Nos regards
Le Lilial®, une molécule parfumante sur siège éjectable !

> 27 juin 2019

Le Lilial®, une molécule parfumante sur siège éjectable !

Lilial est le nom commercial du 2-(4-tert-Butylbenzyl)propionaldéhyde. C’est sous son nom INCI de butylphenyl methylpropional que l’on pourra l’identifier sur les emballages cosmétiques. On le trouve également référencé sous le nom de Lysméral.1 Pour les anglophones, cet agent parfumant se cache sous l’abréviation BMHCA (p-tert-Butyl-alpha-MethylHydroCinnamic Aldehyde). Il constitue, aux yeux de certains auteurs, avec l’hexylcinnamal l’un des allergènes les plus fréquemment retrouvé dans les cosmétiques. Il rentre à ce titre dans le Top 6 des ingrédients parfumants présents dans les cosmétiques derrière le linalol, le limonène, le citronellol et le géraniol.2 Il se retrouve également dans la composition des parfums pour lessive et des désodorisants. Il est possible de le suivre à la trace dans les différentes pièces de la maison. On retrouvera ainsi sa présence de la salle de bain (1,09 mg/m3) à la cuisine (0,714 mg/m3), en passant par la buanderie (0,224 mg/m3).3 En fonction, des habitudes de chaque foyer, les teneurs décelées seront, bien évidemment, différentes. A l’école comme à la maison, les parfums s’invitent également pour le bonheur des uns et la crainte des autres. A Fermo, en Italie, l’école Montani, a été passée au « nez fin » ! Quatorze pièces ont été retenues afin de mesurer la qualité de l’air. Le Lilial® était présent dans 8 des pièces évaluées.4 De la cave au grenier, de l’école au bureau, il est possible de croiser le Lilial® dans de nombreux endroits. Cela valait bien un Regard !

Une odeur de muguet qui ravit les souris

Le Lilial® est caractérisé par une odeur de muguet. Cet agent parfumant de synthèse, utilisé depuis les années 1960 par l’industrie cosmétique, ne se retrouve que très rarement dans la nature.5 Certains champignons tel que Nigrospora oryzae sont, toutefois, capables de le synthétiser.6 Il entre, également, dans la composition de certains vins, participant ainsi à leur bouquet.7 Il est peu coûteux et est utilisable à faible dose, ce qui peut expliquer l’engouement dont il a fait l’objet. On le considère comme un agent fixateur du fait de la ténacité de son odeur.8 Le Lilial® est constitué d’un mélange de deux énantiomères possédant sensiblement la même odeur. La forme R possède toutefois une odeur aldéhydée plus marquée que la forme S. Les doses d’incorporation varient en fonction du cosmétique formulé. On pourra en retrouver de fortes doses (soit 1,9 %) dans les parfums ou des doses moindres dans les lotions après-rasage (0,6 %) ou encore dans les autres cosmétiques (dose inférieure à 0,12 %).9 Les souris sont particulièrement sensibles aux molécules odorantes à fonction aldéhyde. Elles sont capables de détecter la présence de Lilial® dans l’air dès une concentration de 0,001 ppm. Le bourgeonal, une molécule proche du Lilial®, est détectée, quant à elle, dès 10-10 ppm !10 Un record !

Une fragrance qui varie dans le temps

Sous l’action de certaines bactéries présentes au niveau de la flore cutanée, Staphylococcus aureus et Staphylococcus. epidermidis, le Lilial® est susceptible de donner naissance à différentes molécules dont le bourgeonal (ou 3-(4-tert-butylphenyl)propanal)) et le liliol (ou 3-(4-tert-butylphenyl)-2-methylpropan-1-ol).11

Un pouvoir oestrogénique très faible

Sur culture de cellules issues de carcinome mammaire (cellules MCF-7), l’effet oestrogénique démontré est des dizaines de milliers de fois moindre que celui la molécule de référence, le 17-bêta estradiol.12

Une augmentation de la production d’espèces réactives de l’oxygène

Si l’on en croit certaines études, Lilial® et kératinocytes ne font pas bon ménage. Une diminution de la viabilité cellulaire de cultures de kératinocytes immortalisés (cellules HaCat) peut ainsi être observée en présence de Lilial®. Cet effet est diminué en présence d’agents antioxydants.13 Si l’on s’intéresse au phénomène de passage transdermique du Lilial®, on restera, un peu, sur sa faim. Une étude réalisée sur 2 sujets met en évidence l’importance de l’état de la couche cornée sur ce phénomène. Après 30 minutes de contact d’une crème renfermant du Lilial®, 100 % de la dose déposée est retrouvée pour un sujet et seulement 63 % pour l’autre. L’échantillon étant réduit à sa plus simple expression, il est difficile de se faire une idée sur le taux de pénétration moyen de cet ingrédient.14

