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Un produit solaire 100 % naturel, est-ce envisageable et que faut-il en penser ?

> 24 mai 2021

Un produit solaire 100 % naturel, est-ce envisageable et que faut-il en penser ?

Tous les ans, c’est la même chanson, les filtres UV sont vilipendés ; on entend par là les filtres UV présents à l’Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009 modifié. Ils auraient tous les défauts... et ce en bloc. Polluants, perturbateurs endocriniens, allergisants ! Ben, voyons ! Ah, ces vilains filtres chimiques (Ah ! cette appellation qui nous irrite au plus haut point, puisque toute molécule est par nature… chimique), on rêve de les remplacer par de gentils filtres naturels, présents, comme leur nom l’indique, dans la nature, cette mère généreuse qui, on le sait bien, ne réserve aucune mauvaise surprise à ses enfants… Du coup, les publications qui suivent la courbe de l’intérêt populaire pour les ingrédients issus de la terre-mère ne cessent d’augmenter en nombre (mais pas en qualité). Certains auteurs réalisent de belle synthèse, faisant le point sur un sujet à l’intérêt exponentiel.1 Succès garanti. Toutefois, lorsque l’on se penche sur les publications en question, on s’interroge. Il y a comme qui dirait des choses bizarres ! Allez, c’est parti pour une courte revue de la littérature scientifique !

Le Moringa, modeste source, (très modeste source même !) de filtre UV

Moringa oleifera, arbre de vie... rien que ça. On imagine un peu tout ce que l’on peut extraire de cet arbre qui traite, en médecine traditionnelle, des problèmes aussi variés que les problèmes de fertilité, le diabète ou l’hypertension artérielle. L’extrait de feuille de moringa est également présenté, par certains auteurs, comme un ingrédient à valoriser dans le domaine de la photoprotection topique. Un extrait aqueux renfermant 4 % de feuille de moringa permettrait d’obtenir un SPF de 2,01 et un Facteur de protection UVA de 1,44. Des résultats plutôt minimalistes.2

La rue, source de filtre UV mais...

La rue (Ruta graveolens) est présentée par des équipes espagnoles, portugaises et brésiliennes comme une source potentielle de filtres UV. L’extrait testé (200 microgrammes/mL) permet d’obtenir un SPF de 5,34 +/- 0,1.3 Seul problème (et non des moindres !) les extraits de cette plante figurent à l’Annexe II du Règlement (CE) N°1223/2009 modifié, c’est-à-dire sur la liste des substances interdites dans les cosmétiques ;4 ils ne pourront donc bien évidemment pas être utilisés pour formuler des produits de protection solaire ayant un statut de cosmétique. Comme il existe un vide réglementaire dans le domaine des dispositifs médicaux à fonction photoprotectrice peut-être un espoir pour les amateurs de cette plante bien connue pour ses propriétés toxiques ?5

La silymarine, un filtre UV intéressant

La silymarine, contenue dans le chardon-Marie, est connue pour son effet anti-oxydant. Il y a quelques années, nous nous étions intéressées à cette molécule, l’incorporant à 10 % dans un excipient (émulsion H/E). Le SPF déterminé alors était de 9.6 Seul bémol, le coût de revient.

Le poivre rose, une épice de compétition

Schinus terebinthifolius est une épice de compétition, si l’on en croit Oliveira et al. L’extrait de fruit entier permettrait ainsi d’obtenir un SPF de 20,15 (pour une dose d’emploi de 15 mg/mL) ; il faut préciser que, dans les mêmes conditions (et grâce à la formule de Mansur), la benzophénone-5 explose les compteurs avec un SPF de 28,31 !7 Ceci explique cela... Avec une loupe grossissante, évidemment, les SPF sont dilatés !

Crataegus pentagyna, la bouteille à l’encre ou le tout ou rien

On sait l’importance du mode d’obtention des extraits végétaux en matière d’efficacité ; pour le crataegus... l’effet est criant. A une dose d’emploi de 2 mg/mL, l’extrait obtenu avec un Soxhlet est pitoyable (le SPF est de 0,152 - ce qui est étonnant puisque cette valeur ne peut pas être inférieure à 1 !). L’extrait, en revanche, obtenu avec des ultra-sons serait excellent (SPF de 24,47).8 On n’en croit pas nos yeux !

La lignine, la substance aux super-pouvoirs !

