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Quand Colette nous livre la recette du gougnigougna !

> 18 juin 2023

Quand Colette nous livre la recette du gougnigougna !

Ce n’est pas l’histoire des petites filles modèles, que nous conte Colette dans le premier opus de sa série des Claudine ! A Montigny-en-Fresnois, la jeune Claudine, « quinze ans sonnés » tout juste, partage son temps entre les flâneries dans les bois odorants et la classe de Melle Sergent.1 Un vague air de gendarmette, cette enseignante… mais rien à voir avec la police des mœurs comme on le comprend rapidement ; en effet, Melle Sergent a un sérieux penchant pour les jeunes filles en général et pour Claudine en particulier. Une histoire qui fleure la horde sauvage composée d’écolières transpirantes, la menthe du bord des chemins, l’eau de Cologne bon marché !

L’odeur insupportable de la classe

Une odeur de troupeau, après 6 heures de classe. Une odeur « littéralement à renverser ». Une école publique, qui reçoit des « filles d’épiciers, de cultivateurs, de gendarmes et d’ouvriers surtout ; tout ça assez mal lavé » ! Et puis, il y a Claudine, une demoiselle de bonne famille, bien soignée, bien cosmétiquée qui jure dans cet ensemble de filles à la toilette négligée.

Claudine, impayable quant à son caractère

Quinze printemps, mais la taille d’une jeune personne de 18 ans. Une chevelure admirable, dont la couleur changeante évolue du « châtain obscur » à « l’or foncé ». Des cheveux laissés libres et qui forment une masse « remuante de boucles ». Claudine n’a jamais pu porter ses cheveux en chignon, tant ceux-ci sont lourds et susceptibles de lui occasionner des migraines intolérables. Dans la cour, pour permettre le jeu, Claudine attache ses cheveux en une longue « queue de cheval ».

Un teint mat de sauvageonne habituée à courir les bois, un teint qui s’anime et vire au pourpre (« Voici le fâcheux fard brûlant qui m’envahit »), lorsque le Dr Dutertre, aux mains intrépides, s’avère trop pressant.

Une allure sobre, des robes sombres, garnies, toutefois, de « grandes collerettes blanches, plissées ». Le fameux col Claudine !

Un caractère, cette Claudine, qui mène son monde à la baguette, rudoie la brave Luce, et observe avec intérêt les histoires d’amour des grandes personnes.

La sœur de lait de Claudine, intraitable quant à la qualité de son teint

Claire, la sœur de lait de Claudine, ne va pas à l’école. Elle garde les moutons, tout en rêvant aux garçons. Cette petite bergère n’use guère de cosmétiques. Elle prend, en revanche, soin de son teint et de ses cheveux, grâce à « grand chapeau cloche qui protège son teint et son chignon (le soleil fait jaunir les cheveux, ma chère !) » ».

Le père de Claudine, intraitable quant à la liberté consentie aux cheveux de sa fille

Un chercheur en « malacologie du Fresnois », qui passe son temps dans son antre à comparer les espèces de mollusques avec une sorte de volupté. Un chercheur qui prend son temps et aime à observer ses pensionnaires d’un œil exercé. Colette nous apprend ainsi qu’un « Limax flavus dévore en un jour jusqu’à 0,24 g de nourriture, tandis que l’Helix ventricosa n’en consomme que 0,19 g dans le même temps. » Vivant dans le monde des gastéropodes, cet homme semble inadapté au monde des vivants, n’émergeant que de temps à autre, juste le temps d’embrasser sa fille chérie et de lui interdire de tresser ses cheveux. (A l’inspecteur qui s’étonne des cheveux laissés libres de Claudine : « Et vous, mon enfant, pourquoi êtes-vous décoâffée (sic) et les cheveux pendants, au lieu de les porter tordus sur la tête et retenus par des épingles ? la jeune fille répond : « Monsieur l’inspecteur, ça me donne des migraines. L’inspecteur reprend : Mais vous pourriez au moins les tresser, je crois ? Claudine conclut : Oui, je le pourrais, mais papa s’y oppose. »

Melle Sergent, savamment cosmétiquée

Un peu pète-sec, la demoiselle. Autoritaire et laide, très laide même, malgré une chevelure incandescente. Une plastique impeccable… mais un visage qui fait tache. Une figure « bouffie » et un teint naturellement et quotidiennement enflammé.

Une directrice qui aime le luxe et collectionne dans sa chambre les références cosmétiques. « Toilette fort minutieusement garnie, petits et grands flacons de cristal taillé, ongliers, vaporisateurs, brosses, pinces et houppettes, cuvette immense et « petit cheval ». On précisera que ce petit cheval n’est autre que le bidet, qui permet de réaliser une toilette intime.

