> 06 juillet 2019
L’acide salicylique, considéré comme un bêta-hydroxyacide par Kligman et comme un acide phénolique par Yu et Van Scott, est un ingrédient connu depuis plus de 6000 ans pour ses propriétés thérapeutiques.1,2 Il ne faudrait toutefois pas réduire l’activité de cette molécule au seul domaine médical. L’acide salicylique est, en effet, un ingrédient polyvalent qui convient aussi bien pour augmenter les défenses de certaines variétés végétales,3 que pour traiter les verrues, les états pelliculaires ou assurer la conservation des produits cosmétiques.4 Il peut être utile de préciser qu’en consommant des fruits et des légumes, on consomme également de l’acide salicylique, car celui-ci est présent dans de nombreux fruits (raisins, prunes, abricots…) et légumes (brocoli, concombre, épinard, patate douce…).5 On peut donc se poser la question suivante : quel est l’intérêt de cet ingrédient ? Est-il intéressant ou bien ne compte-t-il que pour des prunes ?
Pour les Assyriens, 4000 ans avant notre ère, pour les Babyloniens (600 ans avant notre ère), pour Pline (premier siècle de l’ère chrétienne) l’écorce de saule brûlée (on pense en particulier à la pâte réalisée par Pline à base d’écorce brûlée) ou non permet de traiter respectivement douleurs et inflammations ou bien callosités et verrues.1,6 Les applications thérapeutiques du saule sont nombreuses et retrouvées dans un grand nombre de civilisations. Hippocrate recommande aux patients atteints de fièvre et de douleurs de mâcher de l’écorce de saule pour venir à bout de leurs symptômes ; il prescrit aux femmes des infusions de feuilles de saule pour atténuer les douleurs de l’enfantement. Celsus, le spécialiste de l’inflammation (on lui attribue la description de celle-ci avec les 4 signes cliniques : douleur, rougeur, chaleur, œdème), recommande, quant à lui, une décoction de feuilles de saule chez les femmes souffrant de prolapsus utérin. Au XVIIIe siècle, les preuves de l’efficacité de l’écorce de saule s’accumulent. Les premiers essais cliniques voient le jour ; on commence à répertorier les effets bénéfiques de cette écorce dans le cas du traitement de la fièvre (constatations réalisées par Edward Stone) ou des rhumatismes (travaux de Thomas MacLagan). Il ne reste plus qu’à… extraire le principe actif du matériel végétal. C’est ce que Wilkinson va commencer à réaliser en 1803 ; il sera suivi par Brugnateli, Fontana et Buchner qui s’appliquent à purifier la préparation. En 1828, à l’Université de Munich, Buchner obtient une poudre jaune à laquelle il donne le nom de salicine, par référence à son origine. Le pharmacien Henri Leroux, en 1829, obtient, quant à lui, la forme cristalline de la salicine. Il s’agit d’un glucoside de l’alcool salicylique qui peut être hydrolysé et qui libère alors du D-glucose et de l’alcool salicylique ; celui-ci peut ensuite être oxydé pour donner naissance à l’acide salicylique. En 1860, Kolbe et Lautemann réalisent la première synthèse d’acide salicylique et fondent The Heyden Chemical Company, afin de commercialiser un analgésique et antipyrétique qui semble plein d’avenir. Les effets irritants pour l’estomac de l’acide salicylique vont venir semer la pagaille dans cette belle entreprise… Il s’agit désormais de mettre au point un dérivé mieux toléré. C’est la forme acétylée, mise au point par Felix Hoffmann, en 1897, qui deviendra plus tard célèbre – précisément en 1899 – grâce à la société Bayer.2 Dans la saga de l’acide salicylique, il faut également évoquer le nom de Piria et de Ething qui en réalisèrent l’extraction à partir des inflorescences de reine des prés (Spirea ulmaria), en 1838.7
L’acide salicylique est le produit d'hydrolyse de l’acide acétylsalicylique (ou aspirine). Cette impureté doit être recherchée dans les médicaments et ne doit pas dépasser certaines limites, dans la mesure où elle est susceptible d’engendrer un phénomène d’irritation.8 Cette donnée doit être prise en compte et susciter des interrogations face aux recettes-maison de masque renfermant de l’aspirine, et ce même si l’on n’est pas censé avaler son masque en cours de soin.9
