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Les mousses d’arbre ou une bonne odeur de sous-bois

> 19 juin 2019

Les mousses d’arbre ou une bonne odeur de sous-bois

Si l’on aime à compulser des ouvrages anciens, l’on apprend que l’on désigne, sous le nom de « mousses d’arbres », un ensemble de lichens de la famille des « Ramalinacées (Evernia prunastri, Evernia purpuracea, Evernia devaritica…) ». Ceux-ci permettent la réalisation de parfums de la famille des Chyprés.1 En associant la mousse de chêne à des essences de rose artificielle, de vétyver, de cèdre, de bergamote, à de l’ionone, de l’isoeugénol, de la méthylacétophénone, de la vanilline, de l’héliotropine, de la sauge sclarée et des résinoïdes d’iris, tolu et Pérou, on réalisait, au début du XXe siècle, un « Chypre » présentable et bon marché.2 Pour les amateurs de promenade en sous-bois, les mousses d’arbre constituent le fixateur de choix. Pour les sujets allergiques au parfum, la mousse de chêne est l’allergène N°1, dont il faut apprendre à reconnaître le nom, afin de traquer sa présence sur les emballages cosmétiques.3 Telles des vedettes américaines, les mousses d’arbre se sont laissées désirer.

La mousse d’arbre, qu’est-ce que c’est ?

Il n’y a pas une mousse, mais DES mousses d’arbre selon les lichens utilisés. Au XIXe siècle et au début du XXe, la mousse est réduite en poudre, afin de constituer la base des compositions parfumantes utilisées pour la confection des sachets que l’on glisse entre deux piles de linge. On peut également réaliser des teintures ou des concrètes. L’essence obtenue est de couleur verte.1 La mousse de chêne (oak moss), Evenia prunastri et la mousse d’arbre (tree moss), Pseudoevernia furfuracea, ont été décrites pour la première fois par Linné, en 1745. Ces mousses étaient utilisées dès le XIIe siècle, à Chypre, afin d’élaborer des parfums. Elles ont été ensuite incorporées, beaucoup plus tard, dans les produits après-rasage, du fait de leur tonalité masculine.4 La mousse d’arbre est récoltée sur le tronc des pins, des cèdres (Cedrus atlantica)5 et des hêtres (Fagus sylvatica).6

Des extraits purifiés par nécessité

Dans les années 1960, des extractions à l’aide de différents solvants sont réalisées, afin de sélectionner certaines molécules. On cherche, en particulier, à diminuer la teneur en atranorine, une molécule sensibilisante.4 Les chercheurs, qui rêvent de formuler le produit anti-âge miracle, grâce à un inhibiteur d’enzyme telle que l’atranorine,7 ne sont pas nombreux. Sachant que l’essence absolue ou absolue de mousse de chêne, obtenue par traitement par l’alcool éthylique, de la concrète de mousse de chêne (cette substance cireuse est obtenue par extraction des substances odorantes par un solvant volatil), est un mélange complexe, composé d’un grand nombre de molécules (plus de 170 !), il faut une infinie patience pour travailler ce type d’ingrédient, et ce d’autant plus que des molécules nouvelles sont capables de se former au cours du procédé d’extraction. C’est le cas, en particulier, des trop célèbres chloroatranol et atranol,8 qui se forment par décomposition de molécules non volatiles, contenues dans le lichen, la chloroatranorine et l’atranorine.9 En 2004, le Scientific Committee on Consumer Products (SCCP) plaide en faveur d’extraits purifiés ne contenant ni chloroatranol, ni atranol, afin d’améliorer la tolérance des cosmétiques à base de mousses d’arbre. L’élimination totale de ces molécules n’étant pas possible à 100 %, reste à se mettre d’accord sur la notion de « trace ». Sachant que l’IFRA autorise l’emploi des mousses d’arbre à concurrence de 0,1 % dans le produit fini, le SCCP estime que le risque de sensibilisation est faible lorsque les traces de chloroatranol et d’atranol passent sous la barre des 2 ppm.5 Ces 2 ppm sont toutefois difficiles à tenir pour les sociétés qui fabriquent ce type d’extraits. En réduisant la proportion de ces deux molécules, on altère le profil olfactif de la mousse d’arbre qui perd alors son caractère marin, iodé marqué et gagne en douceur balsamique.10 Parmi les molécules allergisantes connues, il faut également citer l’acide evernique et l’acide fumarprotocetrarique.11 On notera que l'atranol et le chloroatranol ont, assez récemment, rejoint l'Annexe II (Liste des substances interdites dans les cosmétiques) du Règlement (CE) N° 1223/2009, en même temps que le Lyral® (Règlement (UE) 2017/1410 de la Commission du 2 août 2017 modifiant les annexes II et III du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques).

