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La coumarine ou comment chercher un parfum dans une botte de foin

> 30 janvier 2019

La coumarine ou comment chercher un parfum dans une botte de foin

La coumarine est une molécule grisante qui, depuis bien des années, fait tourner les têtes. On la retrouve dans les parfums, mais également dans le vin chaud lorsqu’il est aromatisé à la cannelle, dans le Maiwein, un vin belge obtenu par macération d’Aspérule odorante dans du vin blanc et dans certaines vodka aromatisées à l’aide de la Hiérochloé odorante (Hierochloe odorata).1 Ne nous laissons pas enivrer trop rapidement par sa senteur chaude, mais feuilletons plutôt avec attention le livre de ses souvenirs, afin de mieux comprendre cet ingrédient révolutionnaire qui fut la première molécule de synthèse à avoir été incorporée dans un parfum.

La coumarine, qu’est-ce que c’est ?

La coumarine est une molécule de la famille des benzopyrones, présente dans la nature. Désignée par son nom chimique de 2H-1-benzopyran-2-one ou par son nom INCI de coumarin, cette molécule de formule brute C9H6O2 possède un poids moléculaire de 146,1 g/mol.2 Elle se présente sous la forme d’une poudre cristalline blanche, facilement soluble dans l'éthanol, le chloroforme, l'éther diéthylique et les huiles et peu soluble dans l'eau. On la retrouve aussi bien dans les cosmétiques que dans les produits d’entretien. En ce qui concerne sa fréquence d’incorporation dans ce type de produits, une étude américaine, réalisée sur plus de 1000 produits ménagers, place la coumarine (fréquence d’apparition : 3,5 %) derrière le limonène (23 %), le linalol (20 %), l’hexyl cinnamal (16 %), le butylphényl méthylprioponal (16 %), le citronellol (13 %), le salicylate de benzyle (12 %), le géraniol (10 %), l’alcool benzylique (8 %) et l’alpha-isométhyl ionone (6 %).3

La coumarine, une histoire végétale

La coumarine est retrouvée dans les feuilles du faam (ou faham), Angraecum fragrans pour les botanistes. Ces feuilles permettaient, autrefois, de réaliser une infusion, désignée sous le nom de « thé de l’île de Bourbon ou de Madagascar ». A raison de 4 grammes de feuilles pour 250 grammes d’eau, l’infusion « théiforme » obtenue était réputée pour ses propriétés excitantes.4 C’est également le « principe aromatique de la fève Tonka, du mélilot, du liatrix américain. Elle possède une très agréable odeur de foin coupé chaude et tenace. Sa saveur est amère.5 La fève Tonka est « la semence de Dipteryx odorata (Coumarouna odorata) un arbre de la famille des Légumineuses d’Amérique tropicale.6

La coumarine, une histoire de fondations

La fève tonka ou la coumarine qui la compose est considérée au même titre que le musc, l’ambre, la civette, le castoréum, les baumes du Pérou, de styrax, de tolu et de benjoin comme un fixateur, obtenu, autrefois, en laissant vieillir, le plus longtemps possible, les infusions alcooliques réalisées à partir de ces matières premières. La caractéristique d’un fixateur est d’être peu volatil et de permettre de « fixer les odeurs fugaces des essences de fleurs, de plantes… ». On distingue les fixateurs à arômes âcres, désagréables, des fixateurs à odeurs agréables, comme la fève tonka, par exemple. Le fixateur doit être choisi avec discernement car il constitue « les fondations de la maison » qu’est le parfum. C’est lui qui porte « tout le poids de la composition parfumée ». Il devra donc être solide. Le fixateur doit présenter une affinité optimale avec les parfums choisis, au risque de rester seul en scène en fin de compte.7 Le pharmacien René Cerbelaud apprécie la coumarine lorsqu’il s’agit de parfumer durablement les poudres de riz, ces cosmétiques incontournables du XIXe siècle et du début du XXe siècle. En mélangeant « 68 g de musc ambré, 2 g d’essence absolue de mousse de chêne, 25 g de coumarine, 2 g de ionone blanche alpha et 3 g de jasmonix », il réalise le fixateur de ses rêves. Il nous dévoile également, au grand mécontentement des laboratoires cosmétiques, la composition des crèmes mythiques de l’époque. La crème Simon8 au parfum de coumarine, d’héliotropine, de musc, de rose, de fève Tonka et la crème Tokalon au parfum de musc, de coumarine, d’éthylvanilline, de linalol, de bois de rose, de terpinéol, de rhodinol, d’essence de géranium de la Réunion, de méthylionone et d’essence de jasmin9 sont déshabillées impudiquement par le chimiste qui dévoile aux lecteurs de son temps la liste complète des ingrédients utilisés, molécules parfumantes incluses.10