Un effet allergisant faible

Le Lilial® est considéré comme un agent faiblement, voire très faiblement sensibilisant.15,16 Le SCCNFP l’a classé en 1999 en liste II des allergènes  (molécules parfumantes, qui sont moins fréquemment signalés et donc moins documentés en tant qu'allergènes chez le consommateur) et non en liste I (molécules parfumantes qui, selon les connaissances existantes, sont des allergènes reconnus), ce qui permet de relativiser son effet allergisant.17 Quelques rares cas d’allergies sont publiés dans la littérature. On citera, par exemple,celui d’un jeune homme allergique à son anti-transpirant renfermant du Lilial®.5 Une étude multicentrique mondiale, publiée en 1996, plaçait le Lilial® en 14e position, parmi les allergènes les plus fréquents. Venaient en tête les ingrédients entrant dans la composition du Fragrance Mix I (47,3 % de réponses positives), le baume du Pérou (27,2 % de réponses positives) et l’huile essentielle d’Ylang Ylang (17,4 %). Avec un pourcentage de réactions positives de l’ordre de 1 %, le Lilial® était situé bien loin derrière.18

Une absence d’effet mutagène ?

Le test de Ames permet de conclure à l’absence d’effet mutagène du Lilial®.19 Le SCCS, toutefois, n’est pas entièrement confiant dans ce domaine. Des études complémentaires sont donc demandées.

Un effet répulsif vis-à-vis de certains insectes

L’effet répulsif du Lilial® est reconnu. Il peut donc entrer dans la composition de produits destinés à repousser certains insectes comme les moustiques. Une étude de 2018 montre que pour une même dose d’emploi (soit 1 %) le Lilial® est plus efficace que le DEET (N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide) vis-à-vis de Culex quinquefasciatus. Les auteurs en déduisent donc que des eaux de parfum renfermant du Lilial®, comme Bombshell de Victoria’s Secret ou Invanka Trump (le parfum éponyme commercialisé par la fille du président Trump) peuvent permettre de repousser les insectes, même s’ils ne l’affichent pas sur leur emballage. Les auteurs font, toutefois, remarquer que l’utilisation de répulsif reste de mise dans certaines zones infestées, les doses de Lilial® étant parfois plus faibles dans un parfum que dans un répulsif estampillé comme « répulsif ».20

Le Lilial®, en bref

Le Lilial® est un ingrédient qui est retrouvé en Annexe III du Règlement 1223/2009 (CE) N°1223/2009 modifié (n° d’ordre 83). En fonction de la dose incorporée dans le cosmétique, il sera donc présent ou non dans la liste des ingrédients.21 S’il n’existe pas de dose limite d’emploi au niveau du règlement, l’IFRA (International Fragrance Association) impose en revanche des doses limites d’emploi en fonction du produit cosmétique concerné (parfum, eau de toilette, déodorants, produits de maquillage…). Pour répondre à la question « le BMHCA est-il sûr d’emploi ? », le SCCS attendait le résultat d’études complémentaires concernant le pouvoir mutagène de l’ingrédient.21 C’est chose faite depuis le 10 mai dernier : le Lilial® ne pose pas de problème si l'on est exposé à un seul produit en contenant ;22 il n’en est pas de même si on utilise simultanément différents types de produits qui en renferment…

Bibliographie

1 Stueckler C, Mueller NJ, Winkler CK, Glueck SM, Gruber K, Steinkellner G, Faber K., Bioreduction of alpha-methylcinnamaldehyde derivatives: chemo-enzymatic asymmetric synthesis of Lilial and Helional, Dalton Trans., 2010, 28, 39, 36, Pages 8472-8476

2 Buckley DA, Fragrance ingredient labelling in products on sale in the U.K, Br J Dermatol., 2007, 157, 2, Pages 295-300

3 J. Pablo Lamas, Lucia Sanchez-Prado, Marta Lores, Carmen Garcia-Jares, Maria Llompart, Sorbent trapping solid-phase microextraction of fragrance allergens in indoor air, Journal of Chromatography A, 1217, 33, 2010, Pages 5307-5316