Un effet allergisant reconnu

Les lichens peuvent engendrer, chez les jardiniers et les personnels forestiers, des réactions de sensibilisation et/ou de photosensibilisation.12 La mousse de chêne entre dans la composition du fragrance Mix I. Celui-ci renferme 8 allergènes (eugénol, isoeugénol, aldéhyde cinnamique, alcool cinnamique, hydroxycitronellal, aldéhyde amyl cinnamique, mousse de chêne et géraniol), chacun étant incorporé à la dose de 1 %.13 Parmi les sujets qui sont déclarés positifs au Fragrance Mix, on constate que, dans un quart des cas, c’est la mousse de chêne qui est en cause.14,15 Comme dans le plupart des cas observés en ce qui concerne les allergènes, les pourcentages de sujets sensibilisés varient selon la taille de l’échantillon et selon la période considérée. Au début des années 1980, certains dermatologues considèrent que l’allergie à la mousse de chêne ne touche qu’un petit nombre de patients (7 cas sur 2000, par exemple).12 D’autres n’ont visiblement pas les mêmes lunettes pour observer la situation. Sur 25 395 patients ayant consulté dans un service de dermatologie durant la période 1984–2000, 7,7 % présentaient une allergie au Fragrance Mix I et 17,4 % étaient allergiques à la mousse de chêne, si l’on en croit Buckley.16 Si l’on considère la période 2003–2010 et sur un échantillon de 3030 patients, les résultats sont moins alarmants (taux de réponses positives respectivement de 6,37 % et de 5,71 % en ce qui concerne respectivement Evernia furfuracea et Evernia prunastri). Il est possible de noter une co-sensibilisation des patients à la mousse d’arbre (Evernia furfuracea) et à la colophane, dans la mesure où la mousse d’arbre se développe sur des résineux.17

Les amateurs d’histoires vécues apprécieront les cas cliniques retrouvés dans la littérature médicale. Un cas d’allergie par procuration est ainsi signalé ; il s’agissait d’une femme allergique à la lotion après-rasage de son mari.18 Un cas de maladie acquise lors de l’activité professionnelle a également fait l’objet d’une publication. L’histoire est assez étonnante et a nécessité une enquête qui a duré plusieurs années. L’homme en question travaillait dans un verger et avait développé une dermatite au niveau du tronc et au niveau du cou. La situation durait depuis 18 mois, lorsqu’il est venu consulter un dermatologue. L’homme de 34 ans possédait une longue barbe, nous dit-on et utilisait de l’eau de Cologne pour se parfumer. Les patch-tests réalisés montraient une positivité à la mousse de chêne et à l’atranorine, avant et après irradiation, ainsi qu’une positivité à l’acide evernique, après irradiation. La cause de la dermatite de ce patient se trouvait, semble-t-il, sur son lieu de travail, accrochée au tronc des arbres,19,20 mais également dans sa salle de bain. On ne pouvait que lui conseiller de changer ses habitudes de parfumage et si possible de métier !

