Nos regards
Une tête sur un plateau et une valse de cosmétiques bien orchestrée !

> 24 juin 2020

Une tête sur un plateau et une valse de cosmétiques bien orchestrée !

Le tétrarque Hérode-Antipas a un curieux sens de la famille. Il a, en effet, répudié sa première femme au profit de la femme de son propre frère dont il a fait son épouse. Il en découle une certaine animosité entre gendre et beau-père ! Gustave Flaubert, nous permet, l’espace d’un court récit, de nous introduire dans la citadelle de Machærous, le jour même où l’on célèbre en grande pompe l’anniversaire du gouverneur Antipas.1 Alors que les troupes de beau-papa encerclent la cité, Antipas attend le renfort des Romains représentés par le proconsul Vitellius. Ce dernier arrive à temps pour participer aux libations réalisées à grand renfort de vins de palme et de tamaris.

La salle du festin est somptueuse. La table regorge de viandes de prix (taureau, loir, rossignol), de poissons, de fruits. Les pyramides de raisin, de pastèques et de grenades flattent l’œil autant que la papille. Antipas a mis du fard sur ses pommettes ; il a peigné sa barbe en « éventail » et a teinté sa chevelure d’une « poudre d’azur ». Des pulvérisations de « galbanum et d’encens » tentent d’assainir une atmosphère rendue nauséabonde par les vomissements d’Aulus, le fils de Vitellius, un goinfre qui n’a trouvé que ce moyen pour pouvoir manger encore et toujours plus.

Dans un cul de basse-fosse, pourtant, résonne la voix puissante du laokanann, cet homme aux « longs cheveux » qui « se confondent avec les poils de bête qui garnissent son dos ». Jean-Baptiste, du plus profond de la terre, hurle ses imprécations à destination d’un peuple à la tête trop dure et d’un gouverneur au cœur trop tendre. Antipas a la tête tournée par les vapeurs de « cinnamome » qui brûle, jour et nuit, dans les vasques de porphyre de la chambre d’Hérodias.

Jean-Baptiste en a, tout particulièrement, après Hérodias, une femme pleine de séduction qui a pris Antipas dans ses filets. « Le Seigneur arrachera tes pendants d’oreilles, tes robes de pourpre, tes voiles de lin, les anneaux de tes bras, et les petits croissants d’or qui tremblent sur ton front, tes miroirs d’argent, tes éventails en plume d’autruche, les patins de nacre qui haussent ta taille, l’orgueil de tes diamants, les senteurs de tes cheveux, la peinture de tes ongles, tous les artifices de ta mollesse [...] ». Hérodias use de poudres et d’onguents pour retenir sa beauté et conserver l’empire qu’elle exerce sur son époux.

Hérodias en veut, tout spécialement, à Jean-Baptiste qui fustige son état adultérin. Afin de se faire livrer la tête de son ennemi sur un plateau - expression à prendre au sens propre comme au figuré - Hérodias mise sur Salomé, la nièce pleine de charme d’Antipas. La jeune fille, à la peau blanche, aux lèvres peintes et aux sourcils noircis, se prête alors à une danse lascive devant un auditoire masculin particulièrement attentif et rapidement enflammé. Antipas, séduit, lui offre, comme c’est la coutume en de telles circonstances, la « moitié de son royaume ». Sur l’ordre de sa mère, Salomé réclame, plus prosaïquement, la tête de l’ennemi mortel qui empoisonne les jours et les nuits maternels.

« La tête de laokanann »... Tel est le prix à payer. « Des pleurs coulèrent sur les joues du Tétrarque », une fois, le forfait accompli.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien... et "Bonne fête" à lui !

Bibliographie

1 Flaubert G. Trois contes, Folioplus classiques, 2014, 225 pages

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