La coumarine, une histoire de foin pourri qui débute mal mais qui finit bien

Durant les hivers 1920 à 1922, on constate une véritable hécatombe au sein des cheptels de bovins élevés dans les vastes prairies du Canada et du nord des États-Unis. Les vaches meurent suite à des hémorragies généralisées. Un vétérinaire de l’Ontario Veterinary School, le docteur Frank W. Schofield, décide de percer le mystère lié à cette épidémie. Il se rend compte que les vaches malades ont consommé du foin renfermant du mélilot. Ce qui peut paraitre étrange c’est que l’herbe fraîche consommée dans les prairies tout au long de l’année ne se révèle pas toxique. Après de nombreuses observations et expériences, Schofield démontre que le « poison » est contenu dans le trèfle en décomposition. Le trèfle frais contient de la coumarine, qui lui donne son odeur caractéristique et est sans danger pour l’animal. Cependant, lorsque le trèfle est en voie de décomposition, la coumarine est dégradée et donne naissance à une molécule responsable de la maladie hémorragique des vaches également appelée « maladie du trèfle doux ». Avec son associé, Arthur F. Schalk, Schofield se rend compte que les animaux malades présentent un temps de prothrombine allongé ; la situation est améliorée après une transfusion réalisée avec le sang d’animaux en bonne santé, mais pas avec celui d’animaux touchés. On en déduit donc qu’une modification sanguine survient suite à la consommation de foin avarié. Le chapitre suivant de l’histoire de la « maladie du trèfle doux » est écrit par Karl Paul Link, un biochimiste américain du Wisconsin, qui vit arriver, dans son laboratoire, par un samedi soir glacial de février 1933, un fermier désemparé accompagné d’une génisse et d’un bouc morts. Plein de sang non coagulé et un tas de foin pourri achèvent de mettre le biochimiste dans l’ambiance. Sur le coup, il ne put rien faire, mais se promit, pourtant, de tirer au clair cette sombre histoire. De 1933 à 1939, il va donc s’attacher, avec l’aide de ses étudiants, à isoler la ou les molécule(s) anticoagulante(s) responsable(s) du décès de ces animaux. Enfin, en 1939, Link et son équipe réussissent à isoler le dicoumarol ; ils réalisent alors des tests biologiques avec cette substance et en définissent la structure chimique. Parallèlement, Link démontre que la vitamine K est capable de lutter contre l’action anticoagulante du dicoumarol. Cette vitamine K vient tout juste d'être découverte et caractérisée d’un point de vue chimique par deux chercheurs, Henrik Carl Peter Dam et Edward Adelbert Doisy ce qui leur vaudra un prix Nobel, en 1943.11 L’Université du Wisconsin fera alors breveter le dicoumarol sous le nom de « warfarine », en utilisant les initiales WARF de la Wisconsin Alumni Research Foundation et les dernières lettres du mot «coumarine». Cette warfarine sera considérée avec méfiance pendant encore quelques années et réservée à la préparation de la « mort aux rats ». En 1953, la warfarine fait ses débuts en médecine humaine ; elle permettra de soigner le président des Etats-Unis, Dwight D. Eisenhower, lors de son infarctus du myocarde en 1955 et ouvrira la voie à une classe médicamenteuse connue sous le nom d’anti-vitamine K.12

La coumarine, une histoire de chimiste

La coumarine retrouvée dans la nature peut également être obtenue par synthèse. Perkin, en 1875, réalise sa synthèse en « traitant l’acide acétique anhydre par de l’hydrure de salicyle iodé. ».6 Le parfum « Fougère royale » du parfumeur Paul Parquet de la société Houbigant est, en 1884, le premier parfum à renfermer une molécule de synthèse dans sa composition. Son odeur de foin coupé ou de massepain se mêle harmonieusement à celles de la vanilline et de l’héliotropine. La coumarine s’associe merveilleusement avec les parfums naturels et les révèlent à eux-mêmes. « Fougère royale » ouvre la voie à la famille des Fougères, ces parfums jouant sur les accords de mousse de chêne, de lavande et de coumarine. A propos du nom de cette famille, il peut paraitre étrange d’avoir choisi le nom d’une plante dépourvue d’odeur. Paul Parquet nous donne une réponse très poétique à cette question que l’on s’est tous posée un jour, en appelant Dieu à son secours. « Si Dieu avait donné un parfum aux fougères, elles auraient eu le parfum de Fougère Royale. ».13

La coumarine, une histoire de tolérance

La coumarine contrairement à ses dérivés (osthol, daphnorétine, 7-hydroxy coumarine…) ne provoque pas d’effet irritant après application sur la peau.2 Aux doses d’exposition habituelles, la coumarine n’expose à aucun danger particulier.1 En ce qui concerne son allergénicité, on trouve, dans la littérature, des avis contrastés. Absente du fragrance mix I,14 la coumarine fait en revanche partie du Fragrance mix II,15 un mélange de molécules parfumantes utilisé pour réaliser des tests d’allergénicité. En 2007, sur un large échantillon de patients (21 325 très précisément), les mousses d’arbre et le Lyral (hydroxymethylpentylcyclohexene carboxaldehyde) apparaissaient comme les plus allergisants avec des taux de sensibilisation respectifs de 2,4 % et de 2,3 %. La coumarine n’émargeait qu’en 13e position avec un taux de sensibilisation de 0,3 %.16 Pourtant, on trouve dans la littérature scientifique, des publications qui sèment le doute sur son caractère allergisant. En 1984, des dermatologues différenciaient le pouvoir allergisant de la coumarine et de certains de ses dérivés.17,18,19 En 2006, les travaux de dermatologues lyonnais montrent que la coumarine hautement purifiée est bien tolérée dans la majorité des cas (1 cas d’allergies sur 512 patients), contrairement à des coumarines moins purifiées, renfermant donc des impuretés.20