L’acide salicylique est traditionnellement utilisé pour son effet exfoliant dans les pathologies squameuses. On l’incorpore en particulier dans les dispositifs permettant de traiter les verrues.10 Dans le cadre du traitement du psoriasis, l’acide salicylique est également bien connu. On trouve dans la littérature une curieuse publication datant de 1989 qui fait le point sur l’emploi d’un nouvel excipient (« huile Nivea nouvelle formule ») permettant la mise en forme galénique de ce principe actif. Un problème de solubilisation de l’acide salicylique incorporé à 3 % semble lié à cette « nouvelle » formule.11 Une publication récente fait état de l’efficacité d’un masque, renfermant 30 % d’acide salicylique, dans le cadre de la prise en charge des signes cliniques cutanés observés au niveau du visage dans le cadre d’une amylose cutanée. Chez une jeune femme de 26 ans souffrant de lésions cutanées à type de macules et de papules sur un fond érythémateux, on observa une réduction de l’inflammation cutanée après 5 semaines de traitement à raison de deux masques par semaine. L’effet exfoliant de la préparation en question, du fait de la destruction des desmosomes reliant les kératinocytes et l’effet anti-inflammatoire par inhibition de la production de prostaglandines constituent les deux modes d’action mis en avant dans ce cas précis.12 L’acide salicylique constitue également un actif permettant la réalisation de peelings superficiels. Il génère peu de réactions inflammatoires et est donc préconisé chez les sujets ayant tendance à développer des phénomènes d’hyperpigmentation post-inflammatoires. Les préparations utilisées sont des solutions éthanoliques dosées de 20 à 30 %. Les indications à ce type de peeling sont l’acné vulgaire (on rappellera au passage que l’acide salicylique est comédolytique et antimicrobien), les hyperpigmentations, le vieillissement cutané modéré et le vieillissement cutané photo-induit.13,14 Il faut compter 3 séances (sur un total de 6 séances espacées de 2 à 4 semaines d’intervalle) pour commencer à observer les effets du traitement. Les effets indésirables ressentis sont à type de brûlures et d’anesthésie de la zone traitée. Des urticaires et angiœdèmes sont également déclarés, en particulier, en cas d’allergies croisées avec l’aspirine. Selon les sujets, on privilégiera soit une solution hydro-alcoolique, soit une solution à base de macrogols, en fonction de l’effet recherché et de l’état de la peau. Dans le cas de sujets ayant déjà développé des hyperpigmentations post-inflammatoires, on privilégiera la solution à base de macrogols.15,16 L’acide salicylique est logiquement présent dans les shampooings antipelliculaires (squames grasses). Son incorporation dans une base lavante à 2 %, associé à la piroctone olamine (0,75 %) s’avère aussi efficace que l’emploi de la pyrithione-zinc dosée à 1 %17 ou de soufre utilisé seul.18 Dans le cadre de la dermite séborrhéique, l’acide salicylique, en association avec un antifongique type ciclopiroxolamine, est également parfaitement justifié.19
L’acide salicylique possède des propriétés antifongiques peu marquées ; le mécanisme d’action est basé sur la modification de la perméabilité des pores situés dans la membrane mitochondriale. Effet antifongique et effet kératolytique peuvent se combiner pour traiter certaines pathologies comme le pied d’athlète, par exemple.20
Dans les années 1990, se pose la question d’un éventuel effet photoprotecteur de l’acide salicylique incorporé dans des émulsions émollientes à destination des sujets atteints de psoriasis. On sait en effet que la famille des salicylés est une famille exploitable dans le domaine de la photoprotection topique. Berit et Ove Kristensen, des dermatologues suédois, mettent en avant l’intérêt d’utiliser des émollients renfermant de l’acide salicylique dans le cas de la prise en charge des effets indésirables de la photothérapie.21 Afin d’en avoir le cœur net, Neil Cox et Graham Sharpe décident de réaliser des tests sur volontaires (5 seulement !) avec des crèmes à base d’acide salicylique (le pourcentage incorporé est de 2 %, comme recommandé par Kristensen) avant et après irradiation dans le domaine UVB. Le bénéfice en matière de réduction de l’érythème apparaît nul, ce qui fait dire très justement aux auteurs que la dose d’emploi était sans doute trop faible.22
