Nos regards
Un roman qui sent la brillantine !

> 24 mars 2024

Un roman qui sent la brillantine !

Etrange ce locataire, qui aime à traîner en savates dans la cuisine de sa logeuse ! Il lui en raconte des choses, cet homme si particulier, capable de rester toute la journée sans faux-col ou bien, au contraire, de revêtir des chemises de soie. Un séducteur, qui tombe dans une location modeste et tourne la tête de la propriétaire des lieux. Il règne, dans ce roman de Georges Simenon, une ambiance à couper au couteau. Nous en avons débité une bonne tranche cosmétique !1

Elie Nagéar, un jeune homme qui sue le crime

Elie est un jeune homme de 35 ans, « très mince », élégant, d’origine portugaise, de nationalité turque. Ce jeune homme, qui a vécu dans de nombreux pays, vient de claquer ses dernières économies dans une affaire véreuse de vente de tapis. Sans le sou, Elie se fait voyou, n’hésitant pas à tuer un riche Hollandais, afin de vider son portefeuille bien garni !

Son crime perpétré, il n’a plus qu’une seule issue : se cacher dans la famille de sa maîtresse Sylvie, le temps que l’affaire se tasse.

Grippé, suant, à bout de nerfs, Elie se fait conduire, en taxi, à Charleroi, chez les parents de Sylvie. Il s’arrête, toutefois, en route, chez le coiffeur, afin de reprendre forme humaine, mais aussi pour pouvoir faire de la monnaie sur un billet de mille ! Une coupe, une « friction » ! « Les doigts du coiffeur étaient jaunis par la cigarette et l’odeur de tabac mêlée à celle du savon soulevait le cœur d’Elie. »

Sylvie Baron, une jeune femme qui fleure la cocotte

Danseuse au bar Le Tabarin, au Caire, Sylvie n’a pas mis longtemps à mettre le grappin sur Elie lors de la traversée, à bord du paquebot Théophile Gautier qui les ramène en France. Direction Paris, puis ensuite Bruxelles. Enfin, Charleroi afin de rendre visite à ses parents. Une halte au Bon Marché, tout de même, avant de s’engouffrer dans le taxi qui la ramène at home ! Quelques minutes avant d’arriver chez ses parents, Sylvie se refait « une beauté » !

M. Van der Cruyssen, l’homme d’affaires qui sent l’oseille

Ce « M. Van der Chose » (c’est ainsi que l’appelle Sylvie) est plein aux as. Il partira ce soir dans le train de Paris, les poches bourrées de billets de banque. Elie, qui est dans la chambre d’hôtel voisine, a entendu la transaction se faire ; le Hollandais est porteur d’une grosse somme d’argent en liquide.

Antoinette Baron, la jeune sœur poudrophile et osmophobe

Antoinette, la sœur de Sylvie, est une jeune fille rousse, et même d’un « roux ardent », aux yeux rieurs. Une jeune fille qui ne boude pas les cosmétiques et met déjà du rouge à lèvres, comme en témoigne le dialogue avec sa sœur.

Sylvie : « Tu te mets du rouge, maintenant ? »

Antoinette : « Pourquoi pourrais-tu en mettre et moi pas ? »

Sylvie : « Cela ne te va pas. A ton âge… »

Antoinette : « Surtout qu’à mon âge tu n’étais pas déjà maquillée !... »

Une jeune fille, qui se maquille mal ou, tout du moins, n’utilise pas les cosmétiques les plus adaptés. « Sur son visage enfariné de poudre, elle dessinait aussi mal que possible une bouche trop saignante. »

Une jeune fille qui ne supporte pas les odeurs de parfums.

Mme Baron, une mère de famille qui embaume le pot au feu

Une femme bonne, qui chouchoute ses locataires, reprise leurs chaussettes et concocte de bons petits plats (on la trouve en train d’éplucher des légumes à longueur de roman). Une femme qui comprend vite qu’Elie est recherché par la police et qui se garde bien de chasser cet étrange locataire. Mme Baron pleure sur le sort d’Elie. Elle pleure et elle se poudre pour cacher ses larmes (« Tu devrais mettre de la poudre, maman. On voit que j’ai pleuré ? »).

M. Moïse Kaler, un étudiant pauvre, qui transpire la misère

Un étudiant pauvre qui révise ses cours dans la cuisine, pour économiser sur les frais de chauffage de sa chambre.

M. Valesco, un étudiant pauvre qui embaume l'air

Un autre étudiant pauvre, qui se balade dans la maison en « pyjama à rayures bleues », les « cheveux enduits de brillantine » et « rasé de frais » ! Antoinette n’aime guère ce coco-là, eu égard au sillage odorant laissé sur son passage (« Elle haussa les épaules, renifla la tête de Valesco et murmura : Je n’aime pas les hommes qui se parfument comme des poules. »). Un drôle de personnage, qui sort tous les soirs après avoir usé de toutes sortes de cosmétiques. « Et Valesco alla se parfumer, se poudrer, se recoiffer avant de sortir. »

M. Domb, un locataire d'une propreté exceptionnelle

Un « grand Polonais », très correct. Un homme, à la propreté scrupuleuse, dont « la peau fraîche » laisse à penser qu’il vient tout juste de « sortir du bain » !

Et un drôle d’eczéma

« Au flanc des grands cônes noirs des houillères qui se dressaient sur le ciel, des traînées de neige persistaient comme un eczéma » !

Et un drôle de bain

La brasserie de la place de Brouckère, à Bruxelles, est une brasserie sympathique, où l’on se sent bien. Sylvie y évolue comme un poisson dans l’eau… « C’était reposant comme un bain […] » !

Le locataire, en bref

Le crime d’Elie ne restera pas impuni. Le bagne… voilà, la fin du voyage de ce locataire, plein de verve qui, durant quelques jours, a fait voyager sa logeuse à peu de frais. A La Rochelle, Mme Baron est là afin de voir, une dernière fois, cet étrange étranger, qui l’a fait sortir de son quotidien… rien qu’une fois dans sa vie.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Simenon G., Le locataire in Tout Simenon 19, France Loisirs, 990 pages, 1992

 

Retour aux regards