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Biographie de la faim, selon Emile Zola

> 18 décembre 2021

Biographie de la faim, selon Emile Zola

La débâcle... Pour en arriver là des tergiversations qui n’en finissent pas ; des soldats que l’on épuise en marches forcées. Des soldats qui fuient un ennemi invisible et s’exaspèrent de ne pas pouvoir combattre tout de suite, maintenant, sans attendre. Dans son roman La débâcle,1 Emile Zola met en relation Jean Macquart, un paysan qui, suite à un drame familial s’est engagé dans l’armée, (il est caporal au 106e régiment de ligne) et Maurice Levasseur, un beau monsieur, un jeune avocat qui rechigne, un peu et même beaucoup, à obéir à un homme aussi rustre ! La mésentente entre Jean et Maurice ne durera guère ; ces deux là vont bientôt être une belle paire d’amis, à la vie, à la mort. Et puis, va entrer dans la danse l’oncle de Maurice (M. Fouchard), un paysan, près de ses sous comme Zola aime à les peindre. Chez l’oncle Fouchard, vit Sylvine Morange, une belle jeune fille séduite par Goliath, un garçon de ferme, espion prussien à ses heures. Il y a aussi Honoré Fouchard, le fils de la maison, parti un temps en Afrique et revenu se battre en France.

Et puis, il y a la faim, une faim terrible qui tenaille les soldats, avec en lieu et place des aliments la peur au ventre.

Et puis, il y a les odeurs « de roussi, de laine brûlée », « l’odeur de la guerre ». « Et une insupportable odeur s’exhalait, la nausée de l’incendie, l’âcreté du pétrole surtout, versé à flots sur les parquets », l’odeur « de nécrose qui prenait à la gorge », celle des membres en décomposition, « l’odeur fade du chloroforme », qui endort la douleur, seulement pour un instant. Et, surnageant au dessus de tout cela, la surprenante odeur du lilas de Perse, suave, doux et tendre comme le baiser d’une femme aimée.

La faim, une faim à manger du... savon

La faim est obsédante pour ces soldats mal dirigés, mal encadrés. Des scènes de pillage se produisent. Certains soldats s’introduisent même chez le médecin du village, le Dr Dalichamp, pour y manger et y boire ce qu’ils y trouvent. « Chez le docteur, on ne s’imagine pas une chose pareille, j’en ai surpris un gros qui a mangé tout le savon. » Un autre, à ses risques et périls, a bu « un litre de sirop d’opium ».

Maurice Levasseur, une solide odeur d’amitié

Maurice est le petit-fils d’un soldat de la Grande Armée ! Ce jeune homme frêle n’a vraiment rien hérité de son ancêtre grognard. Délicat, blond, Maurice a une sœur jumelle, Henriette ; tous deux ont les « mêmes cheveux blonds ». Blessé au pied lors d’une marche forcée, il est pris en charge par Jean qui le soigne avec des « gestes maternels ».

Jean Macquart, dans la bonne odeur des pommes

Un bon gars, Jean. Un gars qui prend soin de ses soldats... et qui finit par tomber au combat. Blessé à la jambe, Jean est soigné chez l’oncle Fouchard par Henriette, venue se réfugier à la campagne. Logé dans une chambre ayant servi de fruitier, Jean est entouré de la « bonne odeur des pommes et des poires ». Petit à petit, l’amour se glisse doucement entre ces deux êtres malmenés par la vie. Pour éviter l’amputation, le Dr Dalichamp a recommandé l’usage de « la charpie imbibée d’huile d’olive et d’acide phénique ». Et Henriette, en parfaite infirmière, fait tout ce qu’il faut pour sauver le membre du blessé.

Sylvine Morange, une belle odeur de fidélité

Sylvine Morange est « une fille brune aux beaux yeux de soumission », une fille « très brune, avec ses épais cheveux noirs » ; placée tout enfant chez l’oncle Fouchard, cette orpheline connaît Honoré, le fils de la maison, depuis qu’elle a 12 ans. De quatre ans son aîné, Honoré, a souhaité en faire son épouse à l’âge de 20 ans. Refus paternel ! Honoré fuit la maison et part en Afrique. Le garçon de ferme, Goliath Steinberg, un espion prussien, en profite pour séduire Sylvine et lui faire un enfant (le petit Charlot). Malgré tout, Sylvine reste, en pensée, la femme d’Honoré. Et lorsque celui-ci sera tué au combat, celle qui se considère comme sa veuve ira, sans souci du danger, récupérer son corps, à ses risques et périls. « En effet, elle était très belle, dans sa pâleur, avec ses grands yeux superbes qui éclairaient tout son visage. Ses lourds cheveux noirs la coiffaient comme un casque de deuil éternel. »

