> 04 novembre 2017
Il y a quelques mois, nous avons décidé de poser quotidiennement un Regard sur les cosmétiques présents sur le marché et dont l'étude constitue le cœur de notre métier.
En 1937, alors que nous n’étions pas encore nées, le dermatologue anglais Arthur Burrows décide, lui aussi, de poser un regard critique sur tous ces produits de beauté qui s’accumulent sur les tables de toilette de sa patientèle. Ce regard est, bien sûr, très intéressant pour tous les amoureux de l’histoire des cosmétiques car il permet de se faire une idée des tendances de cette époque.
Arthur Burrows commence son article par une définition ; pour lui, les cosmétiques utilisés comme « ornement » de la personne sont des préparations appliquées sur la peau et les annexes afin d’en modifier ou d’en améliorer (on peut l’espérer) l’aspect. Tant que l’on parle d’ornementation, le dermatologue reste stoïque ; évoquez un cosmétique qui traite les imperfections, il deviendra, immédiatement, plus rétif, plus critique…
Le Dr Burrows s’étonne de la grande quantité de références cosmétiques retrouvées sur le marché dans les années 1930. Il juge leur nombre « énorme ». Que dirait-il alors aujourd’hui ? Les préparations anciennes réalisées à partir d’un nombre d’ingrédients restreint, c’est du passé. En 1937, molécules naturelles et molécules de synthèse concoctées dans les laboratoires de chimie s’associent pour donner naissance à des formules véritablement révolutionnaires (pour l’époque !).
Chaque femme a recours habituellement à 4 types de produits. On retrouve ainsi une crème nettoyante composée d’une base lavante, d’une huile sulfatée, d’huile de coco, d’huile d’olive (6 – 12%), de paraffine liquide jusqu’à 18%, de cire d’abeille, de spermacéti ou de paraffine (20%), d’eau (10%), d’agent émulsifiant (lanoline ou oxycholestérol) ; le cold cream stabilisé par le borax peut également être utilisé pour réaliser la toilette. On dispose également d’une crème nourrissante et d’une crème de base qui permettra de faciliter la touche finale poudrée.
Arthur Burrows est assez sceptique sur l’effet nettoyant des crèmes grasses à type de cold-cream. Il connaît toutefois sa patientèle et sait parfaitement que quoi qu’il puisse dire certaines continueront, mordicus, à nettoyer leur visage, à sec, à l’aide du cérat de Galien modifié et d’un papier absorbant. L’hygiène des peaux sèches réclame des produits à base de glycérine et de corps gras ; l’hygiène des peaux grasses des préparations plus toniques à base d’alcool, d’acétone (!!!), de résorcine (!!!), de benjoin et de borax. Pour les peaux grasses ou normales, « un bon savon » peut convenir. Une peau normale n’a pas besoin d’aller chercher plus loin… Un « bon savon » est un savon qui ne contient pas d’alcali en excès !
Les skin foods ou crèmes nourrissantes ou crèmes tissulaires ou crèmes lubrifiantes existent sous une centaine d’appellations différentes (Arthur Burrows serait-il en réalité de Marseille ?) ; elles ont pour but de « nourrir » la peau et « de faire se sentir belle »… Ces crèmes nourrissantes contiennent de la lanoline, de la lécithine, de l’huile d’olive ou de l’huile de foie de poisson. A cette base, on ajoute d’autres corps gras et des parfums pour personnaliser une formule somme toute assez standard ! L’emploi du terme « nourrissant » utilisé pour qualifier ces crèmes semble irriter fortement Arthur Burrows qui ne dénie pourtant pas à ces crèmes un effet certain (reconstitution d’un film gras protecteur à la surface de la peau) ; il insiste sur le fait que la « nutrition » de l’épiderme se fait de l’intérieur grâce au sang et à la lymphe, bien plus que par l’extérieur ! Tant que cette nutrition est efficiente, aucune aide extérieure n’est requise. Le cosmétique doit savoir rester à sa place !
Le concept de tonique cutané est, quant à lui, dépassé aux yeux acérés du dermatologue. Un effet psychologique peut, toutefois, lui être reconnu. Le tonique Monica (Clarks) « idéal pour tonifier et vivifier les tempes et le pourtour des yeux » ainsi que « pour éviter la boursouflure et la patte d’oie » ne devait pas manquer de succès auprès de celles qui souhaitaient gagner quelques années par cosmétique interposé !