Finissons-en avec cet aspect en faisant un point sur les allergies survenant au niveau des lèvres. Une intolérance à un ingrédient cosmétique entrant dans la composition des sticks ou des rouges à lèvres peut conduire à une chéilite. Ce phénomène est rare. Entre 1982 et 2001, 146 cas de chéilites allergiques ont pu être répertoriés en Grande-Bretagne. Sur l’ensemble de ces cas, on observe une réaction positive au patch test réalisé avec une batterie d’ingrédients cosmétiques. Les allergènes les plus fréquemment incriminés sont le cinnamaldéhyde, la mousse de chêne et l’isoeugénol.21

Des propriétés thérapeutiques potentielles

L’effet protecteur cellulaire d’extraits d’Evernia prunastri a été démontré, il y a quelques années. Un certain nombre de tests menés in vitro montrent un effet antigénotoxique qui peut être relié à un effet antioxydant.22 Certaines équipes voient en la mousse de chêne un bon candidat dans le domaine de la mise au point de nouveaux traitements anti-cancéreux.23

Un indicateur de pollution

Les lichens constituent des indicateurs de pollution très étudiés. On sait, par exemple, que Pseudevernia furfuracea est capable de concentrer le mercure de façon plus importante qu’Evernia prunastri.24 Les deux espèces sont également le témoin de la pollution atmosphérique via les hydrocarbures aromatiques polycycliques qu’elles renferment.25

Les mousses, en bref

Les mousses de chêne (Evernia prunastri extract) (CAS : 90028-68-5 / 9000-50-4 / 68917-10-2 ; EC : 289-861-3)26 et d’arbre (Evernia furfuracea extract) (CAS : 90028-67-4 / 68648-41-9 / 68917-40-8 ; EC : 289-860-8)27 sont des allergènes à déclaration obligatoire (numéros d’ordre 91 et 92 dans l’Annexe III du Règlement (CE) N° 1223/2009). Allergènes N°1 pour le dermatologue ou ingrédients plein de poésie qui font chanter le parfumeur dans son laboratoire, les mousses constituent des ingrédients parfumants très peu présents dans les produits d’hygiène, de soin ou de maquillage.28 En parfumerie, les mousses sont toujours appréciées. Rappelons à ce propos que la mousse chêne aime à faire son numéro (N°19 pour être précis) chez Chanel, fait voir la vie en bleu chez Courrèges (Eau de parfum in blue) et rouler des mécaniques et des chromes chez Azzaro

Bibliographie

1 Jeancard P., Les parfums chimie et industrie, Paris, Baillière, 1927, 387 pages

2 Fouquet H., La technique moderne et les formules de la parfumerie, paris & Liège, Béranger, 1946, 514 pages

3 Heisterberg MV, Menné T, Johansen JD, Contact allergy to the 26 specific fragrance ingredients to be declared on cosmetic products in accordance with the EU cosmetics directive, Contact Dermatitis., 2011, 65, 5, Pages 266-275

4 Dahlquist I, Fregert S, Contact allergy to atranorin in lichens and perfumes, Contact Dermatitis., 1980, 6, 2, Pages 111-119

5 https://ec.europa.eu/health/ph_risk/committees/04_sccp/docs/sccp_o_131.pdf

6 Uter W, Schmidt E, Lessmann H, Schnuch A, Contact sensitization to tree moss (Evernia furfuracea extract, INCI) is heterogeneous, Contact Dermatitis., 2012, 67, 1, Pages 36-41

7 Vicente C, Fontaniella B, Millanes AM, Sebastián B, Legaz ME, Enzymatic production of atranorin: a component of the oak moss absolute by immobilized lichen cells, Int J Cosmet Sci., 2003, 25, 1-2, Pages 25-29

8 Mowitz M, Zimerson E, Svedman C, Bruze M, Patch testing with serial dilutions and thin-layer chromatograms of oak moss absolutes containing high and low levels of atranol and chloroatranol, Contact Dermatitis., 2013, 69, 6, Pages 342-349

