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Victimes des cosmétiques, c’est Octave Mirbeau qui en parle le mieux !

> 27 novembre 2022

Victimes des cosmétiques, c’est Octave Mirbeau qui en parle le mieux !

En 1885, dans le recueil de contes intitulé Lettres de ma chaumière d’Octave Mirbeau,1 on peut trouver une courte et percutante nouvelle (La tête coupée),2 laquelle fait un procès expéditif aux produits de beauté. Les cosmétiques constituent, en effet, pour certaines, une source d’addiction pouvant conduire au meurtre… Les victimes des cosmétiques (une femme laide qui tyrannise son mari, afin d’avoir toujours plus d’argent pour se procurer toujours plus de cosmétiques, un fonctionnaire aux revenus modestes, dont la seule ambition est de couvrir sa femme de cosmétiques, un camarade de l’époux dévoué qui vient opportunément de faire un gros héritage) sont comme engluées dans leur destin… Rien à faire pour échapper à la tyrannie de cette catégorie de produits censés rendre beau !

Le point de départ : un petit fonctionnaire modeste séduit par de gracieuses mimines

Le petit fonctionnaire aux faibles appointements décrit par Octave Mirbeau fut séduit, il y a 7 ans, par une jeune fille de 18 ans qui en paraissait 40 ! Ce n’est, on l’aura compris, pas le visage de la jeune fille (« Le teint fané, l’œil cerclé de bagues rouges, le nez mince et plat à sa naissance, gros et violet à son extrémité ; des lèvres pareilles à une entaille dans de la chair malade […]) qui attira le paisible employé, mais bien des mains « admirables » qui le captivèrent littéralement. Ces mains sublimes scellèrent définitivement le destin du malheureux homme.

Le point de non-retour : un petit fonctionnaire modeste, prêt à tout par amour

A peine la bague au doigt, voilà pourtant la laide aux mains de fée qui se transforme en carabosse aux mains de sorcière. Les doigts fins, effilés, gracieux… ne font, rapidement, plus le poids vis-à-vis du caractère acariâtre de celle qui, a priori, avait tout pour rendre un homme heureux. L’horrible mégère est odieuse avec sa moitié lorsque celle-ci revient de son travail. Le repas n’est pas prêt, les vêtements ne sont ni lavés, ni reprisés. La vaisselle vole à la moindre contrariété et il n’est pas rare de se prendre un plat d’épinard en pleine figure ! L’origine de ces crises d’hystérie : l’argent ! La dame est laide, c’est indéniable… mais elle est également très coquette, ce qui nécessite un budget confortable. Fourrures, dentelles, soie… La dame a une prédilection pour les belles et onéreuses matières. Côté cosmétiques (ces « fantaisies inutiles de toilette », comme les nomme son époux), la dame est une véritable ogresse tant elle consomme de références. « Elle achetait des onguents, des pots de fard, des crayons, qui traînaient sur tous les meubles, avec des houppettes de poudre de riz et des flacons d’odeur. Ses journées, elle les passait, devant sa glace, à se maquiller, à se contempler, à essayer, tantôt une aigrette de plumes, tantôt un piquet de fleurs, se décolletant parfois, bien qu’elle ne sortît jamais, minaudant, derrière un éventail - un pauvre éventail japonais de quatre sous - et parlant, dans un bal imaginaire, à de beaux messieurs chimériques et absents. » Cet amour des cosmétiques, ce besoin insatiable d’argent ne furent pas le point final de l’histoire d’amour de notre petit fonctionnaire. Au contraire, ému par la laideur de sa femme, le petit employé modèle se fit époux modèle, multipliant les emplois, cessant de dormir la nuit, afin de pouvoir engranger toujours plus d’argent. A la fin de chaque mois, au prix d’efforts considérables et au péril de sa santé physique et mentale, le pauvre homme arrivait, tant bien que mal, à offrir une centaine de francs supplémentaires à sa femme. « Pendant sept ans, j’ai passé mes nuits au travail, dormant une heure à peine, ne mangeant pas, brisé de fatigue, mais heureux si, à la fin du mois, je pouvais apporter à ma femme, une centaine de francs, qu’elle dépensait aussitôt en pommades, en glycérine, en menus objets avec lesquels elle se parait, se maquillait, se pomponnait. » Sept ans de galère, sept ans de tourments… pour une femme qui, même en utilisant force cosmétiques, ne fut jamais capable de grapiller une once de beauté. Quel destin ! Et puis, petit à petit, voilà notre homme qui commence à dérailler… Son esprit s’embrume. Les mots cosmétiques, argent, se mettent à résonner dans sa tête et à créer une cacophonie infernale !

Le point final : un petit fonctionnaire modeste, prêt à tuer par amour

De l’argent, de l’argent… il me faut de l’argent demain… Voilà la chanson habituelle qui sort des lèvres sèches de la terrible mégère, épousée par notre bon et tendre fonctionnaire. De l’argent… Tiens, mais justement, un collègue au ministère vient de toucher un héritage, trente mille francs en petites coupures. De quoi offrir bien des « fantaisies inutiles de toilette » à sa chère épouse ! Ni une, ni deux. Le meurtre odieux est commis… La tête de la victime est tranchée avec un « rasoir ». Les billets de banque sont ensuite introduits dans le crâne, afin d’en faire une tirelire pour le moins originale.

Et la tirelire sanglante est ramenée au domicile conjugal (« Notre chambre est illuminée par l’éclat de vingt bougies ; et ma femme a revêtu sa belle robe décolletée. Elle est là, à demi étendue sur un canapé, une rose dans les cheveux, ses épaules osseuses et ses petits bras maigres barbouillés d’une couche de blanc liquide ; elle est là, qui minaude derrière son éventail japonais, fait des grâces et des révérences... Je m’approche... »). Et l’épouse enduite de fard à la céruse se retrouve bientôt couverte de sang !

La tête coupée, en bref

Une nouvelle nette, précise, comme taillée au coupe-chou. La jeune fille laide à faire peur rencontrée par Georges, le petit fonctionnaire besogneux, n’a pas réussi, au fil des cosmétiques, à s’embellir. Rien n’y fait, pas plus les produits de soin à base de glycérine, que les produits de maquillage à base de céruse. Côté physique, c’est du lourd ! Côté moral, c’est également du lourd ! Persuasif, ce petit Octave Mirbeau ! En quelques pages, il arriverait presque à nous faire croire que les cosmétiques ne sont pas des produits essentiels ! Il arriverait presque à nous faire croire que ce sont des produits extrêmement dangereux !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=299

2 https://short-edition.com/fr/classique/octave-mirbeau/la-tete-coupee

 

 

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