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Amour ardent pour une jeune fille « Polaire » !

> 24 juin 2023

Amour ardent pour une jeune fille « Polaire » !

A peine sortie de l’école de Montigny, voilà notre Claudine qui, à peine âgée de 17 ans, découvre l’amour dans les yeux d’un quadra, à moustaches soyeuses et œil qui frise ! La chatte Fanchette, « heureuse fille » dans le même état, fait les yeux doux à tous les matous du quartier. En mal d’amour, Claudine erre dans Paris,1 comme une « pauvre petite fille triste », jusqu’au jour où ses pas croisent ceux d’un vieux séducteur en quête de sensations nouvelles. Claudine tombe alors dans ses filets… Colette profite de cette amour de jeunesse pour nous conter l’histoire d’une jeune fille de la campagne transplantée dans un Paris tumultueux, par un été aride !

Un parfum d’adieu

Tout commence ainsi !

Le père de Claudine, un malacologue passionné, est bien décidé à quitter sa campagne natale, afin de pouvoir faire reconnaître son génie auprès d’un public parisien… Avant de partir - c’est un crève-cœur - Claudine parcourt les bois alentours, afin de retenir, au mieux, dans ses souvenirs olfactifs, le parfum « des champignons, des mousses mouillées, des girolles jaunes… » Difficile pour elle de dire adieu à tout ce qu’elle aime.

Un parfum de point trop propre

Lorsque Claudine évoque l’école de Montigny, ce ne sont que fragrances mêlées qui sont évoquées. Les petites filles sont presque toutes crasseuses à souhait. Une « hydrophobie » généralisée, qui les garde de se tremper dans l’eau et qui aboutit à des senteurs fortes, dès la rentrée du matin. Des petites filles qui se lavent les pieds, une fois pour toutes le samedi et qui s’étonnent de voir certaines de leurs camarades se « beûgner les pieds » tous les soirs. « Des manies ridicules de vieille fille », aux dires des plus sales de la classe !

Des ciseaux pour couper des cheveux

Les longs cheveux de Claudine ont été coupés, suite à une longue maladie, une sorte de typhoïde. Après deux mois passés au lit, sans être peignée, la longue chevelure de la jeune fille n’est plus qu’un vilain feutrage, qui la fait cruellement souffrir.

Claudine en est malade à hurler, tant cette masse kératinisée, qui lui a été volée, lui manque cruellement. Un matin, en effet, la petite a appelé sa gouvernante (Mélie) et lui a réclamé une petite glace pour s’observer et « de l’eau de Cologne pour » se « laver les oreilles ». Une petite tête ennuagée de cheveux coupés au ras des oreilles, voilà ce qui attend Claudine dans le miroir !

« Mais ce sont mes cheveux surtout ! Je ne peux pas y toucher sans avoir envie de pleurer… On me les a coupés, coupés sous l’oreille, mes copeaux châtain roussi, mes beaux copeaux bien roulés ». Le geste qui consiste à « relever » sa « toison », afin de se « savonner le cou »… Claudine continue à le faire machinalement, même si c’est désormais complètement inutile.

En constatant le désastre capillaire qui lui a été infligé, Claudine retombe en dépression et refuse de sortir. Il va pourtant bien falloir s’y faire et s’aérer un peu, faute de quoi elle retombera malade. Armée de ciseaux de couturières, Claudine s’attache donc à uniformiser la longueur de ses cheveux. Pour elle, pas question d’aller chez un coiffeur parisien… un ennemi pour l’instant. « Un coiffeur ferait mieux et plus vite ; mais ma misanthropie à l’égard de tout ce qui vient de Paris frémit, trop vive encore. »

Ce qui lui faudrait, c’est de la compagnie. Pourquoi ne pas aller rendre visite à la sœur du malacologue, une tante surnommée Tante Cœur, mais qui s’appelle en réalité Wilhelmine ? Pas tout de suite, en tout cas, s’écrit Claudine qui a, encore du mal, à accepter son profil de jeune pâtre. Papa est ravi, qui se replonge dans ses notes, ses ouvrages. « 36 troupeaux de cochons ! ça me fait bougrement plaisir que tu aies les cheveux coupés ! Non, enfin, je veux dire… c’est que je retape en ce moment un chapitre difficile. Il me faut encore une bonne semaine. » Pas sûr qu’en 8 jours les cheveux de Claudine aient le temps de repousser… c’est du moins le temps qu’il faut au chercheur pour avancer son travail d’érudition.

Une allure à la « Polaire »

Couturière et modiste sont d’accord pour trouver à Claudine une ressemblance certaine avec une actrice à la mode, une certaine « Polaire » !