La lignine est présentée, par certains auteurs, comme un filtre naturel intéressant. Utilisée à 5 %, elle permettrait d’atteindre un SPF compris entre 2,80 et 3,53 (effet modeste certes, mais non négligeable quand même !) ; d’autres auteurs, qui utilisent des extraits de lignine observent des performances beaucoup plus importantes. Il faut dire que la dose d’emploi est doublée ; dans ces conditions le SPF est de 8,65 +/- 0,21. Ce n’est pas fini... la palme revient à un dérivé de lignine greffée avec de la polydomanine... de la folie ! Un SPF de 195,33 (admettons qu’à cette valeur-là les chiffres après la virgule ne sont plus vraiment percutants). Un SPF véritablement dopé qui aura, dans ces conditions, peut-être un peu de mal avec les douanes !

Les mycosporines like amino-acids (MAAs), quand les filtres sont déjà dans la mer !

Les mycosporines like amino-acids sont pressenties, depuis longtemps, comme des candidates pour formuler des produits solaires naturels. Une publication datant de 1993 présente ces molécules comme des ingrédients absorbant entre 310 et 360 nm destinés à protéger des UV les organismes qui en contiennent. On ne sait en effet pas trop bien quel autre rôle leur assigner !9 Porphyra-334 est ainsi considéré comme un ingrédient photoprotecteur vis-à-vis des UVA.10 Un nom qui découle de l’algue où l’on en retrouve en fortes proportions (Porphyra) et de sa longueur d’onde maximale d’absorption (334 nm).11 Un effet photoprotecteur faible dans le domaine UVB (le SPF, déterminé in vitro, avec l’équation de Mansur n’est que de 1,23) !12 La shinorine, la palythine, l’asterina-330, les aplysiapalythines A et B, la mycosporine-glycine, la mycosporine-alanine-glycine, la mycosporine méthylamine thréonine, l’usujirène, le palythène... autant de de molécules à étudier ! Des molécules retrouvées en quantité plus ou moins importante selon l’algue considérée (la petite Ulva lactuca et ses 0,005 mg/g de MAAs ne faisant bien sûr pas le poids avec le plantureux Gymnogongrus griffithsiae et ses 7,786 mg/g).13 A l’heure actuelle, une soixantaine de brevets sont déposés concernant cette famille d’ingrédients. Du point de vue des matières premières commercialisées, on signalera l’Hélioguard 365® (nom INCI : Aqua/ Water (and) Lecithin (and) Alcohol (and) Sodium Lactate (and) Porphyra Umbilicalis Extract (and) Phenoxyethanol)14 et Hélionori® (Nom INCI : Water (and) Porphyra umbilicalis extract).15,16 Pas de problèmes, semble-t-on nous dire avec ces filtres qui sont déjà dans la mer, un peu plus, un peu moins ! Attention toutefois car certaines MAAs font penser, d’un point de vue structurel, à des toxines…

Une huile de tournesol exceptionnelle

Et puis il y a des huiles végétales qui semblent tourner la tête de certains chercheurs qui, grâce à de savants calculs, arrivent à obtenir un SPF très honorable avec seulement 5 % d’huile incorporée dans une émulsion. Une unité SPF par pourcentage d’emploi dans le cas d’une nano-émulsion renfermant en outre du Tween 80, du Span 80, des parabens, du propylène glycol, de la glycérine, de la carboxyméthylcellulose sodique et de l’eau. L’émulsion de base, quant à elle, génère un SPF de 0,06,17 c’est-à-dire nul ! Ceci explique peut-être cela !

Alors, les filtres naturels, meilleurs pour la santé ?

Les molécules filtrantes présentes dans les végétaux possèdent des noyaux stilbène, cinnamique... donc finalement des structures chimiques que l’on connait tant elles sont décriées dès lors que l’on pense qu’elles font références à des ingrédients de synthèse. Mais si c’est naturel alors là... ça mérite réflexion !

Un produit solaire naturel, est-ce que c’est possible ?

Si l’on se réfère à l’avis aux fabricants émanant de l’Ansm et publié en 2017,18 (tiens c’est bizarre l’avis n’est plus sur le site de l’agence) un produit ne renfermant pas de filtres UV listés en Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009 modifié ne peut en aucun cas prétendre au titre de produit solaire. Si l’on fait un rapide bilan des publications scientifiques consacrées au sujet, on se rend compte de la cacophonie qui règne. Lorsque l’on nous vend de l’huile de tournesol comme un filtre efficace (une unité SPF par pourcentage d’emploi), on craint un peu que les friteries ne se mettent à recycler leurs huiles (de manière éco-responsable !) usagées sur les plages, cet été. Quelle catastrophe ! Allons soyons un peu plus raisonnable ; un bon produit solaire est un produit formulé avec des filtres UV qui ont fait leur preuve et non en mélangeant des épices, des huiles végétales et des extraits divers et variés à l’efficacité contestable et la toxicité inconnue (ou trop connue).

