> 01 avril 2024
Balayés les cosmétiques verts, green… Dépassés. On n’en est plus là. De vert, on est passé au rouge, lorsque l’on a pris conscience que la pollution de nos vertes prairies finissait, un jour ou l’autre, par se traduire par une pollution des océans. La planète bleue fait grise mine, selon Jeannie Jarnot, la créatrice de la marque Beauty Heroes1 et Kapua Browning, la fondatrice de la marque Honua skincare,2,3 toutes deux à l’origine de marques ayant une dizaine d’années. Pour pallier au désastre annoncé, les deux femmes vont décider de créer le concept de « Blue Beauty », visant à qualifier des produits cosmétiques non toxiques pour les océans4 et donc conçus avec des ingrédients triés sur le volet, avec un emballage n’impactant pas non plus la qualité des océans. Des cosmétiques green, en somme, qui calquent leur concept sur le précédent (ces cosmétiques green étant en général formulés à l’aide d’ingrédients végétaux), en allant chercher, dans les océans, les ingrédients actifs mis en avant. Le groupe L’Oréal a, bien évidemment, plongé, tout habillé, dans ce séduisant bain cosmétique.5 Les laboratoires Biotherm, qui puisent leur phytoplancton dans la fontaine bleue de jouvence, afin de mettre au point des cosmétiques performants et ocean-friendly,5 s’inscrivent, bien évidemment, dans un double concept marin (avec des ingrédients marins dans la formule et avec un impact sur le milieu marin le plus minime possible). D’autres structures de taille plus modeste commencent à lâcher le « green » pour le « blue », en indiquant que, finalement, depuis le début, elles sont dans le bleu à 100 %. C’est le cas par exemple de Lamazuna.6
Il y a forcément beaucoup de communication dans tout cela. Mais tout de même, en ce jour, où les poissons d’avril vont se déplacer dans le dos de beaucoup de promeneurs, on a eu envie de faire la peau à ce poisson qui sort de son élément préféré, une fois l’an. La peau, la tête, les arêtes… on va tout passer à la moulinette, afin de savoir ce qu’il a dans le ventre ce poisson, dont les déchets risquent fort de finir dans notre dentifrice, notre crème de jour ou notre sérum de nuit !
En matière de déchets, le poisson s’y connaît, puisqu’une fois que les filets ont été levés, il reste sur l’étal du poissonnier ou dans la poubelle de l’industriel agro-alimentaire les coupes musculaires (15 à 20 %), la peau et les nageoires (1 à 3 %), les arêtes (9 à 15 %), la tête (9 à 12 %), les viscères (12 à 18 %) et les écailles (5%).7 Soit environ 75 % de déchets tout de même !8 De quoi se régaler, pour qui souhaite valoriser les déchets et leur offrir une seconde vie encore plus belle que la première.
L’huile de poissons, chère aux Esquimaux, est riche en acides gras polyinsaturés (AGPI) tels que les acides docosahexaénoïque (DHA) et eicosapentaénoïque (EPA), des acides gras oméga-3 à longue chaîne, qui constituent la base de compléments alimentaires, adaptés aux personnes âgées de plus de 65 ans, mais aussi aux personnes souffrant de pathologies aussi variées que la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis, la colite ulcéreuse, l’asthme, la maladie de Parkinson, l’ostéoporose, le diabète sucré, les problèmes cardiovasculaires, la dépression… Voilà du moins ce que la littérature scientifique nous dit.
Une huile de poisson, ingrédient marin donc « bleu », qui peut se marier avec le monde vert des ingrédients végétaux, en servant, par exemple, de solvant de macération, pour obtenir des extraits de sauge, renfermant des actifs comme l’acide carnosique et le carnosol.9 Original !
Mais revenons à l’intérêt de l’huile de poisson. Par voie topique, le DHA exerce un effet anti-inflammatoire, susceptible de contrer l’inflammation cutanée engendrée par une exposition aux UVB. En 2005, Puglia et al. ont démontré qu’un extrait d’huile de sardines, appliqué localement, permettait d’inhiber la survenue d’un érythème actinique, à hauteur de 24,5 %, cette valeur étant à comparer avec celle obtenue avec une émulsion renfermant 2 % de kétoprofène qui permet d’atteindre un taux d’inhibition de 46,6 %.10,11 De là à s’enduire d’huile de sardines pour aller à la plage, il n'y a qu’un pas que nous ne franchirons pas, car, diminuer le signal d’alarme sans forcément protéger la peau, n’est pas la meilleure idée du monde.