9 Nardelli A, Giménez-Arnau E, Bernard G, Lepoittevin JP, Goossens A, Is a low content in atranol/chloroatranol safe in oak moss-sensitized individuals?, Contact Dermatitis., 2009, 60, 2, Pages 91-95

10 Andersen F, Andersen KH, Bernois A, Brault C, Bruze M, Eudes H, Gadras C, Signoret AC, Mose KF, Müller BP, Toulemonde B, Andersen KE, Reduced content of chloroatranol and atranol in oak moss absolute significantly reduces the elicitation potential of this fragrance material., Contact Dermatitis., 2015, 72, 2, Pages 75-83

11 Gonçalo S, Cabral F, Gonçalo M, Contact sensitivity to oak moss, Contact Dermatitis., 1988, 19, 5, Pages 355-357

12 Thune P, Solberg Y, McFadden N, Staerfelt F, Sandberg M, Perfume allergy due to oak moss and other lichens, Contact Dermatitis., 1982, 8, 6, Pages 396-400

13 Frosch PJ, Pilz B, Burrows D, Camarasa JG, Lachapelle JM, Lahti A, Menné T, Wilkinson JD, Contact Dermatitis.Testing with fragrance mix. Is the addition of sorbitan sesquioleate to the constituents useful?, 1995, 32, 5, Pages 266-272

14 Johansen JD, Heydorn S, Menné T, Oak moss extracts in the diagnosis of fragrance contact allergy, Contact Dermatitis., 2002, 46, 3, Pages 157-161

15 Nardelli A, Carbonez A, Drieghe J, Goossens A, Results of patch testing with fragrance mix 1, fragrance mix 2, and their ingredients, and Myroxylon pereirae and colophonium, over a 21-year period, Contact Dermatitis., 2013, 68, 5, Pages 307-313

16 Buckley DA, Rycroft RJ, White IR, McFadden JP, Contaminating resin acids have not caused the high rate of sensitivity to oak moss, Contact Dermatitis., 2002, 4, 1, Pages 19-20

17 Uter W, Schmidt E, Lessmann H, Schnuch A, Contact sensitization to tree moss (Evernia furfuracea extract, INCI) is heterogeneous, Contact Dermatitis., 2012, 67, 1, Pages 36-41

18 Held JL, Ruszkowski AM, Deleo VA, Consort contact dermatitis due to oak moss, Arch Dermatol., 1988, 124, 2, Pages 261-262

19 Fernández de Corres L, Muñoz D, Leaniz-Barrutia I, Corrales JL, Photocontact dermatitis from oak moss., Contact Dermatitis., 1983, 9, 6, Pages 528-529

20 Fernández de Corres L, Photosensitivity to oak moss, Contact Dermatitis., 1986, 15, 2, Page 118

21 Strauss RM, Orton DI, Allergic contact cheilitis in the United Kingdom: a retrospective study, Am J Contact Dermat., 2003, 14, 2, Pages 75-77

22 Alpsoy L, Orhan F, Nardemir G, Agar G, Gulluce M, Aslan A, Antigenotoxic potencies of a lichen species, Evernia prunastri, Toxicol Ind Health., 2015, 31, 2, Pages 153-161

23 Kosanić M, Manojlović N, Janković S, Stanojković T, Ranković B, Food Chem Toxicol., Evernia prunastri and Pseudoevernia furfuraceae lichens and their major metabolites as antioxidant, antimicrobial and anticancer agents, 2013, 53, Pages 112-118

24 Vannini A, Nicolardi V, Bargagli R, Loppi S, Estimating atmospheric mercury concentrations with lichens., Environ Sci Technol, 2014, 48, 15, Pages 8754-8759

25 Blasco M, Domeño C, López P, Nerín C, Behaviour of different lichen species as biomonitors of air pollution by PAHs in natural ecosystems, J Environ Monit., 2011, 13, 9, Pages 2588-2596

26 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=3391627 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=41536

27 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=41536

28 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/blush-bourjois-met-de-la-joie-sur-les-pommettes-depuis-1863-998/

 

 

 

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