La Directive 2003/15/CE, en rendant obligatoire la déclaration des allergènes à partir d’une certaine concentration dans le produit fini, ne fait pas dans le détail, ni dans la dentelle ! Purifiée ou non, la coumarine, à partir de 0,001 % dans les produits destinés à être rincés et à partir de 0,01 % dans les produits non rincés, doit figurer dans la liste des ingrédients.21 Quid des dérivés de coumarine ?

La coumarine, en bref

La coumarine est une molécule parfumante singulière à la personnalité plurielle. S’il n’existe qu’une seule « coumarine » chimiquement parlant, il existe, en revanche, de très nombreux dérivés. Ces dérivés désignés globalement sous le nom générique de « coumarines » méritent toute notre attention. Certains sont bêtes à manger du foin et figurent à ce titre dans l’Annexe II qui liste les substances interdites dans les cosmétique.20

Bibliographie

1 Lake BG, Coumarin metabolism, toxicity and carcinogenicity: relevance for human risk assessment., Food Chem Toxicol., 1999, 37, 4, Pages 423-453

2 Pan TL, Wang PW, Aljuffali IA, Leu YL, Hung YY, Fang JY, Coumarin derivatives, but not coumarin itself, cause skin irritation via topical delivery., Toxicol Lett., 2014 , 21, 226, 2, Pages 173-181

3 Wieck S, Olsson O, Kümmerer K, Klaschka U, Fragrance allergens in household detergents, Regul Toxicol Pharmacol., 2018, 97, Pages 163-169

4 Gilbert A. et Yvon P., Formulaire de thérapeutique et de pharmacologie, 17e édition, 1928, Doin, Paris, 828 pages

5 Jeancard P., Les parfums, Baillière, 1927, 387 pages

6 Dorvault F., L'Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages

7 Fouquet H., La technique moderne et les formules de la parfumerie, Paris & Liège, Librairie polytechnique, Eds Béranger, 514 pages, 1946

8 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/creme-simon-un-simple-glycerole-d-amidon-169/

9 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/avec-la-creme-tokalon-naissance-des-premieres-cremes-de-jour-de-nuit-pour-ceci-pour-cela-383/

10 Cerbelaud R., Formulaire de parfumerie,1933

11 https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1943/summary/

12 Karatzas NB, Coumarins, a class of drugs with a unique contribution to medicine: the tale of their discovery, Hellenic J Cardiol., 2014, 55, 2, Pages 89-91

13 de Nicolaï P, A smelling trip into the past: the influence of synthetic materials on the history of perfumery, Chem Biodivers., 2008, 5, 6, Pages 1137-1146)

14 Mutterer V, Giménez Arnau E, Lepoittevin JP, Johansen JD, Frosch PJ, Menné T, Andersen KE, Bruze M, Rastogi SC, White IR., Identification of coumarin as the sensitizer in a patient sensitive to her own perfume but negative to the fragrance mix., Contact Dermatitis., 1999, 40, 4, Pages 196-9.

15 Bruze M, Andersen KE, Goossens A; ESCD; EECDRG., Recommendation to include fragrance mix 2 and hydroxyisohexyl 3-cyclohexene carboxaldehyde (Lyral) in the European baseline patch test series, Contact Dermatitis., 2008, 58, 3, Pages 129-33

16 Schnuch A, Uter W, Geier J, Lessmann H, Frosch PJ., Sensitization to 26 fragrances to be labelled according to current European regulation. Results of the IVDK and review of the literature, Contact Dermatitis. 2007, 57, 1, Pages 1-10

17 Hausen BM, Schmieder M., The sensitizing capacity of coumarins (I), Contact Dermatitis., 1986, 15, 3, Pages 157-163

18 Hausen BM, Kallweit M., The sensitizing capacity of coumarins (II)., Contact Dermatitis., 1986, 15, 5, Pages 289-94

19 Hausen BM, Berger M., The sensitizing capacity of coumarins (III), Contact Dermatitis., 1989, 21, 3, Pages 141-147

20 Vocanson M, Goujon C, Chabeau G, Castelain M, Valeyrie M, Floc'h F, Maliverney C, Gard A, Nicolas JF, The skin allergenic properties of chemicals may depend on contaminants--evidence from studies on coumarin, Int Arch Allergy Immunol., 2006, 140, 3, Pages 231-238

21 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results

 

 

 

 

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