Le collagène marin est obtenu à partir des arêtes et de la peau de poisson, ce qui en fait un ingrédient d’up-cycling, par excellence. On considère, que le collagène peut représenter, approximativement, jusqu’à 30 % du poids des déchets de poisson. La peau est, semble-t-il, le déchet en contenant le plus. En effet, on peut y retrouver jusqu’à 70 % de collagène (on parle ici en matière sèche).12 On en trouve également dans le cartilage de requin bleu (Prionace glauca), ce qui, d’ailleurs, est bien connu en médecine traditionnelle chinoise.13
Le collagène entre dans la composition des cosmétiques anti-âge, raffermissants, du fait de son caractère hydratant.14 On peut l’obtenir à partir du flétan du Groenland (Reinhardtius hippoglossoides), une espèce très largement exploitée en matière de pêche15 ou bien à partir de la peau d’esturgeon béluga (Huso huso).16 Ceci, entre autres exemples.
Les hydrolysats de collagène, appelés collagènes de bas poids moléculaires, semblent constituer de bons ingrédients anti-âge. Un effet éclaircisssant (tests réalisés sur modèle animal) est mis en avant pour l’hydrolysat obtenu à partir du tilapia,17 l’un des poissons les plus pêchés au monde.18 Les polypeptides constitutifs sont des agents chélateurs du cuivre, ce qui explique cet effet inhibiteur de la tyrosinase et cet effet sur la mélanogenèse.19
Des hydrolysats, qui augmentent l’élasticité de la peau, éclaircissent le teint et diminuent la profondeur des rides et ridules… Les « ingrédients fonctionnels » ainsi obtenus s’inscrivent dans le cercle vertueux de l’économie circulaire.20
A partir du collagène de poisson, il est possible d’obtenir de la gélatine et des hydrolysats de gélatine. Une gélatine, qui permet d’augmenter la consistance des cosmétiques, tout en exerçant un effet filmogène et des hydrolysats de gélatine, qui peuvent jouer le rôle d’actifs. Comme exemple, on pourra citer les hydrolysats de gélatine de morus (Gadus macrocephalus), à effet anti-inflammatoire et antioxydant, exploitables dans le domaine de la lutte contre les signes du vieillissement cutané. D’autres poissons, comme le saumon ou le tilapia (Oreochromis niloticus) permettent d’obtenir le même type d’actif, à action apaisante et antiradicalaire.21 Idem pour les hydrolysats, obtenus à partir des écailles de maquereau.22
La tête de saumon rouge (Oncorhynchus nerka) contient ainsi des glycosaminoglycanes (principalement chondroïtine-sulfate),23 considérés comme des agents filmogènes, conditionneurs et émollients par l’inventaire européen.24
Les écailles et les arêtes de poisson contiennent du phosphate de calcium. Les arêtes de la sole, du saumon, du chinchard et les écailles du thon sont ainsi traitées, à haute température (calcination), afin de permettre l’obtention de différentes molécules phosphorées (phosphates de calcium, hydroxyapatite), utilisables dans plusieurs types de produits d’hygiène (déodorants, dentifrices). Certaines publications présentent même ces phosphates comme des filtres UV, susceptibles de permettre d’obtenir des produits solaires à hauts indices (SPF 50, selon les plus optimistes).22 A notre avis, il conviendra d’être prudent et de vérifier à deux fois les valeurs obtenues, avant d’exploiter la chose. Une publication récente semble, en effet, se féliciter de pouvoir remplacer l’oxyde de zinc par le produit de calcination de farine de poisson.25 Ceci nous semble prématuré et il faudra, avant toute chose, faire valider cet ingrédient par la Commission Européenne, afin d’obtenir son inscription à l’Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009. On a le temps de voir venir…
Certains auteurs parlent de « ressources bleues »,26 pour désigner les ingrédients d’origine marine. Ces ingrédients peuvent être obtenus par des moyens d’extraction verts (extraction par ultra-sons ou par fluide supercritique)27 ou bien par voie enzymatique, ce qui répond au cahier des charges de cette blue beauty ! Une blue beauty, qui souhaite que tous les voyants soient au vert quant au mode de production des actifs incorporés.
On sait que ces filtres UV ne sont pas arrêtés correctement par les stations d’épuration, puisqu’on en retrouve à peu près dans toutes les eaux du globe.
