> 12 novembre 2017
Dans Belles saisons I, Colette, bien qu’elle-même chroniqueuse beauté pour un certain nombre de journaux pendant la période de l’Occupation, se paye le luxe de brocarder gentiment ses collègues qui n’hésitent pas un instant à se contredire l’espace d’une saison (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/chroniqueuses-beaute-d-hier-et-d-aujourd-hui-meme-combat-321/).
Dans son journal qui couvre la période du 16 octobre 1940 au 25 septembre 1941 (« De ma fenêtre »), Colette joue les conseillères beauté, mode, vie quotidienne, multipliant les conseils, afin de venir en aide à ses compatriotes dans une période particulièrement noire de leur existence. On manque alors de tout : alimentation, étoffes, cuir, cosmétiques.... « La semaine dernière, les femmes assiégèrent les parfumeurs et les dépôts de parfumerie. Selon qu’elles avaient acquis ou non le fard, la crème frappés le lendemain d’interdit, elles sortaient rassérénées ou soucieuses. »
L’ingéniosité est donc de mise. Comment, par exemple, faire une flognarde avec le minimum d’ingrédients ? Mélanger « deux œufs, un verre de farine, un verre d’eau froide, du sel et trois cuillérées de sucre en poudre », vous obtiendrez un flan rustique qui serait bien meilleur agrémenté de pommes comme on a l’habitude de le cuisiner dans le Limousin.
Comment lutter contre les privations ? Comme si on se trouvait sous les Tropiques, on va limiter la pratique du sport qui mobilise inutilement les forces. « Pour y durer l’être humain réduit au minimum son activité physique, épargne la précieuse sueur des pores toujours ouverts. » Pas de grignotage en dehors des repas, pas d’excès de graisses ou de sucres (pour cause de pénurie), légumes presque à volonté... l’époque n’est pas à l’embonpoint ! Certaines femmes, malgré ce régime peu favorable à la prise de poids, se jugent encore trop enrobées. Ayant abandonné le corset, elles s’enduisent de gelée amincissante telle la gelée Ixennol (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/-a-bas-le-corset-vive-la-creme-amincissante-281/) qui fait fondre la graisse.
Comment lutter contre le froid ? Plusieurs solutions. Les plus spartiates (dont Colette fait partie) iront « pieds nus en toute saison ». Les sandales remplacent les chaussures... Pour les autres, elles pourront s’entourer les pieds de journaux. Eviter « les vêtements dits d’hiver » si courts que l’on s’enrhume rien qu’à les regarder. « [...] la jupe insuffisante en longueur » et la coquetterie des jeunes filles vis-à-vis de l’occupant agace une Colette qui semble atteinte de pudibonderie, l’âge venant. « On a envie de dire, à ces fillettes sans limite d’âge, échevelées et découvertes : Chut... Nous ne sommes pas seuls... » On peut, pour se réchauffer, se déplacer en métro lorsque l’on est Parisienne. « Quelques nuits froides, autant de journées fraîches ; c’est assez pour que tout change et qu’à descendre dans le métro, à rencontrer ce flot d’air ascendant qui charrie une odeur si profondément humaine, nous nous écriions Ah ! Il fait bon ici... Non, il ne fait pas bon dans le métro. Mais il est notre unique ressource. » A la maison, les bouillottes seront les bienvenues. Enfin, dernière solution, « une toilette minutieuse », pratiquée sous la forme d’un récurage énergique qui fait jaillir le sang sous la peau et qui constituera, pendant un certain temps du moins, un chauffage d’appoint peu coûteux. « [...] je me mêlerai de conseiller ce qui réussit aux lève-tôt de toute saison : quelle que soit votre fatigue, secouez-la, le soir au bénéfice d’une toilette minutieuse. Vous y gagnerez d’avoir chaud en vous couchant, de reposer plus profondément, de sentir bon, de ménager vos draps et de dormir plus longtemps le matin. »
Comment lutter contre les engelures ? Si malgré les conseils précieux de Colette pour lutter contre le froid, ses lectrices développent des « engelures ouvertes qu’on appelle chez nous crevasses », Colette dégaine sa recette miracle en provenance directe de son enfance. « [...] une bouteille de vinaigre de roses, pétales de roses rouges infusés un mois dans du vinaigre fort, le tout clarifié au papier-filtre » fera chanter (de douleur) même les moins douées pour la musique. Colette qui n’a jamais souffert d’engelures (on s’en doute sinon elle ne se serait pas baladée en sandales en plein hiver !) arrivait, par on ne sait quel stratagème, à se faire appliquer des cataplasmes imbibés de cette préparation. « La compresse embaumée » était déviée de sa destination première et sucée « en cachette, pour son double goût de vinaigre et de rose. » Plus sérieusement, il aurait été utile de placer sur l’engelure une pommade cicatrisante à base d’huile de foie de morue telle que la pommade Unguentolan, mise au point par une société berlinoise, dans les années 1930 (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-poisson-un-je-ne-sais-quoi-cosmetique-182/). Encore fallait-il se la procurer ! Et puis, n’aurait-ce pas été qualifié de pactiser avec l’ennemi… Ne pas comprimer le pied dans des chaussures trop étroites aurait également constitué un bon conseil.
Comment lutter contre les pellicules ? Aucune solution cosmétique n’est proposée. Colette réagit en bibliophile avisée et conseille de « ne pas se gratter la tête au-dessus des pages [...] ».
Comment transformer une pénurie de bas en atout esthétique ? Colette qui s’y connaît en matière de recyclage des textiles (transformation de deux jupes courtes pour en faire une longue, d’une salopette...), avoue son impuissance en ce qui concerne les bas. « Je n’ai rien à vous proposer en fait de bas. Car je n’ai jamais bien compris que le plus désirable des bas soit le bas dit « invisible » et qu’il faille payer si cher ce qui tâche à ne pas exister. » Pieds nus dans des sandales ou jambes bien protégées dans un bon collant en laine, il n’y a pas d’intermédiaire pour Colette. Il est dommage que Colette n’ait pas voulu divulguer les conseils retrouvés dans le manuel de René Cerbelaud. Elle aurait mis en garde ses lectrices contre l’emploi du « Blanc de talc gélatineux qui sert à blanchir les plafonds » en guise de préparations destinées à teinter les jambes. Cette mode venue du music-hall n’est bien sûr pas à suivre du fait de la qualité douteuse du produit en question. Les dermites dans ces conditions sont assurées. Elle aurait recommandé, cependant, les pâtes à l’eau ou « bas de soie » cosmétiques employés là encore par les vedettes de music-hall. La brune s’épilera, la blonde décolorera les poils de ses jambes à l’eau oxygénée, toutes deux appliqueront de concert une pâte à l’eau composée d’oxyde de zinc, de carbonate de chaux, de talc, de kaolin, d’eau distillée de rose, de glycérine, additionnée ou non de terre de Sienne. Un parfum lavande-bergamote ou bien eau de Cologne signera le caractère raffiné de la formule. Selon le pourcentage de pigments, le « bas » sera plus ou moins teinté... Le pharmacien qui réalisera la préparation dans son préparatoire pourra réaliser une teinte sur-mesure... Seul bémol : l’application nécessite un tour de main. « Laver les jambes avec une main de linge imbibée d’eau tiède. Ne pas sécher et appliquer, par massage, du bas de soie que l’on aura mis sur la paume de la main. Avec un peu d’habitude, on arrive à l’étaler très régulièrement. En cas de besoin, on fait disparaître les taches ou les stries avec un petit morceau de linge fin. » (René Cerbelaud - Formulaire de parfumerie - 1933). Ne doutons pas du fait que Colette ait connu cette mode des « bas de soie » cosmétiques vu son amour pour le music-hall et pour les artistes qui s’y produisaient alors, et si elle en tait l’existence, c’est tout simplement qu’elle en désapprouve l’emploi !
Colette est une chroniqueuse beauté bien terre à terre qui revient à plusieurs reprises sur la recette de la flognarde et n’hésite pas à bousculer sa lectrice en lui intimant l’ordre de se laver (forcément à l’eau froide), minutieusement, quelles que soient les circonstances !
Un immense merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui, en revisitant Delacroix, nous livre une Colette parfaite dans son rôle de chroniqueuse guidant les femmes !