Nos regards
Quand l’abbé de Choisy nous parle de la cour de Louis XIV !

> 05 août 2018

Quand l’abbé de Choisy nous parle de la cour de Louis XIV ! L’ennuyeux avec ce curieux personnage est que l’on ne sait jamais si l’on a affaire avec l’abbé de Choisy (1644-1724), avec Madame la Comtesse des Barres ou encore avec Madame de Sancy… Ce caméléon est, tour à tour, compagnon de jeu de Mademoiselle de La Vallière ou du jeune Philippe d’Orléans, ambassadeur au Siam, doyen de la cathédrale de Bayeux, membre de l’Académie française, dame pieuse qui offre le pain bénit dans sa paroisse...

Dans ses « Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIV » (Mémoires de l’abbé de Choisy, Mercure de France, 2005, 533 pages), l’abbé se laisse aller à son péché mignon (pour ne parler que du plus véniels…), à savoir l’écriture. Son but en s’attelant à cette tâche : « l’instruction du prochain », sans « vain désir de gloire ». L’abbé est un témoin qui couche sur le papier tout ce qu’il « sait de plus secret et de plus vrai. » On s’en réjouit par avance.

Pour commencer… et à tout seigneur tout honneur, évoquons le jeune François-Timoléon, alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Habillé en fille jusqu’à l’âge de 18 ans... « on n’excusera pas ma mère de l’avoir voulu ». « Par une fausse tendresse », sa mère l’éleva « comme une demoiselle ». A chaque fois que Philippe d’Orléans, frère de Louis, vient dans « la belle maison à la porte du Louvre » où vit François, celui-ci est habillé en fille. Cela se produit 2 ou 3 fois par semaine. « J’avais les oreilles percées, des diamants, des mouches, et toutes les petites autres afféteries auxquelles on s’accoutume fort aisément, et dont on se défait fort difficilement. » Dès son arrivée, Philippe est toiletté, coiffé... Ces jeux se font sur ordre du cardinal Mazarin qui souhaite préserver Louis de toute velléité de la part de son cadet. Bien plus tard pourtant, Philippe saura faire preuve de courage à la guerre et exposera « toute sa beauté à un soleil » qui ne l’épargnera pas !

Passons maintenant au roi Louis XIV, cet astre autour duquel gravitent courtisans, femmes galantes, ministres et domestiques. Ce roi est aimable avec ses serviteurs. Un jour qu’il est obligé d’attendre que l’on veuille bien retrouver sa paire de « souliers » - cela demande un temps infini - le roi reste impassible et gourmande les courtisans qui s’impatientent, à sa place. Un autre jour, alors qu’un valet lui renverse « sur la jambe toute nue la cire brûlante d’une grosse bougie : « Au moins, lui dit-il, donnez-moi de l’eau de la reine de Hongrie ». Cette préparation à base d’esprit de vin (de l’éthanol), d’essences de romarin, d’écorce de citron, de mélisse et de menthe, mêlées d’esprit de roses et d’extrait de fleurs d’oranger, devait sentir fort bon et constituait une manière plaisante, quoique douloureuse, de désinfecter les plaies. Louis XIV n’est pas vraiment douillet. Une tumeur à la cuisse est cautérisée à la chaux vive mêlée de savon (« la pierre de cautère »). Ses fièvres sont traitées à l’aide de saignées, de purges et de quinquina, un remède véritablement miraculeux. L’opération de la fistule est restée célèbre. « Deux coups de bistouri et huit coups de ciseaux » furent reçus avec grande impassibilité par un souverain qui ne manqua pas de dire à ses médecins : « Est-ce fait, Messieurs ? Achevez, et ne me traitez pas en roi, je veux guérir comme si j’étais un paysan. »

Ce roi a été formé à bonne école. Avant de mourir, le cardinal Mazarin s’est plu à lui répéter qu’il faut « toujours promettre aux Français, sans se mettre beaucoup en peine de leur tenir. » Le précepte s’est toujours transmis depuis, de bouche à oreille, d’un dirigeant à l’autre !

