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Une histoire qui se répète...

> 26 novembre 2023

Une histoire qui se répète...

C’est fou comme l’histoire se répète chez Irène Némirovsky… Des couples modèles, qui semblent sans histoire et qui, pourtant, sont loin d’être sans histoire.1 Les femmes et les hommes au sang chaud se calment subitement pour mener une vie paisible. Recouverts d’un vernis de respectabilité, on leur donnerait le bon Dieu sans confession !

Il y a Hélène, François et Sylvio

Avant d’épouser François, Hélène a été mariée à un vieux barbon asthmatique de 60 ans, « un vieillard dur et avare » (!!!), alors qu’elle ne rêvait que d’une vie paisible aux côtés de François, tout en couchant occasionnellement avec un cousin de son vieil époux, un certain Sylvestre, surnommé Sylvio. La fille (Brigitte) née des amours d’Hélène et Sylvio, est escamotée en temps et heure ; c’est une vieille demoiselle, Cécile Duclos, qui se charge de l’élever. Par la suite, une fois assagie, Hélène épouse tranquillement François, l’homme de sa vie, qui lui donnera quatre enfants, une fille, Colette, et trois garçons (Loulou, Georges et Henri). Ouf !!!

Hélène avant, Hélène après

A 20 ans, Hélène est une jeune fille sensuelle, une belle brune, à la « peau de blonde », dont les lèvres ont « un goût de fruit » ! A 48 ans, c’est une femme placide, à la « peau douce et fanée », une bonne ménagère, qui fleure bon la « douce odeur de cire fraîche, de lavande, de confiture cuisant dans les grandes bassines. »

Pourtant, quand on la connaît bien, on reconnaît, sous l’épiderme encore assez frais, les traces de la jeune fille passionnée d’autrefois. « Encore maintenant elle a une beauté de plein vent comme celle du pêcher, ce grain délicat de la peau qui connaît à peine le fard et que l’air et le soleil ont dorée. »

Il y a Colette et Jean et Marc

Toute jeune encore, Colette épouse Jean Dorin du Moulin-Neuf. Un brave garçon que Colette s’empresse de tromper avec Marc Ohnet, un gars pas très honnête, qui fréquente les deux demi-sœurs simultanément.

Il y a Brigitte, son vieil époux et son amant Marc

Brigitte, une grande et belle jeune femme, aux yeux « verts et aux cheveux noirs », a épousé, très tôt, un vieil homme, pour accéder à une relative liberté. Un vieil homme riche, qui se plie à ses caprices et lui offre tout ce qu’elle désire. « Comment qu’elle le faisait marcher le vieux… Des robes, des parfums de Paris, des voyages. Tout ce qu’elle voulait. »

Brigitte n’hésite pas à ouvrir sa porte à Marc Ohnet… l’amant de Colette, sa demi-sœur !

Il y a Sylvio, le narrateur de cette histoire

Le narrateur de cette histoire, Sylvio, a été un aventurier qui a vécu au Canada (pour trafiquer des chevaux) et dans le Pacifique (pour trafiquer le coprah). A 20 ans, celui dont le sang bouillait dans son pays d’origine a voulu découvrir le monde… Il y a réussi. De retour au pays, Sylvio, un « garçon maigre, brûlé par le soleil, » ne s’est guère assagi. Pas vraiment le genre de garçon sage, à « la raie au milieu, les cheveux pommadés comme une tête de cire chez le coiffeur ». Fort, ardent, Sylvio est un homme passionné qui n’écoute que ses sens.

Il y a des Parisiennes qui débarquent dans un bar de province

Au village, Sylvio est un pilier de bar. Dans celui-ci, on ne rencontre que des habitués et parfois, tout de même, des vacanciers qui font halte par hasard. Sylvio raconte : « Des femmes m’ont toisé ; d’autres ont essayé en vain de se farder devant ces glaces livides qui déforment les traits. »

Il y a des campagnardes qui se taillent des robes dans la peau d’un cochon

Dans ce bourg de province, les mariages s’arrangent lors de dîners organisés dans cette intention. Les jeunes filles, vêtues de rose, « du rose fade de la dragée au rose cru du jambon en tranches », cherchent à plaire aux prétendants présents. La plupart ont des « mains rouges », peu gracieuses.

Chaleur du sang, en bref

Les chiens ne font pas les chats, dans le petit monde d’Irène Némirovsky. Lorsque les mères pèchent dans leur jeune temps, les filles font de même 20 ans après… Histoire d’un sang riche et bouillonnant ! Après, il est toujours temps de se ranger.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Némirovsky I., Chaleur du sang, Denoël, 2007, 195 pages

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