Nos regards
Une enfance sans cosmétique, une enfance sans tendresse !

> 23 février 2020

Une enfance sans cosmétique, une enfance sans tendresse !

« Poil de carotte », c’est le « petit nom d’amour » donné au petit dernier de la famille Lepic, pour la bonne et simple raison qu’il a « les cheveux roux et la peau tachée ».1 La consommation de cosmétiques chez les Lepic est directement proportionnelle avec la quantité de tendresse octroyée quotidiennement à ses différents membres et tout particulièrement à celui dont le nez est « creusé en taupinière », dont les oreilles sont des réceptacles à « croûtes de pain », dont le cou est recouvert d’une belle « crasse bleue », dont la peau des cuisses se couvre régulièrement de clous2 et dont l’odeur générale est très éloignée de celle du musc. Autant dire que cette famille ne connait ni les cosmétiques, ni l’affection maternelle.

Chez les Lepic, l'hygiène, c’est à l’eau froide, et même très froide lorsqu’il gèle. Poil de carotte court se débarbouiller « sans savon, dans l’auge du jardin. » Pour dire vrai, il fait plutôt mine de se laver, car, de toute façon, « on le trouve toujours sale, même lorsqu’il a fait la toilette à fond. »

A la pension Saint-Marc, point de douche, point de bain. On en revient, tous les 3 mois, avec des pieds noirs de charbon. Allez comprendre pourquoi c’est toujours Poil de carotte qui a les pieds les plus sales. De retour à la maison, Félix et Poil de carotte mêlent leurs pieds, pour le meilleur et surtout pour le pire, dans un baquet d’eau destiné à détacher la crasse accumulée au fil des jours. « Honteux », Poil de carotte plonge les pieds « dans l’eau avec l’habileté d’un escamoteur. On ne les voit pas sortir des chaussettes et se mêler aux pieds de grand frère Félix qui occupent déjà tout le fond du baquet, et bientôt, une couche de crasse s’étend comme un linge sur ces quatre horreurs. »

Ah si pourtant, on peut trouver quelques cosmétiques chez les Lepic. Il y a, en effet, un pot de pommade qui trône sur la cheminée de la cuisine. Le dimanche, le rituel de la toilette est « présidé » par la grande sœur Ernestine qui fait tout pour que ses frères soient tout beaux pour aller à la messe. Afin de magnifier les capillaires fraternels, Ernestine glisse avec délice les doigts dans le pot de pommade destiné à faire briller et à fixer la chevelure. Cette pommade est appliquée avec grande générosité (c’est le seul moment vraiment généreux de la semaine !)... Félix sait se défendre ; il refuse toute application de cosmétique. Si Ernestine ruse et en applique quand même elle en sera pour ses frais. « Là, dit-elle, je t’obéis, tu ne bougonneras point, regarde le pot fermé sur la cheminée. Suis-je gentille ? D’ailleurs, je n’ai aucun mérite. Il faudrait du ciment pour Poil de carotte, mais avec toi, la pommade est inutile. Tes cheveux frisent et bouffent tout seuls. » Félix n’est pas tombé de la dernière pluie ; il n’a qu’une confiance limitée en sa terrible frangine. Un petit passage devant la glace lui suffit pour comprendre qu’Ernestine ne s’est pas contentée de peigner son frère. Les cheveux qui brillent de mille feux témoignent de l’utilisation d’un produit à base de corps gras... très gras. Félix saisit une carafe d’eau et se la renverse sur la tête. Fin de l’incident pour Félix. Poil de carotte, quant à lui, disparait sous la pommade. Ses cheveux, un temps - très court - disciplinés ne tarderont pas à entrer en rébellion et se retrousseront, mèche après mèche, de manière inéluctable. « Couchés de force, quelque temps, sous la pommade, ils font le mort ; puis ils se dégourdissent, et par une invisible poussée, bossèlent leur léger moule luisant, le fendillent, le crèvent. »

Il y a aussi l’incontournable eau de Cologne qui permet de parfumer Ernestine, lorsqu’elle vient de finir l’épouillage de ses frères. Celui-ci s’effectue avec un « peigne fin » et une bassine de vinaigre où sont projetés les poux. Poil de carotte détient, c’est bien évident, le record absolu en matière de poux. Il en a systématiquement largement plus que Félix.

Poil de carotte est un enfant mal-aimé. Peut-être est-ce son phototype3 qui plaide en sa défaveur ? Poil de carotte n’a pas la chance d’avoir le visage d’ange de son voisin de dortoir, Marseau. Celui-ci fait plus d’un jaloux avec sa peau de fille qui rosit d’un rien. « Ce n’est plus une peau mais une pulpe. » La peau de Poil de carotte est atypique et semble ne lui attirer que des déboires !

Dans la famille Lepic, tout est piquant, acide, acéré. Ce monde manque cruellement de crèmes onctueuses, de shampooings doux, de laits délicieusement parfumés... Un monde sans cosmétique est décidément un monde bien triste !

De l'eau de Cologne, une pommade grasse et une couleur orange... un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ton illustration !

Bibliographie

1 Renard J. Poil de carotte, Editions J’ai lu, 1971, 184 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-clou-du-spectacle-un-furoncle-sur-la-peau-1117/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-phototype-i-selon-conan-doyle-688/

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