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Routine beauté pour une toutounière adorée !

> 13 mai 2023

Routine beauté pour une toutounière adorée !

Une fois Michel décédé… et on sait dans quelles circonstances…1 Alice décide de retourner vivre avec ses sœurs, afin de se refaire des forces.2 A peine arrivée dans son havre de paix, elle est frappée par « l’odeur de l’appartement », une odeur de cigarettes (des dizaines de mégots sont la preuve d’un intense tabagisme !), mêlée aux parfums de ses occupantes, Colombe et Hermine.

« Qui donc a changé de parfum ici ? Colombe ou Hermine », se demande Alice, en franchissant le seuil de ce qu’elle considère comme son chez-soi.

Les quatre filles du Professeur Eudes, Alice, Colombe, Hermine et Bizoute… vont, enfin, pouvoir se retrouver ! Que de bonnes choses (des « bouennes » choses, selon l’expression d’Alice) en perspective pour les toutounières (les filles qui se retrouvent sur le « toutounier », le sofa de la salle à manger).

Colombe, la vraie brune dont on ne sait pas grand-chose

Colombe possède, comme ses sœurs, « les vigoureux cheveux » de la famille ! Elle est la force tranquille du clan, celle qui siffle sous la douche et est toujours de bonne humeur. Elle rapporte de la salle de bain « une odeur simple de lavande ». Une douche « rapide » lui suffit. Pas de chichis !

Hermine, la fausse blonde dont on sait tout ce qu’il y a à savoir !

Hermine se décolore les cheveux (« ses cheveux blonds qu’elle décolorait ») ; des cheveux doux, dans lesquels Alice aime à passer la main (« Alice lissait de la main les cheveux dorés de la fausse blonde »).

Hermine se parfume avec soin : « Tu sens bien bon, ma petite fille. » Alice « respirait son parfum » et « reconnut le parfum des cheveux. »

Hermine pose du vernis sur ses ongles, avec passion et ne supporte pas de voir un seul défaut à leur belle cuirasse. « Hermine, la tête penchée, écaillait de l’ongle du pouce le vernis de ses autres ongles. »

Hermine travaille chez un certain M. Weekend, un homme marié, avec qui elle aimerait bien partir un peu plus longtemps qu’un simple week-end. Une passion refoulée qui mène à de fréquents drames…

Hermine est malheureuse comme les pierres ; elle passe son temps à pleurer en mangeant. Et pour effacer ses larmes, elle use de poudre de riz. « Hermine s’apaisa, s’essuya les cils et se poudra. »

Hermine est bazardique, comme pas possible. Sa chambre est en « désordre » le plus souvent. Oui, « mais ça sent bon » !

Hermine est une vraie beauté. Un rien la maquille… « Elle revint transfigurée. La bouche orangée, deux couleurs de poudre sur le visage […]. Et le soir, même recrue de fatigue, elle n’oublie jamais d’appliquer sur son épiderme le produit qui lui permet de franchir les ans vaillamment : « Mais elle avait pris le soin d’enduire de crème grasse son visage, et de rouler ses cheveux en boucles sous un filet à larges mailles. »

Hermine adore se laver… « Oh ! s’écria Hermine, oh, de l’eau chaude ! Un bain ! Vas-y, concéda Colombe. Tu l’as gagné. »

Les trois sœurs, à la toilette

Alice, Hermine et Colombe vivent dans une belle intimité, partageant le sofa pour dormir et la salle de bain pour se laver, se maquiller.

« Elles se bousculèrent dans l’étroit cabinet de toilette, creusèrent le ventre, rentrèrent la croupe pour circuler entre le lavabo et la baignoire de zinc repeinte 10 fois, se délassèrent en propos inutiles. A tour de rôle, elles outrèrent le rouge de leurs lèvres, l’orangé de leurs joues, grimacèrent identiquement pour vérifier l’éclat de leurs dents, enfin se ressemblèrent d’une manière banale et frappante. »

Colombe, à la toilette

Et puis, il y a des jours où ce joyeux pêle-mêle n’est plus de mise. Colombe, pudique, s’enferme dans le cabinet de toilette, à double tour. « On n’entre pas, je suis nue et tatouée. »

Alice, à la toilette

Chez elle, Alice retrouve des traces de Michel. Il y a, dans le bureau de celui-ci, « une faible odeur de cuir, d’eau de toilette parfumée, de tabac et de papier imprimé. » Juste le temps de prendre un bain (« Est-ce que l’eau est chaude ? Je vais prendre un bain vivement… Un quart d’heure lui suffit. Malgré l’eau chaude, elle grelottait. ») et quelques affaires, avant de filer se lover dans l’appartement familial. Le temps de prendre une brosse à dents, tout de même (Alice retire « d’un petit cercueil d’opaline la brosse à dents qui voisinait avec celle de Michel. »)

Et une séance de lessive à la main

Chez les quatre sœurs, on retrouve des bas de soie fins, sur le bord d’un évier… Celle qui passe la première à proximité se met à les laver. C’est Alice qui s’y colle : « Elle les savonna vivement, les coucha sur un essuie-main. »

Et des épaules accueillantes pour pleurer

Sur le toutounier, les sœurs se racontent leurs malheurs. Il y a des pleurs, des rires… Il y a des épaules pour se laisser aller. « Alice reçut contre son épaule une épaule nue, une pluie de cheveux blonds, le fiévreux parfum que l’extrême émotion arrache à la femme […].

Le toutounier, en bref

Les quatre sœurs Eudes sont sorties du même moule. C’est dans leur nid qu’elles viennent se retrouver lorsque quelque chose ne tourne pas rond. Avec un vocabulaire très personnel, elles aiment à s’encourager : « Guézézi » et c’est reparti ! Mais au fait, on nous a parlé de quatre sœurs, d’une certaine Bizoute. Celle-là, franchement, on ne sait pas à quoi elle peut bien ressembler. Elle vit loin du nid, semble-t-il ! Mais un jour, sûrement, elle ne manquera pas de rentrer !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 De l’eau de bleuet pour soigner ses yeux ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 Colette, Le toutounier in Duo suivi de Le toutounier, Le livre de poche, Ferenczi, 1955, 179 pages

 

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