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Le savon, excipient et actif de choix pour un zouave sous le Second Empire

> 15 mai 2020

Le savon, excipient et actif de choix pour un zouave sous le Second Empire

A l’heure même où la comtesse de Ségur se cale dans une profonde bergère, un sourire heureux sur les lèvres, afin d’entamer la lecture de son nouveau roman Les vacances (1859) au petit cercle amical et familial qui s’est réuni autour d’elle, le zouave Théodore Coiffard, le front barré d’un pli soucieux, se met en route en direction de l’Algérie. Le boulanger (c’est son premier métier) et apprenti-pharmacien (ce second métier lui est imposé par les circonstances) serre contre lui un petit carnet,1 qui ne va pas le quitter durant tout son périple. Il y notera scrupuleusement son itinéraire, ainsi que, non moins scrupuleusement, des recettes de médicaments destinés à faire face à un certain nombre de pathologies, des plus des bénignes, aux plus graves.

Quel rapport donc entre Sophie et Théodore ?

Sophie Rostopchine et Théodore Coiffard n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est un certain goût pour l’écriture et la volonté d’aider les autres. Sophie s’adresse aux mamans qui paniquent un peu face aux maladies survenant durant les premières années de vie de leurs enfants ; elle publie pour cela un ouvrage à leur intention ;2 Théodore, quant à lui, ne pense aucunement à publier le formulaire qu’il a composé minutieusement. Ce petit recueil, il le conserve précieusement et y jette un œil de temps en temps, afin de se rafraîchir la mémoire en matière de pose de ventouses, de confection de cold crème, de formules de pilules adoucissantes pour la gorge ou de recettes de potions purgatives. Sophie et Théodore ont puisé aux mêmes sources bibliographiques. Ils nous transmettent, donc, tous deux, des formules, qui dans un certain nombre de cas, sont assez similaires. Le savon est présent aussi bien dans les formules de l’une que dans celles de l’autre.

Le savon, principe actif et excipient utile pour le traitement de la gale

Pour Théodore, le savon constitue un principe actif permettant de lutter contre la gale (sans doute pense-t-il à un effet préventif). Le « bain de savon » confectionné à l’aide de savon blanc (1 kg) et d’eau (3 litres) doit être dilué, au moment de l’emploi, dans l’eau du bain. Le taux de dilution à effectuer n’est malheureusement pas précisé.

Le savon constitue également un excellent excipient permettant la réalisation d’une « pommade » contre la gale. Pour la fabriquer, il faut mélanger 100 grammes de savon blanc, 150 grammes d’huile d’amande douce, 20 grammes de soufre sublimé, 10 grammes de carbonate de potasse, 30 grammes d’essence de citron. Cette pommade est utilisée pour « frictionner les parties malades ».

Le savon, excipient pour « liliment savonneux »

Au chapitre des liniments (Théodore a parfois l'orthographe capricieuse), le boulanger-écrivain-pharmacien-médecin à ses heures, propose un mélange très simple pour mettre au point un « alcolée de savon ». Pour le réaliser, il faut de l’huile d’arachide, de l’alcool et une base (l’ammoniaque) nécessaire à la réaction de saponification. On obtient ainsi facilement un liniment « savonneux ammoniacal » qui peut servir d’excipient auquel on peut ajouter du camphre, par exemple. Le liniment savonneux ammoniacal camphré, ainsi réalisé, permettra de pratiquer des frictions au niveau des zones douloureuses.

Le savon, excipient pour « liliment calcaire »

Composé d’« Eau de chaux 500 grammes, huile d’amande douce 64 grammes », ce liniment est destiné à imbiber des compresses qui seront appliquées « sur les brûlures, pendant quelques jours pour les faire sécher. » A noter une composition assez originale, puisqu’habituellement, cette formule est composée, à parties égales de solution d’hydroxyde de calcium (eau de chaux) et d’huile d’olive.3 La version proposée par notre zouave est donc atypique.

Sophie et Théodore, deux témoins d’une époque

Lorsque la Comtesse rédige Les malheurs de Sophie en 1858 et s’intéresse aux soins à apporter à une poupée de cire : « Un jour, Sophie pensa qu’il était bon de laver les poupées, puisqu’on lavait les enfants ; elle prit de l’eau, une éponge, du savon, et se mit à débarbouiller sa poupée ; elle la débarbouilla si bien, qu’elle lui enleva toutes ses couleurs : les joues et les lèvres devinrent pâles comme si elle était malade, et restèrent toujours sans couleur. », Théodore ne sait pas encore, qu’un an plus tard, il ceindra un tablier autour de ses reins pour préparer des liniments savonneux, des cold crèmes, des potions purgatives à la rhubarbe, des laxatifs au tabac, à la guimauve, au séné, aux feuilles de frênes ou bien au houx. Alors que Sophie laisse dévorer son poulet par le vautour, Théodore ne peut pas s’imaginer que bientôt l’omelette traditionnelle sera remplacée par une drôle de préparation lui permettant de traiter la teigne. Pour cela, il mélangera le blanc de 3 œufs à de la suie pour obtenir une « pommade » souveraine ! Quand Sophie se gave, à s’en rendre malade, de pain et de crème,4 Théodore, quant à lui, pétrit la pâte, avec dextérité. Une fois en Algérie, il sera toujours temps de croquer des citrons avec une botte de cresson et de l’oseille, afin d’éviter le scorbut.

Sophie et Théodore... des bulles en commun

Dans leurs milieux respectifs, Sophie et Théodore, malgré les différences qui les opposent, ont eu le souci de la santé de leurs proches et nous laissent un témoignage vivant et émouvant du temps où le savon était élevé au rang de médicament.

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/savon-eau-de-cologne-et-cerat-de-galien-au-service-d-un-zouave-sous-le-second-empire-1217/
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-savon-le-medicament-phare-de-la-comtesse-de-segur-1443/
3 https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/ae7d1bc0725ee932a26932d53681c78b.pdf
4 Comtesse de Ségur, Les malheurs de Sophie, Bibliothèque rose, Hachette, 1980, 189 pages

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