> 04 décembre 2023
L’acide tétradécanoïque (en C14) ou acide myristique est un acide gras à courte chaîne, présent dans les produits de soin,1 les produits solaires,2 les produits d’hygiène...3 On peut se demander, à juste titre, à quelle fin il est employé. Comme agent surgraissant, comment agent émollient, comme agent protecteur ? Le mieux est sûrement de faire un peu de bibliographie à son sujet… Oui, une recherche bibliographique s’impose tant les informations véhiculées par l’inventaire européen sont sujettes à caution.
Pour l’inventaire européen, l’acide myristique est à ranger dans le tiroir des tensioactifs (à effet nettoyant, émulsionnant) et dans le tiroir des parfums…4 Peut-être vaut-il mieux entendre intermédiaire permettant de mettre au point des tensioactifs et des parfums. On sait, en effet, que l’acide myristique peut être saponifié par une base forte ou faible, afin de donner naissance à des savons,5 dont le caractère détergent n’est plus à démontrer. On sait aussi que l’acide myristique est capable de réagir avec des alcools, comme le propylène-glycol, permettant ainsi d’obtenir des tensioactifs non ioniques.6
A la suite de Vincent, qui, en 1907, montre l’effet antibactérien du savon, Stock démontre, en 1940, l’efficacité du savon sur le virus Influenza et l’efficacité de certains acides gras et détergents (chlorure de benzalkonium, laurylsulfate de sodium) sur le virus de la chorioméningite lymphocytaire. Parmi les acides gras testés les acides chaulmoogrique, linoléique, linolénique, myristique, oléique et ricinoléique sont les plus efficaces.7
Et on n’est pas couché… semble nous souffler à l’oreille des chercheurs japonais, qui ont montré qu’il existe des différences en matière d’effet antibactérien entre des préparations simples ne comportant qu’un seul acide gras et des mélanges un peu plus complexes associant deux acides gras. Et c’est là que tout se complique, car on se rend compte alors que lorsque l’acide myristique est associé à d’autres acides gras comme l’acide laurique ou l’acide palmitoléique les effets attendus ne sont pas observés. Conclusion : selon les ingrédients présents dans une formule cosmétique, l’effet antibactérien de l’acide myristique sera plus ou moins modifié !8 La même année, la même équipe récidive montrant l’inactivation du 1,2 dodécanediol par l’acide myristique. Mis ensemble ces deux ingrédients laissent totalement en paix S. epidermidis, ce qui n’était pas le cas s’ils sont pris isolément.9
Celui-ci a été démontré in vitro et in vivo, sur modèle animal par inhibition de l’induction de l’œdème provoqué par un ester de phorbol chez la souris.10
Extrait pour la première fois, à partir des graines de la noix de muscade, Myristica fragrans (c’est d’ailleurs de là qu’il tire son nom !),11,12 l’acide myristique est obtenu par hydrolyse d’un triglycéride, la trimyristine.13 Il représente 90 % des acides gras estérifiant le glycérol retrouvé dans ces graines, ce qui montre sa prépondérance par rapport à l’acide palmitique (6 %) et à l’acide stéarique (3 %).14 On a également pu l’obtenir à partir de l’huile de cachalot. L’acide myristique a ensuite pu être synthétisé à la fin des années 1940 et au début des années 1950.15
Il semblerait bien que l’acide myristique joue un rôle important en matière de satisfaction de l’appétit des nouveau-nés. Présent dans différents produits d’origine maternelle, cet acide gras plaît aux nourrissons. C’est ce que nous racontent, tout du moins, des chercheurs mexicains qui ont promené sous le nez de nouveau-nés (12 au total) des cotons tiges imprégnés de substances contrôle (excipient sans corps gras, solution saline, vanille) ou d’acides gras variés (acide laurique, acide myristique, acide palmitique, acide palmitoléique, acide stéarique, acide oléique, acide élaïdique et acide linoléique), ces acides gras étant, en effet, présents dans le colostrum, le liquide amniotique et le lait maternel. De tous les cotons imprégnés ce sont ceux à l’acide myristique qui ont eu le plus de succès auprès des bébés engendrant des mouvements de bouche (le bébé se mettant à téter dans le vide !) et des reniflements d’envie.16 en bref, diverses mimiques témoignant d’un appétit marqué pour cet acide gras en particulier. Une sorte de petite torture infligée à des enfants sans défense.
Par ailleurs, une étude réalisée en 2012 montre la présence d’une quantité « anormale » d’acide myristique dans le sébum des patients atteints de rosacée papulopustuleuse, contrairement aux acides gras à longues chaînes, comme les acides arachidique (C20:0), béhénique (C22:0), tricosanoïque (C23:0) et lignocérique (C24:0). De là à l’accuser des problèmes de peau occasionnés, il n’y a qu’un pas !17 Il semblerait bien, en tout cas, que cet acide myristique, présent dans un sébum artificiel concocté en laboratoire, fasse les délices de levures du genre Malassezia.18 Ceci expliquerait peut-être cela !
Comme dans le cas de l’acide laurique,19 il est possible d’obtenir de l’acide myristique à partir d’un insecte, ou plutôt de la larve d’un insecte, la mouche soldat noire.20 Avis aux amateurs !
