> 27 novembre 2021
La terre d’Emile Zola est une terre qui rend fou.1 Sa possession tourne les têtes et peut mener à des actes extrêmes... comme le crime, les crimes. Le brave Fouan qui a décidé de prendre sa retraite et de partager ses biens entre ses trois enfants (Hyacinthe, dit Jésus-Christ, Fanny Delhomme et Buteau) en paiera le prix fort. Trimballé de l’un à l’autre, chacun refusant à tour de rôle de payer la pension prévue, humilié, houspillé, méprisé le pauvre homme finira étouffé, sous le poids conjoint de sa belle-fille et de son fils - les Buteau. Emile Zola, sur fond de champs de blé, d’odeurs de purin et de tempête de grêle, nous offre une galerie de portraits où le pire n’est jamais totalement atteint.
La famille Fouan est toujours restée attachée à son même lopin de terre. D’abord serfs puis propriétaires, les générations se sont succédées, exacerbant le désir/le besoin d’accroître les terres à disposition. Louis Fouan, marié à Rose Maliverne, a communiqué à ses 3 enfants sa passion pour la terre. Enfin presque à ses 3 enfants car Hyacinthe n’est pas vraiment du genre à se casser la tête aux champs, plutôt le genre à boire tout son soûl au cabaret. Allant de l’un à l’autre, malheureux, le vieux Fouan manque de passer d’une attaque. Le Dr Finet, pour cette occasion, prescrit du « fer, du quinquina, des drogues de riches »... Et voilà Fouan remis sur pied ! Pourtant, le cœur n’y est plus. Qui pourrait reconnaître, dans ce vieillard anguleux et tassé, le « vieux paysan propret, avec son cuir bien rasé, ses pattes de lièvres correctes » qui faisait trembler la maisonnée autrefois. Ce vieux ne veut pas mourir décidément... Une fois son magot trouvé et afin de ne plus avoir à nourrir une bouche inutile, les Buteau en viendront au meurtre. Le vieillard étouffé en devient noir. Comment faire dans ces conditions pour masquer l’assassinat ? « Comment lui raccommoder » la face, « à cette heure ? On aurait beau le débarbouiller au savon, jamais il ne redeviendrait blanc. » Il ne reste plus alors qu’à mettre le feu à la dépouille !
Jean Macquart, le frère de Gervaise, surnommé « caporal » (il a fait la campagne d’Italie) par les gens du pays de Rognes, un village de la Beauce, est un « gros garçon, châtain, aux cheveux ras », âgé de 29 ans lorsque nous le rencontrons pour la première fois. Il est en train de prêter main forte à Françoise, une gamine de 14 ans qui se fait traîner par sa vache, une bête qui va être menée au taureau. Jean, menuisier et homme à tout faire, chez le fermier Hourdequin, est un garçon courageux qui ne rechigne pas à la tâche.
Jacqueline, la bonne du fermier Hourdequin, est une vraie petite souillon ; cela ne l’empêche pas d’attirer tous les hommes dans son lit... et le maître, bien sûr, et Jean aussi. Très laide et crottée tant que Mme Hourdequin est bien vivante, Jacqueline se dégrossit peu à peu, une fois le veuvage arrivé. S’ouvre pour elle une nouvelle ère... Son but : se faire épouser. Elle n’y arrivera pourtant jamais ! « Elle se montrait d’une coquetterie dépensière, se trempait de parfums, tout en gardant un fond de malpropreté. »
Françoise Mouche est la sœur de Lise, une jeune fille séduite par son cousin Buteau. Une chair fraîche et rose de fruit mûrissant », « la peau très brune, hâlée et dorée au soleil ». Encore une enfant... mais pourtant déjà pleine de promesses. Une grâce florale ! Une ressemblance avec une « fleur de pissenlit avec sa taille fine et son bonnet blanc ». A 15 ans, voilà Françoise orpheline et condamnée à vivre jusqu’à sa majorité avec sa sœur et un beau-frère qui ne rêve que de la « culbuter » dans tous les coins de la maison. Sa résistance sera sans faille ! Avec Jean, c’est autre chose... une certaine attraction ! Surtout de la part de Jean qui frissonne à chaque fois qu’il fait les foins à proximité de cette belle fille « trempée de sueur » et dont la peau distille « une odeur âcre de fille ».