En cas d’utilisation prolongée de préparations fortement dosées, et sur de grandes surfaces cutanées, des phénomènes de toxicité systémique peuvent être observés. C’est ce qui est survenu chez un Mauritien de petite taille et de faible corpulence (46 kg pour 1 m 44), traité pour une ichtyose sévère, à l’aide d’une préparation renfermant 12 % d’acide salicylique. L’application de la préparation à base d’acide salicylique, deux fois par jour, sur 80 à 90 % de sa surface corporelle (tronc et membres) (environ 150 grammes / jour), pendant 20 jours, avait entraîné l’apparition de signes cliniques à type de malaise, nausées, acouphènes, atteinte auditive. Une acidose métabolique avait même due être prise en charge. Idem dans le cas d’un patient ayant utilisé une pommade à 40 % d’acide salicylique sur 41 % de sa surface corporelle.23 Ce phénomène, qui survient dans des cas d’utilisation intensive, est connu ; un certain nombre de décès – 13 selon Weiss et Lever – sont d’ailleurs à mettre en lien avec ce type de traitement.24 On sait que le passage transdermique est différent selon le type d’excipient. Il est plus important pour une émulsion que pour une pommade. Selon le tensioactif utilisé, on observera des différences en matière de pénétration cutanée.25 C’est pour cette raison que lorsque le psoriasis touche plus de 10 % de la surface cutanée, il est conseillé de se tourner vers d’autres thérapies.26
Concernant la sécurité d’emploi de cette matière première, le feu a été mis aux poudres en 2016 avec la proposition de classement comme un CMR de catégorie 2.27 Une réévaluation de la sécurité d’emploi de cet ingrédient s’est donc imposée. Le SCCS a statué, en 2018, en sa faveur, dans les conditions fixées par la réglementation cosmétique. L’acide salicylique peut être retrouvé au niveau de 2 annexes du Règlement (CE) N°1223/2009.28 Lorsqu’il est considéré comme un conservateur (Annexe V - n°3), il peut être utilisé à concurence de 0,5 %. Il est toutefois interdit dans les produits destinés aux enfants âgés de moins de 3 ans, à l’exception des shampooings. Lorsqu’il est utilisé à d’autres fins que la conservation des produits cosmétiques, il émarge en Annexe III (n°98). Il est alors autorisé à concurrence de 3 % dans les produits destinés à être rincés pour les cheveux et la pilosité faciale et à concurrence de 2 % dans les autres produits (avec la mention « Ne pas utiliser dans les préparations destinées aux enfants âgés de moins de 3 ans, à l’exception des shampooings »).
En conclusion, il conviendra de remettre chaque chose à sa place. Dans le domaine médical, l’acide salicylique rend toujours service, que ce soit pour traiter les cors (l’emplâtre Feuille de saule®, dosé à 40 % en acide salicylique, est toujours d’actualité) ou les verrues (Pommade Cochon® dosée à 50 % en acide salicylique), pour calmer les douleurs rhumatismales (Gel Synthol®) ou bien de la sphère buccale (Solution buccale Pyralvex®).29 Dans le domaine de la dermatologie, les peelings à l’acide salicylique sont également toujours en vigueur. Dans le domaine cosmétique, les doses d’emploi de cet ingrédient qui porte différentes casquettes sont encadrées et l’on ne peut pas faire n’importe quoi. Allié du sujet acnéique,30,31 allié des pieds en quête de douceur,32 allié des sujets souffrant de pellicules grasses,33 allié des sociétés en quête de naturalité,34 l’acide salicylique ne doit pas être boudé, quelle que soit l’étiquette (additif ou actif) qui lui est accolée. On se rappellera juste qu’il ne convient pas au jeune enfant…