Melle Lanthenay, progressivement cosmétiquée

Aimée Lanthenay, l’adjointe de Melle Sergent, est jolie comme un cœur, toute fraîche de ses 19 printemps. Un teint à tomber par terre. Un de « ces teints délicats à l’œil », que l’on ne peut s’empêcher d’admirer, de contempler. Des cheveux « dorés doux comme de la soie ».

Une jeune fille discrète, à qui les faibles revenus ne permettent pas l’usage de multiples cosmétiques. Sur sa table de toilette, le strict minimum : « une petite glace ronde, une brosse à dents, du savon et c’est tout. » Pourtant, Claudine remarque, avec étonnement, que, depuis quelque temps, Aimée arrive « pomponnée et parfumée », comme si elle disposait des produits de beauté nécessaires et même plus que nécessaires. Ne serait-ce pas Melle Sergent qui partage avec elle ses produits cosmétiques ? Oui, c’est en effet le cas. Melle Sergent partage beaucoup de chose avec sa petite préférée, la comblant de présents et l’invitant à faire sa toilette dans sa chambre (celle de sa supérieure) et non dans la sienne propre. Claudine, qui a passé la main dans la cuvette, est affirmative : « Ne craignez pas de vous mouiller, il n’y a que de la poussière. »

Au fil du temps la nature des rapports entre Melle Sergent et Aimée sera de moins en moins secrète. Aux beaux jours, on pourra voir sortir d’une même chambre Melle Sergent « en peignoir de batiste rouge (sans corset, fièrement) » et sa dame de cœur, cheveux au vent (« les cheveux défaits et encore humides ») !

M. Antonin Rabastens, diablement séduisant

Un Marseillais, à l’accent qui chante. Le professeur des garçons, qui s’invite parfois dans la classe des filles, le temps de « donner des leçons de solfège », met tout un chœur de jeunes damoiselles en pâmoison. Un jeune homme soigneux, « pomponné » à souhait, qui fait battre bien des cœurs.

Le Dr Dutertre, diablement insistant

Délégué cantonal et médecin « des enfants de l’hospice », ce jeune médecin très séduisant passe son temps à traîner dans les couloirs de l’école, en quête de baisers volés. Avec son « teint hâlé », Dutertre à des allures « rasta », avec une « moustache d’un noir roussi comme si on l’avait flambée ». Amateur de jeunes et jolies filles !

La grande Anaïs, bougrement gourmande

Une grande asperge au teint jaune, mauvaise comme la peste. Toujours en quête d’un mauvais coup, Anaïs passe son temps à boulotter des fournitures scolaires. Ces « nourritures extravagantes » consistent en « fusain », « gomme à effacer », crayons de bois, « papier buvard », « craie », « plombagine » !

C’est la championne du « gougnigougna », « du fusain pilé dans l’encre de Chine, de manière à faire un mortier presque sec, qui tache les doigts sans défiance, intensément, et les robes et les cahiers » !

Une hygiène douteuse, nécessitant l’usage d’eau de Cologne à gogo, lors des cours de solfège du séduisant instituteur. Comme elle se mord les lèvres pour les rougir et qu’elle serre sa ceinture à mort, Anaïs, le souffle court, peine à faire sortir les notes de son gosier… Ses cheveux coiffés « en casque », « avec un soin méticuleux », témoignent de sa volonté de mettre toutes les chances de son côté en matière de séduction.

Luce Lanthenay, bougrement gentille

Luce, la petite sœur d’Aimée Lanthenay, est toute discrétion. Une « jeune fille pâle », aux yeux gris et à la « peau déveloutée » (déveloutée quesako ?). « Comme sa sœur Aimée », Luce dispose d’un « de ces heureux teints blancs et roses, inattaquables ». Luce ne demande qu’une chose… de la douceur !

Rose Raguenot, fichtrement sale

Rose Raguenot détient la palme de la saleté. Elle « se lave si mal que son linge est gris au bout de trois jours qu’elle le porte » !

Et un conseil pour combattre l’intertrigo

Parmi les pensionnaires, une élève est « tellement grasse qu’elle est obligée de se poudrer d’amidon un peu partout pour ne pas se couper. » On interprétera cette phrase énigmatique comme suit : afin d’éviter un intertrigo au niveau de ses plis, une élève en surpoids était obligée d’utiliser de la poudre d’amidon à propriétés absorbantes, afin de limiter le phénomène de macération et de calmer le prurit.