Les Delaherche, une odeur d’amour partagé

L’industriel Jules Delaherche, l’un des principaux fabricants de draps de Sedan, ouvre grand sa maison aux soldats français. Il ouvre, par ailleurs, sa fabrique, la transformant en ambulance. Sa femme Gilberte est également très accueillante, dit-on. Les personnes les mieux renseignées se souviennent que le capitaine Beaudoin a été l’amant de la belle Gilberte, du temps de feu son premier époux Maginot, avant qu’elle ne se marie avec Jules. Nièce du colonel de Vineuil, Gilberte a eu plus d’une fois l’occasion d’être mise en relation avec de beaux militaires. Le capitaine Beaudoin qui passait par là profitera encore parfaitement bien de cette hospitalité durant son séjour dans la maison. Soigneux, le jeune homme n’accepte de se présenter devant ces dames que lavé, pomponné. On lui fournit de l’eau, du savon, du linge propre pour faire bonne figure. Gilberte, une belle brune, coquette, rieuse et frivole, s’occupe de son invité avec empressement. Comment résister à cette pétillante jeune femme à l’odeur « pénétrante » (une odeur « d’amour », qui « s’exhalait de son réveil » et perdurait toute la journée) ? Mais ne nous y trompons pas, Gilberte n’est pas que légèreté... Elle sait aussi se rendre utile et préparer, avec son amie Henriette, tous les éléments nécessaires à la pharmacie, bandes, charpie, compresses... « Un gros pot de cérat » est rangé à côté des pinces et des scies... Un peu dérisoire au regard des plaies à soigner !

Le capitaine Beaudoin, une étrange odeur de lilas de Perse

Un capitaine d’opérette... Joli comme un cœur, propre comme un sou neuf. Cet officier n’est guère apprécié de ses hommes qui l’entendent le plus souvent pester contre l’intendance qui fonctionne de travers. Les bagages ne suivent pas... Et si ce n’était que cela ! Coquet, les moustaches frisées, « les mains blanches », le capitaine traîne derrière lui une odeur féminine équivoque, « un vague parfum de lilas de Perse qui sentait le cabinet de toilette bien installé de jolie femme ». Courageux, pourtant. Blessé à la jambe, « la face toute blanche sous la saleté qui la souillait », le capitaine viendra rendre l’âme entre les mains de Gilberte. Une dernière grâce, avant le dernier souffle : « Seulement, si je meurs, je voudrais mourir les mains propres... Madame, vous seriez bien aimable de mouiller une serviette et de me la donner. »

Les Weiss, une odeur de courage

Le mari d’Henriette Levasseur (le beau-frère de Maurice donc) est comptable chez Jules Delaherche. Henriette, la sœur jumelle de Maurice, est une jeune femme aux yeux gris et à l’admirable « chevelure blonde, d’un blond clair d’avoine mûre ». Jean et Maurice pourront se reposer chez Henriette, le temps voulu. Quant à Weiss, il finira fusillé, pour avoir résisté courageusement à l’ennemi !

Napoléon III, une odeur de défaite

L’empereur Napoléon III est présent, sur le terrain. Malade, affaibli, il fait pitié à voir. On le maquille pour donner l’illusion de la santé, de la vaillance. Ses moustaches sont cirées et son visage cosmétiqué (« les moustaches si fortement cirées, les joues si colorées, qu’il le jugea tout de suite rajeuni, fardé comme un acteur »). « Sûrement, il s’était fait peindre [...] ». Les bonnes gens qui l’aperçoivent au travers des vitres l’affirment : « Je viens de voir à l’instant qu’on le peignait et qu’on le bichonnait, avec toutes sortes d’histoires sur la figure ». Des « histoires », c’est-à-dire des cosmétiques qui donnent bonne mine, qui vous refont une santé en un claquement de doigt ! Une santé qui se délite au fur et à mesure de la journée, lorsque la sueur dilue les fards et creuse des sillons sur la peau : « Sous la sueur d’angoisse de cette marche au travers de la défaite, le fard s’en était allé des joues, les moustaches cirées s’étaient amollies, pendantes, la face terreuse avait pris l’hébètement douloureux d’une agonie. »

La débâcle, en bref

Décidément, Jean Macquart est marqué au fer rouge. Soigné par Henriette, sauvé par Henriette, Jean se trouve confronté, à la fin du roman, à un communard qu’il connait trop bien. Un coup de baïonnette dans le corps de Maurice et tout est désormais fini entre le paysan et celle qui aurait pu le rendre heureux.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Zola E., La débâcle, Fasquelle, 501 pages

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