Les crèmes de base sont des émulsions (H/E ou E/H) composées d’acide stéarique (16 à 24%), de corps gras tels que le saindoux, le beurre de cacao (6%), de liquides divers et variés (paraffine liquide, glycérine, eau, alcool (75%) et d’émulsifiants (borax, potasse, ammoniaque, triéthanolamine…) (33%). Tels sont les propos mêmes du Dr Burrows. On se rend bien compte que quelques erreurs s’y sont glissées puisque la glycérine est classée dans les corps gras (ce qui est, bien sûr, totalement faux) et les bases dans les agents émulsifiants. De telles erreurs sont toujours véhiculées de nos jours, ce qui montre bien que les idées fausses peuvent avoir la vie dure !
Enfin, la poudre vient achever l’ornementation ! Celle-ci est composée de kaolin (une poudre absorbante), de stéarates (type de magnésium) pour les qualités d’adhérence, du talc pour faciliter l’étalement (on parle d’effet glissant), d’oxyde de zinc et de dioxyde de titane pour un effet couvrant, de pigments et de parfums. La poudre de riz du commerce est jugée trop légère pour certaines, mais considérée comme la meilleure pour d’autres. La poudre possède de multiples vertus ; elle protège de la lumière, absorbe les mauvaises odeurs liées à la transpiration, peut calmer des inflammations… si et seulement si elle contient les bons ingrédients et exclut les mauvais. Un usage excessif met la consommatrice au centre d’un cercle vicieux qui ne tourne vraiment pas bien rond. La vieillesse « accélérée » est au bout du chemin. Si Arthur Burrows ne détient pas les preuves scientifiques pour étayer son sentiment profond, il est parfaitement convaincu de la véracité de sa théorie.
Si l’on souhaite augmenter la sécurité d’emploi des cosmétiques, il est indispensable d’éviter les ingrédients responsables d’intoxication suite à une application locale (sels de plomb, sels de baryum, dérivés de bismuth…). Il est intéressant de connaître les ingrédients susceptibles de déclencher des allergies ou idiosyncrasies, réactions déconcertantes à l’origine de nombreuses plaintes (huile de coco, acide borique et borax, éosine, huiles essentielles, bases fortes retrouvées dans les produits pour repousser les cuticules, huile essentielle de bergamote qui colore la peau en brun après exposition au soleil, paraphénylènediamine utilisée dans les produits de coloration capillaire, formol incorporé dans les produits visant à réguler le phénomène de transpiration excessive…). Une troisième liste d’ingrédients irritants est également à prendre en compte. Dans cette liste, on trouve l’alcool pur, la glycérine pure, l’oxyde de zinc, les sulfures de bismuth, de strontium, de calcium et de sodium utilisés dans les préparations dépilatoires, l’iode retrouvé parfois dans les cosmétiques destinés à éliminer les taches de rousseur, l’argent utilisé autrefois dans les shampooings… (Arthur Burrows, Cosmetics, The Lancet, 230, 5959, 1937, 1154-1155)
Sans le savoir, Arthur Burrows pose les bases de la réglementation cosmétique moderne. Une liste de substances interdites, des listes de substances autorisées sous certaines conditions… Le principe de base du recours à un cosmétique est d’apporter un réconfort et non de provoquer des effets indésirables… On notera que le concept de substances allergisantes et irritantes a évolué. L’huile de coco n’est absolument pas considérée comme allergisante de nos jours, l’acide borique et le borax sont limités en concentration du fait d’une toxicité systémique à prendre en compte, les bases fortes sont jugées irritantes et non allergisantes. Côté substances irritantes, on s’étonne de voir mentionnée la glycérine. L’iode, quant à lui, a rejoint la liste des substances interdites.
80 ans après la rédaction de cet article de synthèse, on se rend compte que les exigences en matière de cosmétiques restent les mêmes. Ne pas nuire à la santé doit rester le prérequis incontournable à prendre en compte par tout formulateur.
Un grand merci pour cette contribution à notre blog, Monsieur le Dr Burrows !