4 Teresa Cecchi, Identification of representative pollutants in multiple locations of an Italian school using solid phase micro extraction technique, Building and Environment, 82, 2014, Pages 655-665

5 Larsen WG, Allergic contact dermatitis to the fragrance material lilial, Contact Dermatitis., 1983, 9, 2, Pages 158-159

6 Miguel C. Landum, Maria do Rosário Félix, Joana Alho, Raquel Garcia, Carla M. R. Varanda, Antagonistic activity of fungi of Olea europaea L. against Colletotrichum acutatum, Microbiological Research, 183, 2016, Pages 100-108

7 Joan Bosch-Fusté, Montserrat Riu-Aumatell, Josep M. Guadayol, Josep Caixach, Susana Buxaderas, Volatile profiles of sparkling wines obtained by three extraction methods and gas chromatography–mass spectrometry (GC–MS) analysis, Food Chemistry, 105, 1, 2007, Pages 428-435

8 Schroeder M, Mathys M, Ehrensperger N, Büchel M, γ-Unsaturated aldehydes as potential Lilial replacers, Chem Biodivers., 2014, 11, 10, Pages 1651-73

9 Scherer M, Koch HM, Schütze A, Pluym N, Krnac D, Gilch G, Leibold E, Scherer G, Human metabolism and excretion kinetics of the fragrance lysmeral after a single oral dosage,  Int J Hyg Environ Health., 2017, 220, 2 Pt A, Pages 123-129

10 Linda Larsson, Matthias Laska, Ultra-high olfactory sensitivity for the human sperm-attractant aromatic aldehyde bourgeonal in CD-1 mice, Neuroscience Research, 71, 4, 2011, Pages 355-360

11 Esmaeili A, Afshari S, Esmaeili D, Formation of harmful compounds in biotransformation of lilial by microorganisms isolated from human skin, Pharm Biol., 2015, 53, 12, Pages 1768-1773

12 Charles AK, Darbre PD, Oestrogenic activity of benzyl salicylate, benzyl benzoate and butylphenylmethylpropional (Lilial) in MCF7 human breast cancer cells in vitro., J Appl Toxicol., 2009, 29, 5, Pages 422-34

13 Usta J, Hachem Y, El-Rifai O, Bou-Moughlabey Y, Echtay K, Griffiths D, Nakkash-Chmaisse H, Makki RF, Fragrance chemicals lyral and lilial decrease viability of HaCat cells' by increasing free radical production and lowering intracellular ATP level: protection by antioxidants, Toxicol In Vitro, 2013, 27, 1, Pages 339-348

14 B. Sgorbini, M. R. Ruosi, C. Cordero, E. Liberto, C. Bicchi, Quantitative determination of some volatile suspected allergens in cosmetic creams spread on skin by direct contact sorptive tape extraction–gas chromatography–mass spectrometry, Journal of Chromatography A, 1217,16, 2010, Pages 2599-2605

15 Jennifer Bartsch, Erik Uhde, Tunga Salthammer, Analysis of odour compounds from scented consumer products using gas chromatography-mass spectrometry and gas chromatography-olfactometry, Analytica Chimica Acta, 904, 2016, Pages 98-106

16 David W. Roberts, Estimating skin sensitization potency from a single dose LLNA, Regulatory Toxicology and Pharmacology, 71, 3, 2015, Pages 437-443

17 Ursula Klaschka, Risk management by labelling 26 fragrances?: Evaluation of Article 10 (1) of the seventh Amendment (Guideline 2003/15/EC) of the Cosmetic Directive, International Journal of Hygiene and Environmental Health, 213, 4, 2010, Pages 308-320

18 Walter Larsen, Hideo Nakayama, Magnus Lindberg, Torkel Fischer, James Nethercott, Fragrance contact dermatitis: A worldwide multicenter investigation (Part I), American Journal of Contact Dermatitis, 7, 2, 1996, Pages 77-83

19 Di Sotto A, Maffei F, Hrelia P, Di Giacomo S, Pagano E, Borrelli F, Mazzanti G, Genotoxicity assessment of some cosmetic and food additives., Regul Toxicol Pharmacol., 2014, 68, 1, Pages 16-22

20 Zeng F, Xu P, Tan K, Zarbin PHG, Leal WS, PLoS One., Methyl dihydrojasmonate and lilial are the constituents with an "off-label" insect repellence in perfumes, 2018, 19, 13, 6, e0199386

21 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=27932

22 https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs_o_213.pdf

 

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards