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Le pouvoir des parfums… presque un abus de pouvoir !

> 02 avril 2024

Le pouvoir des parfums… presque un abus de pouvoir !

On le sait, les parfums exercent des rôles psychologiques indéniables et ce n’est ni Marcel Proust, avec son aversion pour le vétiver,1 ni Emile Zola et son affection pour l’héliotrope2 qui viendraient nous contredire.

En matière de physiologie, en général, et de physiologie cutanée, en particulier, on se rend compte, depuis une vingtaine d’années, par le biais de la découverte de récepteurs olfactifs ectopiques, dans différents tissus dont la peau, qu’un rôle physiologique est également possible. Au niveau cutané, on sait ainsi qu’un certain nombre de molécules odorantes sont capables de moduler le stress oxydant, d’agir sur la fonction barrière de la peau, d’influer sur la sécrétion de sébum et d’interférer avec le système immunitaire.3

Et là… évidemment, cela devient très intéressant (premier effet kiss cool), mais également assez inquiétant (deuxième effet kiss cool), dans la mesure où de simple parfum, agréable aux sens, la substance odorante devient un acteur majeur du cosmétique, capable d’interagir, de manière intime, avec nos cellules les plus superficielles, mais également les plus profondes.

Et là, le côté un peu gnangnan de la chanson Le pouvoir des fleurs de Laurent Voulzy déploie toute son ampleur. Et lorsque le chanteur considère « le jasmin, le lilas », comme des « divisions, des soldats »,4 on se dit que le troubadour a, sans doute, été se balader, un peu, dans la littérature scientifique, avant de se mettre à la guitare.

Car, oui, il semble bien que toutes les fragrances que nous connaissons sous un aspect purement olfactif (on peut même dire affectif) méritent également d’être étudiées sous un aspect plus objectif. Microscope en main, nous nous proposons, aujourd’hui, de voir ce qui se cache derrière le parfum de la rose, de la violette, du santal, de l’œillet… Des surprises à la clé !

La rose, pour déstresser la peau

L’extrait de rose, qui, incorporé dans une émulsion, administrée localement, à un échantillon de femmes vivant en condition de stress et présentant des poches et des cernes sous les yeux, a révélé son secret sur cultures cellulaires. L’extrait de rose contenait majoritairement de l’alcool phényléthylique (57 %), ainsi que du citronellol (17 %), du géraniol (9 %), du nérol (6 %) et du nonadécane (4 %). Les récepteurs olfactifs OR10A6, OR2AG2 et OR11H4 ont été activés par cet extrait et par son constituant principal, l’alcool phényléthylique. Un test à l’épinéphrine (une molécule qui génère un stress cutané et réduit l’expression des récepteurs olfactifs) a montré l’effet positif de l’extrait de rose en matière de gestion du stress (puisque la réduction de l’expression des récepteurs olfactifs n’a pas lieu dans ce cas).5 Plutôt sympathique, dans ce cas. Pour avoir un teint aussi frais qu’une rose !

La violette, pour hâler la peau

L’ionone est un mot dérivant du grec « iona », qui signifie « violette », car cette molécule est caractéristique de l’odeur de violette et du suffixe « one », rappelant que la molécule est de nature cétonique. Il existe différents isomères (alpha et bêta), entre autres susceptibles d’être retrouvés dans des fleurs, des fruits… ou le lait de vache. Ces isomères, de faible coût, sont utilisés comme agents parfumants dans l’industrie cosmétique.6,7

Il faut savoir que la bêta-ionone est susceptible d’être synthétisée par l’homme, à partir des caroténoïdes, grâce à une enzyme la bêta-carotène-oxygénase-2 (BCO2), au niveau de l’endomètre, du pancréas, des muscles cardiaque et squelettiques.

Le récepteur OR51E2 est un récepteur olfactif, présent dans différents tissus, pour lequel la bêta-ionone constitue un agoniste. On en trouve dans le tissu prostatique, le foie, le cerveau, les testicules.

Au niveau cutané, la bêta-ionone favorise la mélanogenèse, par activation de la tyrosinase, l’enzyme-clé de la synthèse des pigments mélaniques ; elle favorise également la dendritogenèse.8

En ce qui concerne l’alpha-ionone, les avis sont partagés, certains auteurs la classant dans les agonistes des récepteurs OR51E2, d’autres dans les antagonistes.9

Une odeur de violette qui pose question, donc, lorsque l’on sait que les isomères alpha et bêta sont considérés comme des promoteurs tumoraux, dans le cas du cancer de la prostate (les récepteurs OR51E2 étant surexprimés dans les cellules cancéreuses de la prostate LNCaP).10 De quoi refroidir, un peu !

Le bois de santal, pour favoriser la pousse du cheveu

Le bois de santal synthétique (Sandalore) semble intéressant en matière de formulation de topiques cicatrisants11 et de cosmétiques anti-chute, dans la mesure où cette molécule agit comme agoniste du récepteur olfactif OR2AT4,12 localisé, entre autres, au niveau de la gaine externe de la racine pilaire. Ex vivo, il a été démontré un allongement de la phase anagène.13 Sur volontaires, le recours à une préparation dosée à 1 % de Sandalore réduit la chute des cheveux et augmente le pourcentage de follicules pileux en phase anagène.14

Le produit Sandalore exerce également une action sur le microbiote, en favorisant la prolifération de Staphylococcus epidermidis et Malassezia restricta.15

Revers de la médaille, on sait également, que cette molécule est un agoniste des récepteurs nucléaires aux œstrogènes.16

L’œillet, pour déclencher des réactions inflammatoires

Un certain nombre de publications montrent que l’eugénol, présent dans l’huile essentielle d’œillet (entre autres), constitue un agoniste pour le récepteur olfactif OR10G7, présent au niveau cutané. En cas de dermatite atopique, ce récepteur est surexprimé ; l’eugénol est alors capable de déclencher une réaction inflammatoire par activation de ce récepteur.17,18

Et l’homéopathie dans tout ça ?

On ne l’avait pas vu venir… et pourtant on y vient…  Des auteurs s’interrogeaient, en effet, en 2018, sur l’effet exercé par des molécules odorantes, contenues dans des granules homéopathiques.19 Alors là…

Le pouvoir des parfums, en bref

Il semble bien que les parfums aient plus d’une chanson à leur répertoire. Jusqu’à présent, on les choisissait selon que l’on cherchait un parfum rock’n’ roll, jazzi, pop, reggae etc. Désormais, on ne sait plus trop à quel parfum se vouer, tant on leur accorde de pouvoir. Mettent-ils nos santés en danger ? Peuvent-ils devenir des alliés dans le domaine thérapeutique ? Autant de questions qui méritent réponse et ce d’autant plus que les études portent sur des molécules isolées et non sur des mélanges complexes. Et quid du parfum de la mer, du parfum du sucre qui devient caramel, de celui du goudron de la route qui fond au soleil, de l’odeur sui generis un soir d’été dans un bus bondé ? Si, maintenant, notre peau et nos organes internes se mettent à sniffer tous les parfums qui nous entourent, déclenchant illico toute une cascade de réactions enzymatiques, on n’en a pas fini !

Ne reste plus qu’une seule solution, apprendre fissa le langage des parfums !

Bibliographie

1 Une eau de toilette écœurante aussi prégnante que le vétiver proustien ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/entre-bouffee-marine-et-senteur-d-heliotrope-son-coeur-chavire-1026/

3 Angelucci FL, Silva VV, Dal Pizzol C, Spir LG, Praes CE, Maibach H. Physiological effect of olfactory stimuli inhalation in humans: an overview. Int J Cosmet Sci. 2014 Apr;36(2):117-23

4 https://www.paroles.net/laurent-voulzy/paroles-le-pouvoir-des-fleurs

5 Duroux R, Mandeau A, Guiraudie-Capraz G, Quesnel Y, Loing E. A Rose Extract Protects the Skin against Stress Mediators: A Potential Role of Olfactory Receptors. Molecules. 2020 Oct 16;25(20):4743

6 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/41314

7 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/41354

8 Gelis L, Jovancevic N, Veitinger S, Mandal B, Arndt HD, Neuhaus EM, Hatt H. Functional Characterization of the Odorant Receptor 51E2 in Human Melanocytes. J Biol Chem. 2016 Aug 19;291(34):17772-86

9 Aloum L, Alefishat E, Adem A, Petroianu G. Ionone Is More than a Violet's Fragrance: A Review. Molecules. 2020 Dec 10;25(24):5822

10 Sanz G, Leray I, Grébert D, Antoine S, Acquistapace A, Muscat A, Boukadiri A, Mir LM. Structurally related odorant ligands of the olfactory receptor OR51E2 differentially promote metastasis emergence and tumor growth. Oncotarget. 2017 Jan 17;8(3):4330-4341

11 Busse D, Kudella P, Grüning NM, Gisselmann G, Ständer S, Luger T, Jacobsen F, Steinsträßer L, Paus R, Gkogkolou P, Böhm M, Hatt H, Benecke H. A synthetic sandalwood odorant induces wound-healing processes in human keratinocytes via the olfactory receptor OR2AT4. J Invest Dermatol. 2014 Nov;134(11):2823-2832

12 https://www.scentree.co/fr/Sandalore%C2%AE.html

13 Chéret J, Bertolini M, Ponce L, Lehmann J, Tsai T, Alam M, Hatt H, Paus R. Olfactory receptor OR2AT4 regulates human hair growth. Nat Commun. 2018 Sep 18;9(1):3624

14 Jimenez F, López E, Bertolini M, Alam M, Chéret J, Westgate G, Rinaldi F, Marzani B, Paus R. Topical odorant application of the specific olfactory receptor OR2AT4 agonist, Sandalore® , improves telogen effluvium-associated parameters. J Cosmet Dermatol. 2021 Mar;20(3):784-791

15 Edelkamp J, Lousada MB, Pinto D, Chéret J, O'Sullivan JDB, Biundo A, Jimenez F, Funk W, Roessing C, Rippmann V, Paus R, Bertolini M. Application of Topical Sandalore® Increases Epidermal Dermcidin Synthesis in Organ-Cultured Human Skin ex vivo. Skin Pharmacol Physiol. 2023;36(3):117-124

16 Pavan B, Dalpiaz A. Odorants could elicit repair processes in melanized neuronal and skin cells. Neural Regen Res. 2017 Sep;12(9):1401-1404

17 Tham EH, Dyjack N, Kim BE, Rios C, Seibold MA, Leung DYM, Goleva E. Expression and function of the ectopic olfactory receptor OR10G7 in patients with atopic dermatitis. J Allergy Clin Immunol. 2019 May;143(5):1838-1848.e4

18 Seo J, Choi S, Kim H, Park SH, Lee J. Association between Olfactory Receptors and Skin Physiology. Ann Dermatol. 2022 Apr;34(2):87-94

19 Courtens F, Demangeat JL, Benabdallah M. Could the Olfactory System Be a Target for Homeopathic Remedies as Nanomedicines? J Altern Complement Med. 2018 Nov;24(11):1032-1038

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