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Dans la cuisine de Platon, la fête au cosmétologue !

> 11 novembre 2017

Dans la cuisine de Platon, la fête au cosmétologue ! Dans Gorgias (Gorgias, Flammarion, 1987, Paris, 382 pages), Platon, philosophe du Ve siècle avant notre ère, se fait fort de venir à bout des raisonnements des rhéteurs, individus pour lesquels il n’a que mépris. Quel est l’intérêt de déclamer un discours superbe et très convaincant si le raisonnement qui y est développé repose sur des bases totalement fausses ? Avant de mettre au point des règles d’éloquence, il est indispensable de rechercher la vérité, de définir ce qui se cache derrière chaque mot employé... C’est dans cette voie que s’engage Platon, véritable amoureux des mots et de leur signification profonde, lorsqu’il fait dialoguer son maître Socrate avec des rhéteurs qui semblent particulièrement obtus !

Pour Platon, la rhétorique se résume « au savoir-faire » de la tromperie. Le discours peut être tellement bien mené qu’il semble parfaitement juste alors qu’il ne l’est absolument pas. Pour en convaincre Gorgias, Socrate multiplie les exemples. Pour maintenir son corps en bon état, tout homme a besoin de se nourrir (donc d’un cuisinier capable de réaliser des recettes succulentes), de faire de la gymnastique (donc d’un coach sportif capable de conseiller et de stimuler son élève) et d’avoir recours à des médicaments pour prévenir ou guérir les maladies qui peuvent survenir (donc d’un médecin capable de réaliser une prescription). Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes si le cuisinier et le coach sportif ne se prennent pas pour le médecin ! Socrate choisit cet exemple parlant pour montrer que le rhéteur (le cuisinier plein de talent) a la fâcheuse tendance à se prendre pour le philosophe (le médecin compétent). « Ainsi, la cuisine s’est glissée sous le médecine, elle en a pris le masque. Elle fait donc comme si elle savait quels aliments sont meilleurs pour le corps. » « La cuisine, donc, est la forme de flatterie qui s’est insinuée sous la médecine. »

Platon ne fait pas que s’attaquer aux cuisiniers apprentis-médecins, il règle également ses comptes avec les cosmétologues apprentis-coachs sportifs, ces tricheurs qui veulent prendre la place des professeurs de gymnastique sans en avoir le talent. « Et, selon ce même schéma, sous la gymnastique, c’est l’esthétique qui s’est glissée ; l’esthétique, chose malhonnête, trompeuse, vulgaire, servile et qui fait illusion en se servant de talons et de postiches, de fards, d’épilations et de vêtements ! La conséquence de tout cela est qu’on s’affuble d’une beauté d’emprunt et qu’on ne s’occupe plus de la vraie beauté du corps que donne la gymnastique. »

En résumé : « Voici : l’esthétique est à la gymnastique ce que la cuisine est à la médecine. »

Les cosmétologues ont l’habitude d’être traités de cuisiniers avec un certain mépris. Ne cherchons plus l’origine de ce dédain. Ce sont tout simplement des lecteurs assidus de Platon qui continuent à perpétuer l’image d’un cosmétologue un peu foufou qui mélange les ingrédients entre eux sans jamais réfléchir à ce qu’il fait.

Cuisiniers, cosmétologues, unissons-nous pour convaincre tous ces platoniciens que la cuisine et la cosmétologie ne nécessitent pas seulement un savoir-faire mais mobilisent un grand nombre de connaissances scientifiques. Véritablement un ART et non pas « une pratique, qui agit sans raison ».

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