Ceci a pour conséquence d’entraîner une pollution, qui a un impact d’un point de vue alimentaire. Les poissons, qui vivent dans une eau polluée, sont eux-mêmes contaminés par les polluants qui s’y trouvent. C’est le cas de filtres UV, comme le 4-méthylbenzylidène-camphre, l'oxybenzone, l'octocrylène, l'octinoxate et l’avobenzone, qui sont retrouvés à différents niveaux de la chaîne alimentaire.28,29 Ceci faisait dire, de manière très raisonnable, à des dermatologues américains, en 2018, qu’il est important de rappeler les règles de bon sens, en matière de préservation vis-à-vis des effets du soleil. Eviction solaire (se mettre à l’ombre, c’est facile !) et photoprotection vestimentaire doivent être privilégiés,30 l’usage de crème solaire devant être réservé aux cas où l’on ne peut pas éviter de s’exposer. Cela plutôt qu’une exposition UV à outrance, liée à une utilisation à outrance de produits renfermant des filtres UV. Ne pas croire que cela ne concerne que les filtres organiques, puisque l’on sait que les nanoparticules de filtres minéraux sont également capables de s’accumuler dans les organismes marins comme les poissons.31
Parmi les autres polluants, ingérés par les poissons, on peut aussi citer les microplastiques.32 Une étude de 2020 montrait à ce sujet que 60 % à 85 % des poissons, pêchés dans des zones géographiques différentes s’avéraient présenter des microplastiques dans leurs tissus.33-36
Le monde marin est un univers généreux, qui nous fournit en aliments et ingrédients cosmétiques et ce depuis longtemps. Un monde, qui fascine les chercheurs, qui publient beaucoup à son sujet.
« Blue Beauty » un sujet sérieux, qui devrait nous préoccuper, depuis des années, au regard de la pollution existante. On sait qu’un certain nombre d’ingrédients cosmétiques sont polluants ; on sait qu’il faut les remplacer.
Logiquement, ingrédients marins et Blue Beauty sont faits pour s’entendre. Encore faut-il que le contrat signé soit équitable !
Pas de gags, donc sur notre site, en ce premier avril, juste une envie de présenter le poisson, de la tête à la queue, sous l’aspect du parfait candidat pour un retraitement des déchets. On le fait déjà, on peut le faire encore plus et mieux.
1 https://www.beauty-heroes.com/
2 https://honuaskincare.com/pages/our-story
4 https://www.marieclaire.fr/blue-beauty-beaute-eco-responsable-respectueuse-des-oceans,1442098.asp
5 https://www.loreal.com/fr/news/brands/biotherm-dives-into-blue-beauty/
6 https://www.lamazuna.com/blog/blue-beauty-plus-quune-tendance-beaute-lavenir-des-cosmetiques/
7 Villamil O, Váquiro H, Solanilla JF. Fish viscera protein hydrolysates: Production, potential applications and functional and bioactive properties. Food Chem. 2017 Jun 1;224:160-171
8 Gaikwad S, Kim MJ. Fish By-Product Collagen Extraction Using Different Methods and Their Application. Mar Drugs. 2024 Jan 24;22(2):60
9 Hrebień-Filisińska AM, Tokarczyk G. The Use of Ultrasound-Assisted Maceration for the Extraction of Carnosic Acid and Carnosol from Sage (Salvia officinalis L.) Directly into Fish Oil. Molecules. 2023 Aug 16;28(16):6094
10 Huang TH, Wang PW, Yang SC, Chou WL, Fang JY. Cosmetic and Therapeutic Applications of Fish Oil's Fatty Acids on the Skin. Mar Drugs. 2018 Jul 30;16(8):256
11 Puglia C, Tropea S, Rizza L, Santagati NA, Bonina F. In vitro percutaneous absorption studies and in vivo evaluation of anti-inflammatory activity of essential fatty acids (EFA) from fish oil extracts. Int J Pharm. 2005 Aug 11;299(1-2):41-8
12 Blanco M, Vázquez JA, Pérez-Martín RI, Sotelo CG. Hydrolysates of Fish Skin Collagen: An Opportunity for Valorizing Fish Industry Byproducts. Mar Drugs. 2017 May 5;15(5):131
13 Lu WC, Chiu CS, Chan YJ, Guo TP, Lin CC, Wang PC, Lin PY, Mulio AT, Li PH. An In Vivo Study to Evaluate the Efficacy of Blue Shark (Prionace glauca) Cartilage Collagen as a Cosmetic. Mar Drugs. 2022 Oct 5;20(10):633
14 Venkatesan J, Anil S, Kim SK, Shim MS. Marine Fish Proteins and Peptides for Cosmeceuticals: A Review. Mar Drugs. 2017 May 18;15(5):143
