Nos regards
Un parfum d’habitudes, une bouffée de trahison !

> 31 juillet 2022

Un parfum d’habitudes, une bouffée de trahison !

Imaginez une petite Anglaise, toute excitée à l’idée de retrouver son mari (celui-ci travaille une partie du temps à Berlin) ; elle se pomponne, se parfume, se maquille avec soin, met la maison en ordre, fait préparer un bon petit repas... pour un époux qui arrive en retard, baille en permanence... Il y a anguille sous roche.1 L’époux fidèle semble s’être transformé au fil du temps en un mari volage qui ne cherche même plus à donner le change.

Des préparatifs cosmétiques soignés la veille, le matin

A J-1, un passage chez le coiffeur avec shampooing et relooking. « Ses cheveux avaient été lavés et arrangés la veille, coiffés derrière les oreilles, sans raie, comme l’actrice qu’elle admirait. »

A J0, bain et exercices de culture physique ! Pour commencer un bain, puis toute une gymnastique assouplissante digne d’une athlète la veille des jeux olympiques (« En prenant son bain, elle chantonnait, sa voix lui semblait riche et puissante, l’eau coulait, la vapeur montait, et plus tard, devant la fenêtre ouverte, elle se plia en deux et se balança d’avant en arrière, touchant ses pieds avec ses doigts, puis étira les bras au-dessus de sa tête. ») Une fois lavée à fond, l’habillage, avec du linge « propre », qui sent encore la blanchisserie. Une vaporisation généreuse de parfum, pour chasser cette odeur et laisser une empreinte plus personnelle.

Un dernier regard à la salle de bains avant d’en sortir. Une sorte d’inspection pour vérifier que tout est bien à sa place. Un petit sourire en direction de la « grande et coûteuse bouteille de sels de bain » achetée le matin-même et « disposée sur la coiffeuse », à proximité d’un vase rempli de fleurs. Une jolie nature morte qui témoigne du bon goût de la propriétaire des lieux.

Des vêtements qui sentent l’homme le jour J

Une fois préparée, la jeune épouse vérifie l’agencement des fleurs, passe le doigt sur la commode à la recherche de poussière... et finit par sentir le « casque automobile de son mari qui sentait le produit qu’il se mettait sur les cheveux ». Bandoline ou brillantine, Daphné du Maurier ne précise pas la nature du cosmétique utilisé ; elle se contente de rapporter l’existence de cette présence olfactive rassurante et familière.

Une retouche maquillage le jour J

A l’heure dite, point de mari. Pas de coup de fil ! Le dîner risque bien d’être brûlé. Et puis, le maquillage ne résiste pas à la longue attente. « Bientôt elle dut aller à l’étage pour retoucher son maquillage, car elle s’était habillée et apprêtée pour lui à neuf heures et demie. Son visage avait besoin d’être maquillé de neuf. Elle devait se poudrer le nez, se remettre un peu de rouge à lèvres (ça partait si facilement), et brosser ses cheveux en arrière selon la nouvelle mode. »

Un mari en retard qui a grossi...

En quelques semaines, le bel époux a grossi. Avec son « pansement sur le menton », résultat sans doute d'une coupure de rasoir, l’époux qui s’est fait attendre a un peu l’air grotesque. (« Et il avait dû se couper en se rasant [...] ») L’ait distrait, distant, le mari s’étonne : « Mais qu’as-tu donc fait à tes cheveux ? » Rien qu’un shampooing et une nouvelle coupe ! Trois fois rien.

Le chagrin n’a qu’un temps, en bref

Alors que la jeune épousée vient tout juste d’être appelée par une amie qui vient de découvrir la duplicité de son mari, celle-ci se retrouve dans une situation identique. Après deux jours de préparation cosmétique intense visant à être au top de sa forme, la jeune femme sent que quelque chose ne tourne plus rond. A Berlin, une Berlinoise a vraisemblablement d’autres habitudes cosmétiques plus convaincantes. « Tout ira bien ; le chagrin n’a qu’un temps », nous dit Daphné du Maurier qui semble vouloir nous dire qu’avec de tels atouts notre jeune héroïne risque bien de rebondir plus haut, plus loin ! Ne sous-estimons jamais le pouvoir immense d’un flacon de sels de bain, d’un gel douche moussant et d’un shampooing disciplinant !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 du Maurier D., Le chagrin n’a qu’un temps in La poupée nouvelles, Albin Michel, 2013, 251 pages

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