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Du savon pour s’en laver les mains !

> 19 décembre 2021

Du savon pour s’en laver les mains !

Un camp de concentration devenu le théâtre d’une émission de télé-réalité.1 Une émission à succès qui réunit une nation entière devant le petit écran, chaque jour. Des prisonniers (avec, entre autres, la sublime Pannonique, au matricule CKZ114), des kapos (avec, entre autres, l’étonnante Zdena, parfumée au cocktail Molotov), des organisateurs bien cachés derrière des écrans de contrôle, qui retransmettent, en permanence, les coups, les menaces, les mises à mort. Peu de cosmétiques dans cet opus cruel, écrit à la plume trempée dans l’acide sulfurique.

La kapo Lenka, une vamp pulpeuse

La caméra tourne en continu. Les kapos jouent les stars. La plus célèbre est, peut-être, la kapo Lenka, « une vamp pulpeuse qui cherchait perpétuellement à plaire ». Fond de teint, rouge à lèvres, mascara,… Amélie Nothomb ne précise pas tout l’arsenal à disposition de cette piètre actrice qui n’a trouvé que ce contrat abject pour se faire connaître du public. Lenka ne se contente pas de maquiller son visage, elle maquille (c’est du moins ce que certains pensent) ses propres décisions, en se cachant derrière le vote du public. Un masque de lâcheté qui lui va plutôt bien !

Une dame fictive pour s’accrocher à sa dignité

Le matricule EPJ 327 aimerait entrer en résistance, mais il n’en a pas le courage. Afin de motiver ses compagnons d’horreur, il leur raconte l’histoire de Romain Gary. Prisonnier de guerre, celui-ci a gardé espoir et dignité grâce au « personnage de la dame » inventé par l’un de ses camarades. Devant cette « dame fictive » impossible de se laisser aller...

Une camarade aussi fuyante que du savon

Chacun pour soi ou tous pour un ? Dans le camp, chacun s’arrange comme il peut pour survivre. Certains se replient sur eux-mêmes (« Elle était aussi inattrapable qu’un morceau de savon et se réfugiait dans l’insignifiance. »), d’autres tentent de trouver une solution pour gagner une guerre qui se joue au quotidien.

Une condamnée pleine de courage qui sent l’œillet

Pannonique est condamnée à mort. Lui reviennent alors, en mémoire, les belles choses de sa vie, les odeurs qui lui plaisent (« l’odeur délicate des œillets », « l’air après la pluie »), les livres qui l’ont marquée, les êtres qu’elle a chéris.

Acide sulfurique, en bref

A manier avec précaution. Un bocal en verre rempli de cocktail Molotov dans chaque main, Amélie Nothomb se promène dans les couloirs de la télé-réalité, sondant la profondeur des bassesses humaines. A tous les étages du bâtiment où se déroule ce drame des boutons-poussoirs avec réservoir de savon. C’est incroyable le nombre de gens que l’on croise dans ce type de structure qui s’en lavent les mains !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration sulfurique du jour !

Bibliographie

1 Nothomb A., Acide sulfurique, Albin Michel, 2020, 212 pages

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