Lise Mouche est une belle fille, solide et fraîche, 10 ans plus âgée que sa sœur, Françoise. Très propre, Lise fait la lessive à « l’eau de cendre », parfumée « aux racines d’iris », ce qui laisse à sa peau une odeur irremplaçable. « De toute sa personne, trempée de buée chaude, s’exhalait une odeur de bonne ménagère, une odeur de cendre parfumée d’iris. » Lorsqu’elle fait les foins, l’odeur de propre est remplacée par une odeur « pénétrante et forte, l’odeur des herbes coupées, des fleurs fanées ». Il lui faudra attendre 2 ans avant que son cousin Buteau ne consente à l’épouser, régularisant ainsi une situation fort gênante (leur enfant Jules fait jaser le pays !). Après Jules, viendra une petite fille : l’enfant lavée à l’eau tiède est « emmaillotée et couchée dans son berceau ». Et puis à la douceur des jours succèdera l’âpreté des lendemains. Jalouse de sa sœur, Lise en viendra à la tuer, alors que celle-ci attend un enfant (de Jean, est-il bon de préciser).
Le père de Lise et Françoise se meurt d’une attaque cérébrale. L’on tergiverse tellement avant d’appeler le docteur que celui-ci ne peut que constater le décès à son arrivée. On a tenté de le ranimer avec de l’eau-de-vie camphrée, mais l’enfant parti chercher le flacon chez une voisine est revenu avec de l’eau de Cologne. Les frictions à la tête n’y feront rien ! Profitant d’un moment d’inattention, le fameux Nénesse, celui qui a ramené l’eau de Cologne, s’empare de la bouteille et s’en inonde « les mains et les cheveux ». Le Dr Finet, arrivé bien trop tard, s’esclaffe : « C’est vous qui l’avez tué parbleu !... Est-ce idiot ? de l’eau de Cologne et du tilleul pour une apoplexie !... »
Les beau-frère et belle-sœur de Louis Fouan, M. et Mme Charles comme on les appelle, sont des gens aisés.
M. Charles est un bel homme de 65 ans, « rasé », très soigné de sa personne, très digne... autant que peut l’être un honnête homme ayant fait commerce d’amour pendant 25 ans. La maison publique ainsi tenue (le n°19) et même très bien tenue (!) a fait recette, ce qui lui permet maintenant de se reposer dans sa belle demeure de Rognes. Six employées continuent à travailler pour lui, sous le contrôle de sa fille Estelle, une jeune femme éduquée chez les sœurs de la Visitation et mariée à Hector Vaucogne, un paresseux qui se la coule douce et ne rechigne pas à tâter de la pensionnaire. Lorsqu’Estelle viendra à mourir, sa fille Elodie (elle-même éduquée chez les religieuses) reprendra la boutique et la fera fructifier à son tour.
Mme Charles, quant à elle, est une charmante vieille dame, à « l’air respectable » et aux « bandeaux d’un blanc de neige ». Son teint d’une « pâleur rosée » témoigne d’une vie cloîtrée, passée derrière les persiennes de sa maison close.
A l’occasion du baptême du second enfant de Lise et de Buteau, Mme Charles, en tant que marraine, offre à la mère et à l’enfant des bonbons et tout un lot de linge en provenance de sa maison de rendez-vous. « Tout un lot de chiffons, blancs du lavage, exhalant, malgré la lessive, une odeur persistante de musc ». Draps, chemises, le tout usé, troué... Elodie, qui pense que sa mère tient une confiserie, s’étonne de tout ce linge et de ce parfum entêtant... « Oh ! La drôle d’odeur, comme ça sent fort !... Est-ce que c’est du linge à maman, tout ça ? » Oui, oui bien sûr... « C’est le linge à ses demoiselles de magasin ».
Lengaigne cumule les casquettes. Son salon de coiffure, qui fait également office de bureau de tabac et de cabaret est toujours plein. Il y rase et coupe les cheveux de tout le village, ce qui fait dire aux mauvaises langues que l’on mange chez lui plus de cheveux que l’on y boit de bon vin. « Il décrocha un vieux plat à barbe, prit un savon et de l’eau tiède, pendant que l’autre (le client) tirait de sa poche un rasoir grand comme un coutelas, qu’il se mit à repasser sur un cuir fixé à l’étui. ». Il y va de bon cœur sur les cuirs chevelus et sur les joues et dans le cou... « Un grand maigre eût l’idée de se faire raser, et Lengaigne, tout de suite, l’assit parmi les autres ; lui gratta le cuir si rudement, qu’on entendait le rasoir sur la couenne, comme s’il avait échaudé un cochon. »
Cet « ancien beau » porte toujours beau, le « buste sanglé » et les « cheveux teints ».
Un roman noir, un roman dur... où les vieilles femmes n’on plus un cheveu sur la tête, mais conservent toutes leurs dents pour continuer de mordre (il s’agit de La Grande, la sœur de Fouan). Un roman où Jean Macquart pense trouver le bonheur auprès d’une fraîche jeune fille et où il ne trouve, en fin de compte, que haine et malheur. Devenu veuf, dépouillé de ses biens, Jean repart sur les routes, solitaires ; son métier de soldat le reprend au corps. Une sorte de lonesome cowboy en somme !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !
1 Zola E., La terre, Fasquelle, 1969, 501 pages
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