Un parfum de bonjour

Première sortie direction… Le « Bon Marché » et ses odeurs de tissus variés. La grande Anaïs qui boulotait tout ce qui passait à portée de sa bouche ne résisterait pas à sucer les « cotonnades bleues neuves », à « odeur sucrée ». « Le parfum des chaussures neuves et des porte-monnaie » attire son attention. Tout comme « la divine exhalaison du papier bleu gras à tracer pour les broderies », une odeur franche et saine, qui « console de la poisserie écœurante des parfums et des savons. » Drôle de Claudine qui fuit le rayon cosmétique et s’alanguit au rayon broderie !

Un baquet pour laver un corps

Dans sa chambre parisienne, Claudine a fait parvenir un peu de sa région d’origine, sous la forme d’un « baquet en bois », qui fleure bon l’authenticité. Surtout pas de « tub » en zinc ! « […] à la place du tub, qui gèle les pieds, ridicule avec ses bruits de tonnerre de théâtre, un baquet en bois, un cuveau, là ! Un bon cuveau de Montigny, en hêtre cerclé, où je m’accroupis en tailleur, dans l’eau chaude, et qui râpe agréablement le derrière. »

Dans son baquet de bois, Claudine s’observe, traquant le moindre poil sur ses jambes (« Ce duvet-là, ça ne compte pas comme poil sur les jambes, au moins ? ») et s’astique pour se faire belle. « Brossons, brossons, les boucles, brossons les dents, brossons les ongles ! Faut que tout reluise, bon sang ! »

De drôles de goûts tout de même

Claudine aime « les bananes pourries, les bonbons au chocolat, les bourgeons de tilleul, l’intérieur des queues d’artichaut, le coucou des arbres fruitiers », ce coucou étant la résine qui s’écoule de l’écorce de ces arbres. Devant le feu, Claudine n’aime rien tant que sucer une tablette de chocolat, mise à la broche, tout en se « teignant les ongles des pieds en rose avec un petit chiffon trempé dans l’encre rouge » trouvée dans les affaires paternelles.

Un cousin Marcel qui fleure bon l’amitié, puis la jalousie

Marcel, le petit-fils efféminé de Tante Wilhelmine, s’attache rapidement à cette gentille cousine tombée du ciel. Les deux jeunes gens se promènent ensemble et se confient leurs secrets mutuels. Fascinée par l’odeur de cannelle de Claudine, « Une odeur chaude, une odeur de sucrerie exotique », une « odeur de tarte viennoise, une odeur bonne à manger », Marcel, sent, quant à lui, le « foin coupé », une odeur jugée par lui « bien simplette ». Lorsque Claudine embrasse la joue veloutée de Marcel, c’est un bouquet floral, puis fruité qui lui monte aux narines. Le parfum de Marcel est un parfum complexe, qui « ne se respire bien qu’avec la bouche » !

Marcel, un blond aux yeux bleus, qui contraste avec la brune Claudine. Un garçon, qui « sent bon » comme une fille et qui sort avec un certain Charlie.

Toutefois, en apprenant que son père est amoureux de Claudine… Changement d’attitude pour celui qui pense à son héritage ! A son avis, cette Claudine a bien manœuvré dans le but de se faire épouser par un parti tout à fait honorable.

Un oncle, cousin par alliance qui sent bon le premier amour

Le mari de Ida, le père de Marcel, séduit rapidement la jeune Claudine qui, après l’avoir appelé sobrement « mon oncle », se décide à l’appeler Renaud, pour plus d’intimité. Un bel homme à femmes, qui s’y connaît en matière de séduction et qui fleure bon le « tabac blond ». La quarantaine passée, la chevelure argentée, de fines rides aux coins des yeux… et l’art de plaire aux femmes. Lorsque Renaud comprend que son amour est partagé, le voilà aux anges, embaumé par celle qu’il appelle avec tendresse « Cher parfum » !

Et une copine de Montigny qui a réussi à Paris

Croisée dans les rues de Paris, la petite Luce joue à la dame… Entretenue par un oncle, la jeune fille vit dans le luxe et l’oisiveté. Un parfum de « Chypre » exhale de sa petite personne bien soignée.

Et un critique de théâtre à la barbe blonde comme les blés

Au théâtre, Renaud est comme un poisson dans l’eau, saluant l’un, baisant la main de l’autre. Bellaigue et sa barbe dorée « à l’eau oxygénée » est pointé du doigt d’un air moqueur !

Et une langue pour toiletter une coureuse invétérée

La chatte Fanchette amenée de Montigny est la propreté-même grâce à des séances de « washing » interminables.

Claudine à Paris, en bref

Entre désespoir et espoir fou, les sentiments de Claudine sont loin d’être polaires. Une jeune fille ardente, qui attend avec impatience le moment de devenir une femme. Pas sûr que Renaud sera le bon choix !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour. 

Bibliographie

1 Colette, Claudine à Paris, Le livre de Poche, Albin Michel, 1956, 248 pages

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