressent toujours. Pas de place, toutefois, pour les produits d’hygiène ou de soin cosmétique dans ce formulaire qui ne voit dans le savon ou l’eau de Cologne que des excipients ou des principes actifs médicamenteux. Pas de recettes pour contrer la sécheresse cutanée ou se protéger du rayonnement UV, mais quelques recettes visant à traiter une catégorie bien particulière de pathologies. Le cérat opiacé à base d’opium, de jaune d’œuf et de cérat de Galien est, par exemple, proposé pour les chancres douloureux.

A la mémoire de Théodore Coiffard, boulanger lui aussi, arrière-petit-fils du zouave et cousin germain de notre père, qui nous avait permis, il y a quelques années, de numériser le précieux petit carnet en question, auquel il tenait beaucoup.

Bibliographie

1 https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/ae7d1bc0725ee932a26932d53681c78b.pdf

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