15 Martins E, Reis RL, Silva TH. In Vivo Skin Hydrating Efficacy of Fish Collagen from Greenland Halibut as a High-Value Active Ingredient for Cosmetic Applications. Mar Drugs. 2023 Jan 17;21(2):57
16 Atef M, Ojagh SM, Latifi AM, Esmaeili M, Udenigwe CC. Biochemical and structural characterization of sturgeon fish skin collagen (Huso huso). J Food Biochem. 2020 Aug;44(8):e13256
17 Kim D, Lee M, Yang JH, Yang JS, Kim OK. Dual Skin-Whitening and Anti-wrinkle Function of Low-Molecular-Weight Fish Collagen. J Med Food. 2022 Feb;25(2):192-204
18 Salvatore L, Gallo N, Natali ML, Campa L, Lunetti P, Madaghiele M, Blasi FS, Corallo A, Capobianco L, Sannino A. Marine collagen and its derivatives: Versatile and sustainable bio-resources for healthcare. Mater Sci Eng C Mater Biol Appl. 2020 Aug;113:110963
19 Ju X, Cheng S, Li H, Xu X, Wang Z, Du M. Tyrosinase inhibitory effects of the peptides from fish scale with the metal copper ions chelating ability. Food Chem. 2022 Oct 1;390:133146
20 Xu S, Zhao Y, Song W, Zhang C, Wang Q, Li R, Shen Y, Gong S, Li M, Sun L. Improving the Sustainability of Processing By-Products: Extraction and Recent Biological Activities of Collagen Peptides. Foods. 2023 May 12;12(10):1965
21 Al-Nimry S, Dayah AA, Hasan I, Daghmash R. Cosmetic, Biomedical and Pharmaceutical Applications of Fish Gelatin/Hydrolysates. Mar Drugs. 2021 Mar 8;19(3):145
22 Siahaan EA, Agusman, Pangestuti R, Shin KH, Kim SK. Potential Cosmetic Active Ingredients Derived from Marine By-Products. Mar Drugs. 2022 Nov 24;20(12):734
23 Zhang F, Xie J, Linhardt RJ. Isolation and structural characterization of glycosaminoglycans from heads of red salmon (Oncorhynchus nerka). Jacobs J Biotechnol Bioeng. 2014;1(1):002
24 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/34149
25 Righi S, Prato E, Magnani G, Lama V, Biandolino F, Parlapiano I, Carella F, Iafisco M, Adamiano A. Calcium phosphates from fish bones in sunscreen: An LCA and toxicity study of an emerging material for circular economy. Sci Total Environ. 2023 Mar 1;862:160751
26 Martins E, Reis RL, Silva TH. In Vivo Skin Hydrating Efficacy of Fish Collagen from Greenland Halibut as a High-Value Active Ingredient for Cosmetic Applications. Mar Drugs. 2023 Jan 17;21(2):57
27 Al Khawli F, Ferrer E, Berrada H, Barba FJ, Pateiro M, Domínguez R, Lorenzo JM, Gullón P, Kousoulaki K. Innovative Green Technologies of Intensification for Valorization of Seafood and Their by-Products. Mar Drugs. 2019 Dec 6;17(12):689
28 Couselo-Rodríguez C, González-Esteban PC, Diéguez Montes MP, Flórez Á. Environmental Impact of UV Filters. Actas Dermosifiliogr. 2022 Sep;113(8):792-803
29 da Silva ACP, Santos BAMC, Castro HC, Rodrigues CR. Ethylhexyl methoxycinnamate and butyl methoxydibenzoylmethane: Toxicological effects on marine biota and human concerns. J Appl Toxicol. 2022 Jan;42(1):73-86
30 Schneider SL, Lim HW. Review of environmental effects of oxybenzone and other sunscreen active ingredients. J Am Acad Dermatol. 2019 Jan;80(1):266-271
31 Mona C, Salomé MM, Judit K, José-María N, Eric B, María-Luisa FC. Considerations for bioaccumulation studies in fish with nanomaterials. Chemosphere. 2023 Jan;312(Pt 1):137299
32 Li B, Liang W, Liu QX, Fu S, Ma C, Chen Q, Su L, Craig NJ, Shi H. Fish Ingest Microplastics Unintentionally. Environ Sci Technol. 2021 Aug 3;55(15):10471-10479
33 Sequeira IF, Prata JC, da Costa JP, Duarte AC, Rocha-Santos T. Worldwide contamination of fish with microplastics: A brief global overview. Mar Pollut Bull. 2020 Nov;160:111681
34 Pappoe C, Palm LMN, Denutsui D, Boateng CM, Danso-Abbeam H, Serfor-Armah Y. Occurrence of microplastics in gastrointestinal tract of fish from the Gulf of Guinea, Ghana. Mar Pollut Bull. 2022 Sep;182:113955
35 Clere IK, Ahmmed F, Remoto PIJG, Fraser-Miller SJ, Gordon KC, Komyakova V, Allan BJM. Quantification and characterization of microplastics in commercial fish from southern New Zealand. Mar Pollut Bull. 2022 Nov;184:114121
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