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Où comment et quand se faire doucher par un Immortel ?

> 25 février 2023

Où comment et quand se faire doucher par un Immortel ?

1940 : 8 mois après son coup de foudre maritime avec Camille Sherman, une jeune Allemande dont les parents ont été arrêtés par les nazis, Laurent Pasquier se trouve confronté au problème de la sécurité de sa bien-aimée.1 A la maison, avec Jacqueline, la situation est invivable… comme on pouvait le prévoir ! Où cacher Camille dans ces conditions ? Là, où personne n’aurait l’idée de la chercher… A l’Institut allemand, par exemple ! Et puis, il y a aussi l’ami allemand, Manfred… en rébellion contre Hitler et qui atterrit, un beau jour, tout crotté, dans le vestibule des Pasquier. A lui aussi il va falloir trouver une cachette en béton armé… et pourquoi pas dans les greniers de l’Académie française ?1

Et un hommage tout reluisant à destination de Jacqueline

Laurent Pasquier sait pertinemment bien tout ce qu’il doit à sa femme Jacqueline. A ses côtés depuis 30 ans, Jacqueline est celle qui, venue du bas de l’échelle, a tout fait pour parvenir au sommet de la pyramide. Sans elle, pas de prix Goncourt, pas de fauteuil capitonné à l’Académie française, pas de chronique dans les colonnes du Figaro. Elle… c’est Elle, cette petite immigrée italienne, qui a toujours tout fait pour transformer le petit Laurent en un grand Immortel. C’est Elle qui prend les contacts, serre les mains, entretient les amitiés… bref construit, avec patience, tout un réseau favorable à celui qu’elle porte comme un nourrisson.

Et une toilette complète pour l’ami Manfred, déserteur du IIIe Reich

Manfred, sauvé durant la Grande Guerre par le Dr Pasquier, est sauvé, une seconde fois, par ce même docteur, au petit jour, en février 1940. Manfred, qui a fui l’Allemagne précipitamment, a une allure de vagabond. Laurent le pousse alors dans la salle de bains, pour « le doucher, le sécher, le frictionner ». « Et je me vis frotter le gros savon sur la peau blanche de ses épaules, de son torse, de ses cuisses même et de ses pieds qui me semblèrent comme brûlés. Je lavai aussi ses fins cheveux, presque tous devenus blancs. » Comme un tout petit enfant, Manfred se laisse laver par son ami, sans faire un geste. « Il n’était entre mes mains qu’une grande chose inerte, muette et désolée. » « Pendant près de 10 minutes, je l’obligeai à rester sous le jet qui cinglait et rougissait sa peau […] ». L’espace d’un instant Laurent se revoit « dans les hôpitaux de fortune », en train de doucher les malheureux de retour du Front. Pour la seconde fois, Manfred blessé (moralement cette fois-ci et non plus physiquement comme durant la Première Guerre mondiale) se remet entre les mains de celui qui est devenu son ami, son frère ! « Manfred m’attendit, impressionnant bébé sagement assis sur le tabouret de la salle d’eau, tandis que j’allais fouiller ma penderie pour trouver de quoi l’habiller. »

Et des douches quotidiennes pour un Manfred claquemuré dans un haut lieu de l’esprit français

Une fois Manfred lavé, réconforté, restauré, il ne reste plus à Laurent qu’à le conduire à l’Académie. Dans les combles de la vénérable institution, avec la complicité d’un concierge plein d’humanité, Manfred trouve un refuge insolite. Tout est organisé afin de rendre sa vie la plus agréable possible. « Pour se laver, Manfred pourrait discrètement, le soir, descendre dans la loge et s’y doucher. »

L’extinction des feux, en bref

Après 8 mois de félicité amoureuse, Laurent doit quitter sa maîtresse et l’installer dans un lieu sûr. Alors que Camille est à peine casée à l’Institut allemand, voilà Manfred qui vient toquer à la porte du bon docteur… Une bonne douche pour décoller la crasse accumulée pendant un voyage homérique et voilà aussi Manfred caché dans les combles de l’Académie Française. Laurent a mis ses amis à l’abri. Il va devoir, maintenant, apprendre à vivre sans eux dans sa grande et belle demeure familiale. Avec en prime, une Jacqueline, muette comme une carpe, qui a décidé de jouer au jeu du silence !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Duhamel J., L’extinction des feux in L’heure où les loups vont boire, Le clan des Pasquier, Flammarion, 2012, 621 pages

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