> 13 janvier 2022
Alice et ses superbes cheveux blonds, Bess, « très féminine », très gourmande et très coquette, et Marion, cheveux « coupés très court » et nez retroussé qui lui donnent « une allure de garçon » sont, une fois de plus, les héroïnes d’un roman de la mystérieuse Caroline Quine.1 Une petite balade à la campagne, à bord du joli cabriolet d’Alice, et voilà une nouvelle aventure qui démarre... Un superbe chat siamois blessé, trouvé sur le bord de la chaussée, constitue, en effet, l’élément déclencheur d’une série d’évènements. C’est d’abord la rencontre avec une ancienne actrice de théâtre, Annie Arnold. Celle-ci, bien que disposant de revenus modestes, a pris en charge l’éducation d’un jeune voisin, Jack Lory, pupille de l’affreux Fred Bowman et le train de vie d’une nièce, Diana Lipp, qui fait couler l’argent à flots. Evidemment, Alice ne peut pas rester indifférente aux difficultés rencontrées par Annie. Et de vouloir fourrer son nez dans ce qui ne la regarde pas vraiment... Et de se faire enlever par un voyant extra-lucide… pas très lucide. Et de se faire kidnapper et placer manu militari dans un bateau à destination du Brésil !
Annie Arnold est une femme « d’allure distinguée, ayant passé la cinquantaine ; pas un soupçon de maquillage chez cette femme au « regard empreint de bonté », qui ne vit que pour ses chats (une grosse vingtaine !) et que pour sa nièce, une apprentie-comédienne, dont le talent n’est pas encore reconnu. Lady Violette (c’est le nom de l’un des personnages qu’elle a incarné au temps de sa splendeur) vit dans ses souvenirs, soupirant après le bel Horace Saint-Marc, l’un de ses partenaires le plus cher. Une vie dans le passé, c’est le présent de celle qui nous est décrite comme une vieille dame. « A 50 ans, une femme peut avoir de la personnalité, de la distinction, de l’allure même, mais elle n’a plus cette beauté que confère la jeunesse. »
Visiblement, Fred Bowman est décidé à capter l’héritage du petit Lory, présenté comme décédé. Pour cela, Fred s’est entouré d’une fine équipe, composée, entre autres, d’un sinistre individu à la peau pleine de taches. La fidèle Sarah, qui a élevé Alice, évoque un homme brun, avec des « taches de rousseur ». Alice, qui manifestement a quelques notions sur les phototypes,2,3 s’étonne : « Un brun avec des taches de rousseur ? » « C’est bien la première fois que j’entends parler d’une chose pareille. » Et Sarah de rétropédaler. « Enfin, ce n’était peut-être pas, à proprement parler, des taches de rousseur, corrigea la servante. Mais sa peau était semée de petites marques qui m’ont fait penser à des taches de rousseur. » Et Ned, le chevalier-servant d’Alice, de confirmer : « Oui, il avait des marques bizarres sur la figure. Un peu comme des taches de son. » Deux pages entières pour discuter de ce problème dermatologique épineux : peut-on être brun et avoir de multiples taches de rousseur ? Oui, semble-t-il, puisque le complice de Fred est reconnu des uns et des autres. « Les taches qu’il avait sur la figure » font jaser tous les protagonistes de cette sombre affaire.
Et lorsque notre « brun aux taches de son » pénètre dans l’établissement dénommé le « Temple aux étoiles », Alice et Marion n’hésitent pas un seul instant ! Accueillie par une jeune femme « outrageusement fardée », nos deux amies se voient obligées de passer à table... Un menu très ordinaire, pour un prix exorbitant. En guise de café, la proposition de contempler la « Fontaine de Jouvence » qui « consistait en un bassin d’or où coulait un mince filet d’eau. » Une gorgée de cette eau, vendue au prix d’une place de cinéma, assurant, soi-disant, une jeunesse éternelle. En guise de pousse-café, la proposition de rencontrer l’astrologue Omar, « un mage à la peau très brune, vêtu d’une longue robe et coiffé d’un turban blanc » et d’obtenir de lui une vision nette et claire de l’avenir. Le parfum d’encens qui s’échappe des cassolettes est un parfum troublant qui met Marion mal à l’aise. « Sortons d’ici, lui dit-elle. C’est par trop ridicule et puis je supporte mal l’odeur d’encens. » Trop tard, dit le lecteur qui, en tournant la page, découvre Alice et Marion inanimées, « l’odeur lourde » ayant eu raison de nos deux détectives. Poussées dans un placard à balais, les deux amies seront délivrées, comme par miracle, par un policier bien inspiré. Et l’enquête continue. Et l’on se demande si Omar et l’homme aux taches de son ne seraient pas une seule et unique personne. Bien sûr, Omar est uniformément brun et l’inconnu possède un « teint bistré couvert de taches claires », mais l’on sait qu’un bon fond de teint, bien couvrant, est capable de masquer les imperfections cutanées et de simuler un bronzage parfaitement homogène.
Dans ce roman alerte, Caroline Quine nous montre, une fois de plus, les talents insoupçonnés de la belle Alice. Cette héroïne est décidément trop forte. Experte en dermatologie (Alice n’a pas besoin d’un atlas de dermatologie pour savoir qu’un brun n’est pas un roux), fine psychologue (Annie Arnold a bien besoin que quelqu’un vienne mettre de l’ordre, dans son ménage - bonjour le bazar avec 25 chats sous un même toit - dans sa vie), Alice vient à bout des mystères les plus opaques et des manigances les plus sombres. Fred Bowman et ses velléités de détournement d’héritage, Diana Lipp et ses tendances égoïstes... tout est remis en ordre en seulement 190 pages ! Ah cette Alice, elle nous surprendra toujours !
1 Quine C., Alice et les chats persans, Hachette Jeunesse, 1995, 190 pages
2 Qu’est-ce que le phototype ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)
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