L’analyse de la composition en acides gras des glycérolipides constitutifs de certaines cyanobactéries comme Cyanothece permet de voir que l’acide myristique est l’un des acides gras les mieux représentés (il représente 50 % des acides gras présents).21
L’acide myristique peut être considéré comme tel, dans la mesure où il permet d’obtenir l’emblématique, ester de synthèse qu’est le myristate d’isopropyle. En faisant réagir de l’alcool isopropylique avec de l’acide myristique (une synthèse enzymatique « verte » est désormais possible),22 on obtient l’agent filmogène et émollient que l’on connaît tous.23 Attention, toutefois, à ne pas générer du p-toluènesulfonate d'isopropyle (potentiellement génotoxique) dans le milieu, disent à ce sujet les chercheurs malaisiens Tay, Yung et Teoh, qui proposent une méthode d’identification et de dosage bien utile en matière de contrôle de la qualité des matières premières obtenues.24
Un ingrédient sûr d’emploi,25 un tantinet susceptible, lorsqu’il est associé à d’autres ingrédients de la même famille ou de familles différentes. Un agent surgraissant, retrouvé dans les savons, un excipient qui mérite réflexion, si l’on ne veut pas nuire à ses facultés. Un ingrédient, qui ne reste pas les bras croisés et qui, en un tour de main, passe de la muscade de notre buffet de cuisine à la crème de jour de notre placard de salle de bain.
3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/unbottled-sans-flacon-point-d-ivresse-2168/
4 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=35442
5 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=59766
6 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=78814
7 Stock CC, Francis T. The inactivation of the virus of lymhocytic choriomeningitis by soaps. J Exp Med. 1943 Apr 1;77(4):323-36
8 Okukawa M, Yoshizaki Y, Yano S, Nonomura Y. The Selective Antibacterial Activity of the Mixed Systems Containing Myristic Acid against Staph ylococci. J Oleo Sci. 2021 Sep 4;70(9):1239-1246
9 Okukawa M, Yoshizaki Y, Tanaka M, Yano S, Nonomura Y. Antibacterial Activity of the Mixed Systems Containing 1,2-Dodecanediol against Staphylococcus aureus and Staphylococcus epidermidis. J Oleo Sci. 2021 Jun 1;70(6):787-797
10 Alonso-Castro AJ, Serrano-Vega R, Pérez Gutiérrez S, Isiordia-Espinoza MA, Solorio-Alvarado CR. Myristic acid reduces skin inflammation and nociception. J Food Biochem. 2022 Jan;46(1):e14013
11 Drugs and Lactation Database (LactMed®) [Internet]. Bethesda (MD): National Institute of Child Health and Human Development; 2006–. Nutmeg. 2021 May 17
12 https://www.atamanchemicals.com/myristic-acid_u24785/?lang=FR
13 Narasimhan B, Dhake AS. Antibacterial principles from Myristica fragrans seeds. J Med Food. 2006 Fall;9(3):395-9
14 Niyas Z, Variyar PS, Gholap AS, Sharma A. Effect of gamma-irradiation on the lipid profile of nutmeg (Myristica fragrans Houtt.). J Agric Food Chem. 2003 Oct 22;51(22):6502-4
15 Burdock GA, Carabin IG. Safety assessment of myristic acid as a food ingredient. Food Chem Toxicol. 2007 Apr;45(4):517-29
16 Gutiérrez-García AG, Contreras CM, Díaz-Marte C. Myristic acid in amniotic fluid produces appetitive responses in human newborns. Early Hum Dev. 2017 Dec;115:32-37
17 Ní Raghallaigh S, Bender K, Lacey N, Brennan L, Powell FC. The fatty acid profile of the skin surface lipid layer in papulopustular rosacea. Br J Dermatol. 2012 Feb;166(2):279-87
18 Suzuki K, Inoue M, Takayama K, Nagahama T, Cho O, Kurakado S, Sugita T. Development of Artificial-Sebum-Containing Leeming and Notman Agar Medium to Enhance the Growth of Malassezia. Mycopathologia. 2022 Aug;187(4):393-396
20 Heuel M, Kreuzer M, Sandrock C, Leiber F, Mathys A, Gold M, Zurbrügg C, Gangnat IDM, Terranova M. Transfer of Lauric and Myristic Acid from Black Soldier Fly Larval Lipids to Egg Yolk Lipids of Hens Is Low. Lipids. 2021 Jul;56(4):423-435
21 Saito M, Endo K, Kobayashi K, Watanabe M, Ikeuchi M, Murakami A, Murata N, Wada H. High myristic acid content in the cyanobacterium Cyanothece sp. PCC 8801 results from substrate specificity of lysophosphatidic acid acyltransferase. Biochim Biophys Acta Mol Cell Biol Lipids. 2018 Sep;1863(9):939-947
22 Vadgama RN, Odaneth AA, Lali AM. Green synthesis of isopropyl myristate in novel single phase medium Part I: Batch optimization studies. Biotechnol Rep (Amst). 2015 Oct 24;8:133-137
24 Tay BY, Yung SC, Teoh TY. Determination and confirmation of isopropyl p-toluenesulfonate in cosmetics by HPLC-diode array detector method and GC-MS. Int J Cosmet Sci. 2016 Dec;38(6):627-633
25 Becker LC, Bergfeld WF, Belsito DV, Hill RA, Klaassen CD, Marks JG Jr, Shank RC, Slaga TJ, Snyder PW, Alan Andersen F. Final report of the amended safety assessment of myristic acid and its salts and esters as used in cosmetics. Int J Toxicol. 2010 Jul;29(4 Suppl):162S-86S
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