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Reportage sur l’univers de la beauté dans les années 1930

> 05 août 2020

Reportage sur l’univers de la beauté dans les années 1930

Louis Léon-Martin (1883-1944) est un journaliste qui sait mouiller sa chemise. Ses chroniques, dans Le Figaro ou Le Petit Parisien constituent des sortes de photographies d’un monde en pleine mutation.1 On souhaite un reportage sur « Les demoiselles d’Opéra », Louis répond présent. Sur les figures du music-hall. Présent... Sur les coulisses de l’hôtel Drouot. Partant. Sur l’industrie de la beauté... OK.

Allez... C’est parti pour une enquête fouillée sur l’univers de la beauté en 1930 ; celle-ci va mener notre journaliste d’une esthéticienne à une autre, en passant par une usine qui fabrique des produits de maquillage. Il croisera ainsi une esthéticienne qui se présente comme « l’horticulteur de la femme », une autre qui met en garde ses clientes contre les injections de paraffine et vante, en revanche, les mérites de méthodes de rajeunissement beaucoup plus modernes.

Louis va d’abord rencontrer une danseuse reconvertie dans le monde de la beauté. En laissant tomber le tutu, la danseuse s’est lancée dans un business beaucoup moins douloureux pour ses petits pieds. En inventant une « méthode de rajeunissement » qui permet de renouveler le visage par hémiface (compter un traitement de 3 semaines et une ponction au porte-monnaie de l’ordre de 25 000 francs), la femme d’affaires a visé juste. Chaque femme constitue pour le reste de sa clientèle une formidable vitrine. Un profil droit qui présente la « surface d’une patinoire » et fait à tout casser 30 ans ; un profil gauche, « véritable chaos raviné », qui fait largement 70 ans... voilà à quoi l’on ressemble entre deux cures miracle !

Une ancienne professeur de piano qui œuvre en chambre est la preuve que tout un chacun peut se lancer dans le domaine sans risque. Acoquinée avec un médecin inventeur d’une « lotion épatante », la pianiste tapote les visages ridés avec la même énergie que celle autrefois déployée sur son clavier. Apparemment, pas de fausse note. Louis observe... et participe même à un massage du visage à l’aide d’une pâte épaisse appelée cold crème.

Louis va ensuite pousser la porte d’un bazar-institut. Cette grande surface de la beauté est vraiment impressionnante. La salle d’attente est bondée. Il faut attendre avant d’être prise en charge. Lorsque son tour arrive, la cliente est poussée dans une petite stalle qui ressemble vaguement à un isoloir de bureau de vote. Des stalles sont placées côte à côte sur de grandes longueurs. Les soins se font en série. On commence par aller en « salle de chauffe ». Le but est de faire fondre la graisse et d’ouvrir les pores afin d’optimiser les actes qui vont se succéder ensuite. L’odeur y est assez spéciale, « relents bizarres et compliqués de fards en liquéfaction ». On peut aussi faire quelques mouvements dans une salle de gymnastique ou se faire malaxer en salle de massage/modelage. La chair y est pétrie « comme de la glaise ». Pour éliminer les poils disgracieux, un petit tour sur la table de soin ; des lotions hyperactives permettent d’éliminer duvet, poils follets et follicules pileux récalcitrants. Le laboratoire « main et figure » a pour objet, comme son nom l’indique, de magnifier main et visage. Un vernis rouge est le plus souvent posé. En 1930, on raffole des « doigts sanglants d’étrangleuses ». Pour le visage, on opte pour une pâte qui donne aux joues un délicieux effet rebondi (les fameuses crèmes « plump » d’aujourd’hui). Un collyre dans les yeux - Ouille, cela fait pleurer pendant 20 bonnes minutes - et on sera certaines de pouvoir émouvoir le plus endurci des cœurs avec des yeux langoureux qui parlent le langage de l’amour (« Je vous aime »). Du coup, les sourcils sont rasés et on les remplace par un trait de crayon qui semble effectué au compas. Le « fignolage » est réalisé avec « des onguents mystérieux et des crèmes de beauté en frictions douces ». Un pur moment de bonheur après tout cet acharnement cosmétique.

Dans un institut spécialisé dans l’amaigrissement, Louis se heurte à des soigneurs en blouse blanche qui veulent vous faire enfiler des laxatifs ou réaliser des purges à tout crin, car « il nous faut un intestin rigoureusement net et débarrassé » ! Pas très convaincant !

Louis entre à nouveau dans une grande surface de la beauté. Il y découvre une technique de chaud et froid qui fait courir des frissons dans le dos. La peau du visage enduite d’huile est chauffée à l’aide d’une lampe-braséro. Les yeux sont protégés grâce à deux boules de coton. Suit un massage « au pouce », la pose de compresses glacées imbibées de produit astringent, puis d’une mystérieuse « pommade blanche ». On empile dessus un masque en caoutchouc, sensé figer les traits reposés dans une belle immobilité. Lorsque la pilosité l’impose, une épilation avec des « aiguilles thermo-électriques » permet de dire adieu aux poils de façon définitive. Le maquillage du visage avec un fond de teint adapté sonne quasiment la fin du soin. Ce produit ne doit pas être trop blanc (« fishy-white »), ni trop rouge (« tomat-can-red ») si l’on ne veut pas faire carnaval. Pour parachever l’oeuvre d’embellissement, l’émaillage est proposé. Il s’agit de placer sur le fond de teint une suspension nacrée « d’écailles d’ablettes dans de l’essence de rose ». Le résultat final est un teint qui se rapproche de celui d’une bergère en porcelaine de Saxe. L’émaillage peut être comparé à l’étape de vernissage réalisée sur un tableau. C’est tout dire ! Si l’on a encore un peu de force, on peut se traîner jusque chez le coiffeur qui possède un instrument high-tech. Celui-ci permet de déterminer l’état d’hydratation du cheveu et permet de rédiger une ordonnance circonstanciée en fonction du résultat obtenu.

Louis par-ci, Louis par-là. Louis devient rapidement un vrai spécialiste des techniques de maquillage à la mode. Le contouring (qui ne porte pas encore ce nom-là !) est alors en vogue. On applique du rouge ou du blanc à tel ou tel endroit pour masquer, ombrer, révéler, magnifier.

La technique du tatouage de la peau lui est également dévoilée. Le maquillage permanent est obtenu à l’aide de petites aiguilles qui permettent de teinter la peau au niveau de la paupière, des oreilles ou des lèvres.

Passons maintenant du côté de la fabrication des produits de beauté. Selon la zone de l’entreprise visitée, il est possible de voir des ouvrières remplir des flacons de lotions ou bien des alambics se prêter à la longue opération de distillation. Les fards sont concoctés dans de grandes marmites ; le mascara ressemble à un grand serpent qui sera débité, au moment opportun, en petits morceaux. Dans la salle réservée aux poudres, on évolue dans un nuage rose. Les cheveux, la peau des ouvriers apparait sous un voile rosé du plus bel effet (beaucoup moins pour leur santé !). 40 teintes sont produites ici ; 15 parfums peuvent être utilisés pour en modifier l’odeur. Sur les étagères, les poudres de teintes « Rachel », « Chair ambrée », « Chair rose », « Rose violet » s’empilent joyeusement. Du coté des fards, l’entreprise commercialise 30 couleurs différentes, ce qui permet de satisfaire chaque cliente et de réaliser ce que l’on appelle déjà du « sur-mesure ». « A Paris, une naturelle honnêteté se refuse aux produits nocifs »... On sera donc rassuré quant à la qualité des produits de maquillage fabriqués…

Pour parfaire sa connaissance du milieu de la beauté, Louis va inviter à déjeuner deux jeunes filles, une spécialiste du massage, Berthe et une manucure, Andrée. Sous l’effet du Chambertin, les langues se délient. La masseuse sort d’une école d’esthétique. Elle a subi un « semblant d’examen » pour 500 francs et décroché un diplôme qui lui a ouvert de nombreuses portes. Pourtant, Berthe est dégoûtée de son métier... Trop de chairs affaissées, de seins ravagés, de ventres dégoulinants. « Un institut de beauté, c’est un rouleau compresseur : ça vous nivelle votre monde »... Clientes et professionnelles, apparemment ! Andrée, quant à elle, est beaucoup plus optimiste. Elle aime son métier, même si celui-ci n’est guère rémunérateur. Payée aux pourboires, Andrée doit acheter tous les produits dont elle a besoin sur ses propres deniers.

Encore un mot sur le « repassage de la peau », une technique qui consiste à stimuler l’épiderme par de multiples pincements.

Une petite comparaison amusante entre institut de beauté pour belles en perdition et garage pour belles mécaniques. « Un massage facial c’est comme des ailes neuves à une carrosserie... au figuré évidemment. On a peur de se faire tamponner. »

L’ouvrage L’industrie de la beauté est une véritable mine pour qui veut se renseigner sur les méthodes utilisées dans les instituts de beauté au début du XXe siècle.2 Un journaliste qui réalise son métier à fond, visite des instituts, joue les masseuses, se promène dans une industrie cosmétique... et voilà un ouvrage qui se dévore et qui offre une vision amusante du domaine de la beauté.

Bibliographie

1 http://www.medias19.org/index.php?id=20923

2 Léon-Martin L. L’industrie de la beauté, Paris, 1930, 241 pages

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