Et un pensionnat spartiate, mais bien tenu

Luce Lanthenay est pensionnaire. Grande admiratrice de Claudine, Luce se confie à elle, lui donnant tous les renseignements utiles concernant la vie en pensionnat. Elle lui apprend, par exemple, que « Le cabinet de toilette est sommairement meublé d’une grande table recouverte de zinc sur laquelle s’alignent huit cuvettes, huit savons, huit paires de serviettes, huit éponges, tous les objets pareils, le linge matriculé à l’encre indélébile. » Les bains ont lieu dans la buanderie. Une « grande cuve à vendanges » de la taille d’une pièce, « grande comme une chambre », est remplie d’eau chaude ; les filles y entrent ensemble pour se « savonner » !

Et des boissons DIY variées conditionnées dans des gourdes DIY

Aux beaux jours, les tenues strictes se relâchent. Les manches se relèvent, les décolletés prennent de la profondeur. Les jeunes filles apportent à l’école - même si cela est défendu - toutes sortes de boissons-maisons. De « l’eau vinaigrée », des « citronnades aigües », des eaux aromatisées à la menthe avec des « feuilles fraîches », de « l’eau-de-vie chipée à la maison et empâtée de sucre », du jus « de groseilles vertes », du « vin blanc coupé d’eau de Seltz, avec du sucre et un peu de citron », « du jus de réglisse si concentré qu’il tourne au noir »… On regrette le départ de la fille du pharmacien qui fournissait aux beaux jours à ses camarades des « flacons d’alcool de menthe » et de « l’eau de Botot sucrée » ! Les gourdes, fabriquées à la maison avec une bouteille et un tuyau de plume, permettent de boire en cachette, en glissant le système DIY sous un pupitre. Gare, toutefois aux accidents… On se crèverait un œil comme de le dire.

En route vers le certificat d’études

Aux beaux jours, Claudine et ses camarades partent à la ville passer les épreuves du certificat. Un voyage qui oblige à une certaine promiscuité, les épreuves se déroulant sur plusieurs jours. Réveil à 5h30 ! Immersion dans l’eau froide pour reprendre ses esprits et partager des provisions cosmétiques avec des jeunes filles peu habituées à utiliser un « savon parfumé » ou un « tire-bouton » !

Des examinateurs pointus qui posent toutes sortes de questions, embarrassant souvent les élèves les moins douées. Qu’est-ce que l’encre ? « Noix de galletanninoxyde de fergomme » ! Dans quelles proportions ? Silence gêné. La candidate n’a pas la réponse.

En route vers la remise des prix en présence du ministre de l’agriculture, M. Jean Dupuy

Pour cette occasion, l’école se met en frais. Venu pour le comice agricole, M. Dupuy, un « petit monsieur à ventre de bouvreuil », en profitera pour inaugurer la nouvelle école.

Pour cette occasion, toutes les filles seront de blanc vêtues, les cheveux savamment frisés. Toutes les classes sont en en ébullition et se mettent à fabriquer frénétiquement des papillotes. Les plus grandes ont la charge de friser la tête des plus petites, à l’aide des « bigoudis » improvisés à l’aide de feuilles arrachées dans de vieux cahiers. Claudine se réserve les têtes propres, non « habitées » ! « On frise… on frise… » sans discontinuer et on laisse les papillotes en place pendant au moins quatre jours. Toute honte bue, les demoiselles attendent impatiemment le jour du dépapillotage.

Le jour J, tout un essaim de gracieuses enfants dûment frisées font une haie d’honneur au ministre, un mouchoir arrosé de « sentibon » roulé dans la main. « Les mouchoirs parfumés d’eau de Cologne à bon marché » laisseront échapper une même et unique fragrance, du lever au couchant.

Claudine à l’école, en bref

Colette nous ravit, dans cette œuvre, par ces prouesses stylistiques. Les « petites emplâtres » que sont les élèves de l’école communale de Montigny n’ont plus de secrets pour nous. Leurs vices et leurs vertus sont exposés au plein jour, comme le linge étendu sur le fil… Avec brio, Colette évoque le monde de l’enfance troublée dans son innocence par des gestes et des regards qui parlent plus fort qu’une voix tonitruante. Cette école qui rase un peu Claudine… va-t-elle la regretter dans quelques semaines lorsque cette fleur des champs sera transplantée à Paris. Le malacologue l’a exigé… Son traité sur les limaces et apparentés ne pourra rencontrer le succès que si son auteur se déplace vers la capitale. Foi de limaçon !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Colette, Claudine à l’école, Le livre de Poche, Albin Michel, 2022, 315 pages

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