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Les cosmétiques, des produits qui encombrent Graham Greene !

> 08 juin 2019

Les cosmétiques, des produits qui encombrent Graham Greene !

L’amant, Maurice Bendrix, la femme, Sarah Miles, le mari, Henry Miles. Les acteurs sont entrés en scène. La représentation peut commencer. Ne croyez pourtant pas que vous allez vous retrouver en plein vaudeville. Il y a, en effet, un personnage central dont nous n’avons pas parlé. Ce personnage qui se laisse voir à certains et se cache aux yeux des autres, qui tourmente les uns et apaise les autres, est absent physiquement, mais pourtant présent à chaque page du roman.1 Si Sarah possède une salle de bain bien garnie, Graham Greene ne se propose pas de nous la faire visiter. Les cosmétiques sont des produits encombrants...

Tout commence à la manière d’une blague. Afin de tout connaître de la vie d’un haut fonctionnaire anglais, un écrivain, Maurice Bendrix, se propose d’entrer dans l’intimité de celui-ci par l’intermédiaire de sa femme. « Est-ce qu’il arrive à Henry de croquer des grains de café pour se parfumer l’haleine avant une conférence importante ? » Maurice apprend également à connaître le corps de Henry grâce aux confidences faites sur l’oreiller. « Je savais qu’il avait un grain de beauté à gauche du nombril, parce que, sur mon propre corps, une marque de naissance l’avait un jour rappelé à Sarah ». Petit à petit, le couple n’a plus de secret pour l’écrivain en mal d’inspiration. Avec l’amour, viennent la jalousie et la souffrance. Un besoin d’exclusivité taraude Maurice qui ne peut s’empêcher de tourmenter Sarah à chacune de leur rencontre. Cette jalousie, l’écrivain aime à la cultiver dans ses romans. Dans l’un deux, adapté au cinéma, ce sont des oignons qui déclenchent une scène... « L’amant avait commandé un steak aux oignons et la jeune femme hésitait car son mari n’aimait pas l’odeur des oignons [...]. » Une femme infidèle, respectueuse des aversions olfactives d’un mari assez complaisant pour se laisser tromper, mais où va-t-on ?

Tout pourrait finir avec le serment que fait Sarah, un jour de bombardement. Alors que Maurice gît dans les décombres, Sarah fait le serment à Dieu de quitter son amant si celui-ci revient à la vie. Maurice n’est pas mort ; Sarah tient sa promesse. C’est « la fin d’une liaison » ; ce terme choisi par l’écrivain lui brûle pourtant la bouche comme le ferait de la « soude caustique ». Qui dit liaison, dit relation brève ! Maurice qui ne croit pas en l’éternité ne croit pas plus à la brièveté de cet amour.

La rupture est douloureuse pour les deux amants. Maurice n’a rien pour se raccrocher ; les mots « prière » et « Dieu » lui sont aussi inutiles que les « vêtements de femme », les « parfums » et les « crèmes de beauté » que la femme décédée laisse en héritage à son époux. Maurice aime la chevelure de Sarah (« sa chevelure répandue en éventail sur le plancher »), « l’odeur et le goût presque imperceptible de sa peau ».

Tout s’achève avec la mort de Sarah qui a réussi, avant de décéder, à convertir un athée convaincu, Mr Richard Smythe. « Le baiser au lépreux » de François Mauriac est le baiser que pose Sarah sur la joue tachée de Richard. « La tache de vin fripée qui couvrait sa joue de la pommette à la pointe du menton » est un signe de souffrance, lieu d’élection pour Dieu. En posant la bouche sur ce signe, Sarah embrasse son Dieu. Sur son lit de mort, Smythe dérobe une de ses mèches de cheveux. Maurice possède, quant à lui, le journal intime de Sarah.

La fin de la vie de Sarah laisse Henry aussi démuni qu’un enfant. Empêtré dans les détails matériels, il ne sait que faire des vêtements de Sarah, de ses « fards », de ses « parfums ». Les cosmétiques sont, vraiment, des produits bien encombrants. Henry ne gardera, sans doute, rien de celle qui a bouleversé la vie de trois hommes et laissé son sillage parfumé s’élever entre chacun d’eux.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et pasticien, pour cette représentation de l'amour en triplicate !

Bibliographie

1 Greene G. La fin d’une liaison, Robert Laffont Ed., Paris, 1951, 384 pages

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