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3 Enyedi AJ, Yalpani N, Silverman P, Raskin I, Localization, conjugation, and function of salicylic acid in tobacco during the hypersensitive reaction to tobacco mosaic virus, Proc Natl Acad Sci U S A., 1992, 15, 89, 6, Pages 2480-2484
4 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=28121
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6 Lin AN, Nakatsui T, Salicylic acid revisited, Int J Dermatol., 1998, 37, 5, Pages 335-342
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8 Salako Q, Fadiran EO, Thomas WO, Detection and determination of salicylic acid impurity in aspirin tablet formulations' by high performance liquid chromatography, Afr J Med Med Sci., 1989, 18, 3, Pages 215-218
9 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-aspirine-attention-danger-184/
10 Bart BJ, Biglow J, Vance JC, Neveaux JL, Salicylic acid in karaya gum patch as a treatment for verruca vulgaris, J Am Acad Dermatol., 1989, 20, 1, Pages 74-76
11 Helm TN, Ferrara RJ Jr, Dijkstra J, Soukup J, New improved Nivea oil cannot be used alone as vehicle for salicylic acid, J Am Acad Dermatol., 1989, 21, 4 Pt 1, Page 814
12 Wang L, Zhang N, Li XX, Jiang X, Biphasic amyloidosis involved in the face: Effective treatment with 30% salicylic acid, Dermatol Ther., 2019, 32, 1, e12743
13 Platsidaki E, Markantoni V, Balamoti E, Kouris A, Rigopoulos D, Kontochristopoulos G, Combination of 30% Salicylic Acid Peels and Mechanical Comedo Extraction for the Treatment of Favre-Racouchot Syndrome, Acta Dermatovenerol Croat., 2019, 27, 1, Pages 42-43
14 Kligman D, Kligman AM, Dermatol Surg., Salicylic acid peels for the treatment of photoaging, 1998, 24, 3, Pages 325-328
15 Landau M, Chemical peels, Clin Dermatol., 2008, 26, 2, Pages 200-208
16 Lee KC, Wambier CG, Soon SL, Sterling JB, Landau M, Rullan P, Brody HJ; International Peeling Society(IPS), Basic chemical peeling-superficial and medium-depth peels., J Am Acad Dermatol., 2018, 190-9622, 18, 33049-4
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18 Leyden JJ, McGinley KJ, Mills OH, Kyriakopoulos AA, Kligman AM, Effects of sulfur and salicylic acid in a shampoo base in the treatment of dandruff: a double-blind study using corneocyte counts and clinical grading, Cutis., 1987, 39, 6, Pages 557-61
19 Squire RA, Goode K., A randomised, single-blind, single-centre clinical trial to evaluate comparative clinical efficacy of shampoos containing ciclopirox olamine (1.5%) and salicylic acid (3%), or ketoconazole (2%, Nizoral) for the treatment of dandruff/seborrhoeic dermatitis, J Dermatolog Treat., 2002, 13, 2, Pages 51-60
20 Kodo N, Matsuda T, Doi S, Munakata H, Salicylic acid resistance is conferred by a novel YRR1 mutation in Saccharomyces cerevisiae, Biochem Biophys Res Commun., 2013, 26, 434, 1, Pages 42-47
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22 Cox NH, Sharpe G., Emollients, salicylic acid, and ultraviolet erythema, Lancet., 1990, 6, 335, 8680, Pages 53-54
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25 Shen WW, Danti AG, Bruscato FN., Effect of nonionic surfactants on percutaneous absorption of salicylic acid and sodium salicylate in the presence of dimethyl sulfoxide., J Pharm Sci., 1976, 65, 12, Pages 1780-1783
26 Börjesson C, Guinard E, Tauber M, Konstantinou MP, Livideanu CB, Mazereeuw-Hautier J, Meyer N, Paul C, Compounded topical preparations in plaque psoriasis: Still a place for it in 2018?, Dermatol Ther., 2019, 32, 1, e12780
27 Labib R, Bury D, Boisleve F, Eichenbaum G, Girard S, Naciff J, Leal M, Wong J., A kinetic-based safety assessment of consumer exposure to salicylic acid from cosmetic products demonstrates no evidence of a health risk from developmental toxicity, Regul Toxicol Pharmacol., 2018, 94, Pages 245-251
28 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=28121
32 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pour-une-rentree-du-bon-pied-764/
34 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/lorsque-le-pr-garnier-fait-de-la-pedagogie-champetre-990/