Bibliographie

1 Hailun He 1Anqi Li 1Shiqin Li 1Jie Tang 2Li Li 1Lidan Xiong, Natural components in sunscreens: Topical formulations with sun protection factor (SPF), Biomed Pharmacother, . 2021 Feb;134:111161

2 Baldisserotto A, Buso P, Radice M, Dissette V, Lampronti I, Gambari R, Manfredini S, Vertuani S., Moringa oleifera Leaf Extracts as Multifunctional Ingredients for "Natural and Organic" Sunscreens and Photoprotective Preparations., Molecules., 2018, 15, 23, 3, 664

3 Letícia Caramori CefaliJanaina Artem AtaideAna Rita FernandesElena Sanchez-Lopez, Ilza Maria de Oliveira SousaMariana Cecchetto FigueiredoAna Lucia Tasca Gois RuizMary Ann FoglioPriscila Gava Mazzola, and Eliana Barbosa Souto, Evaluation of In Vitro Solar Protection Factor (SPF), Antioxidant Activity, and Cell Viability of Mixed Vegetable Extracts from Dirmophandra mollis Benth, Ginkgo biloba L., Ruta graveolens L., and Vitis vinífera L., Plants (Basel)., 2019, 8, 11, 453

4 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results

5 Bernstein N, Akram M, Yaniv-Bachrach Z, Daniyal M. Is it safe to consume traditional medicinal plants during pregnancy? Phytother Res. 2021;35(4):1908-1924.

6 Couteau C, Clotilde CheignonEva PaparisLaurence J M Coiffard, Silymarin, a molecule of interest for topical photoprotection, Nat Prod Res, 2012;26(23):2211-4

7  Oliveira MBS , Iara B Valentim , Tauane S Rocha , Jaqueline C Santos , Keyla S N Pires , Eloiza L L Tanabe , Karen S C Borbely , Alexandre U Borbely , Marília O F Goulart, Schinus terebenthifolius Raddi extracts: From sunscreen activity toward protection of the placenta to Zika virus infection, new uses for a well-known medicinal plant, Ind Crops Prod, . 2020 Sep 15;152:112503

8 Ebrahimzadeh MA , Reza Enayatifard , Masoumeh Khalili , Mahdieh Ghaffarloo , Majid Saeedi , Jamshid Yazdani Charati, Correlation between Sun Protection Factor and Antioxidant Activity, Phenol and Flavonoid Contents of some Medicinal Plants, Iran J Pharm Res, 2014;13(3):1041-7

9 Garcia-Pichel F, C.E. Wingard, R.W. Castenholz, Appl. Environ. Microbiol., Evidence regarding the UV sunscreen role of a mycosporine-like compound in the cyanobacterium Gloeocapsa sp, 59, 1, 1993, 170-176

10 Torres A, Enk CD, Hochberg M, Srebnik M., Porphyra-334, a potential natural source for UVA protective sunscreens., Photochem Photobiol Sci., 2006, 5, 4, 432-5

11 Chuang LF, Chou HN, Sung PJ., Porphyra-334 isolated from the marine algae Bangia atropurpurea: conformational performance for energy conversion., Mar Drugs., 2014, 3, 12, 9, 4732-40

12 Bhatia S, Sharma K, Namdeo AG, Chaugule BB, Kavale M, Nanda S., Broad-spectrum sun-protective action of Porphyra-334 derived from Porphyra vietnamensis., Pharmacognosy Res., 2010, 2, 1, 45-9

13 Lawrence KP, Long PF, Young AR., Mycosporine-Like Amino Acids for Skin Photoprotection., Curr Med Chem., 2018, 25, 40, 5512-5527

14 https://mibellebiochemistry.com/helioguardtm-365

15 http://www.gelyma.com/helionori.html

16 Rosic NN., Mycosporine-Like Amino Acids: Making the Foundation for Organic Personalised Sunscreens., Mar Drugs., 2019, 12, 17, 11, 638

17 Arianto  A, Cindy Cindy, Preparation and Evaluation of Sunflower Oil Nanoemulsion as a Sunscreen, Open Access Maced J Med Sci, 2019 Nov 14;7(22):3757-3761

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/non-l-huile-de-karanja-n-est-ni-un-filtre-solaire-ni-un-produit-de-protection-solaire-138/

 

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