Louis a été amoureux… souvent, très souvent… trop souvent. Les nièces du cardinal vous en parleraient mieux que nous. Marie Mancini s’est crue reine de France ; elle ne fut qu’une passade… une parmi tant d’autres. L’abbé ne la trouve pas à son goût. « Cette fille, pleine d’artifice, n’avait pu lui fasciner les yeux plus longtemps. » Lorsque Marie convolera avec le connétable Colonna, le roi lui fera des « présents magnifiques ». Il se tiendra, toutefois, prudemment éloigné de cette dangereuse intrigante en lui interdisant de revenir faire sa cour. Loin des yeux, loin du cœur... Le « feu passager qu’autrefois elle avait allumé dans son cœur » est bien vite éteint. Même chose pour Hortense qui sera mariée ensuite bien promptement. Son époux, le duc de Mazarin, deviendra un dévot enragé n’hésitant pas à briser « des statues antiques d’un prix inestimable », uniquement par pudibonderie. Viendra par la suite, Mademoiselle de La Vallière qui apportera une note de fraîcheur. Elle n’est pas une de « ces beautés parfaites », mais, pourtant, elle répond à un certain nombre des critères de beauté alors en vigueur. Un beau teint, des cheveux blonds, des yeux bleus, un beau sourire... Par manque de temps, Louis fait écrire ses mots doux par le marquis Dangeau ; par manque d’esprit, Louise y répond grâce au même Dangeau... qui dialogue finalement avec lui-même ! « Il faisait ainsi les lettres et les réponses et cela dura un an, jusqu’à ce que La Vallière, dans une effusion de cœur, avoua au roi, qui, à son gré, la louait trop sur son esprit, qu’elle en devait la meilleure partie à leur confident mutuel, dont ils admirèrent la discrétion. » L’abbé parle de Louise en connaissance de cause, car il a joué avec la favorite alors qu’ils n’étaient encore que deux enfants. « Nous avons joué plus de cent fois à colin-maillard et à cligne-musette. » Cette charmante La Vallière sera supplantée, un jour, par la vénéneuse Montespan. Louis XIV ne fait pas montre d’un grand tact lorsqu’il décide de mettre un terme à une histoire d’amour. « [...] quand il revenait de la chasse il venait se débotter, s’habiller, se poudrer chez Mme de La Vallière : il lui disait à peine bonjour, et passait dans l’appartement de Mme de Montespan, où il demeurait toute la soirée. »

L’abbé sait décrire les beautés de la cour. C’est Melle de Murcé qui fait chavirer les cœurs (« On n’avait pas le temps de respirer ni de s’ennuyer quand elle était quelque part. ») ; c’est Mme de Lowestein, « belle comme des anges », « une taille fine », les yeux bleus, le teint admirable, les cheveux blonds (« du plus beau blond du monde ») qui possède une dote inestimable (ce qui ne gâte rien), l’alliance d’une grande naissance, de la beauté et de la vertu (ce qui ne gâte rien non plus !).

A la cour, la poudre est le cosmétique le mieux représenté. Pour s’apprêter, pour se faire belle - ou beau - l’on porte perruque et force poudre ! M. le prince de Conti est ainsi fort étonné de trouver, un soir, au chevet de sa femme, un certain Vadres, « paré comme un homme qui veut plaire, vêtu magnifiquement et la tête (qu’il avait belle) bouclée et poudrée, avec plus de soin qu’il ne convient, quand deux heures auparavant l’on était fatigué d’avoir couru le cerf. » C’est ce même Vadres qui, lors d’une partie de cartes restée célèbre, se serait écrié : « J’espère que ce sera un cœur. » puis « J’en connais un, Madame, qui ne vous manquera jamais. »

L’âge des conquêtes passé, Louis XIV tourne les yeux vers Mme de Maintenon. Elle n’est plus « d’une fort grande jeunesse », mais ses yeux sont vifs, brillants, pleins d’esprit... Cela change de la Fontanges qui était « sotte comme un panier ». L’heure de la sérénité a sonné !

Evoquons cette peur des poisons qui hantent les uns et les autres et fait regarder à deux fois avant de consommer toute boisson. Alors que le cardinal de Retz complote contre le pouvoir royal, il est arrêté et incarcéré à Vincennes. Comme il a peur d’être empoisonné, il demande à des amis de lui faire parvenir un contrepoison pour parer à toute éventualité. Celui-ci est livré sous la forme d’un médicament, un opiat, censé traiter les maux d’estomac. Ayant appris la chose, la reine « fut fort en colère qu’on la crut capable de se servir de poison. » L’un des ministres proposa de substituer au faux opiat un vrai poison... « pour punir une défiance si mal fondée et s’y offensante. » Heureusement, cette idée ne fut pas retenue.

Cette peur des poisons nous la retrouvons dans cette curieuse anecdote qui n’est pas sans rappeler le célèbre roman de Madame de La Fayette (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-princesse-de-cleves-ou-l-art-d-etre-bien-fait-298/), amie de notre abbé. Il y est question d’un Monsieur de Guise qui avait épousé « une princesse de Clèves, veuve du prince de Porcian ». La princesse n’est pas insensible aux arguments de Monsieur de Saint-Mesgrin. Alors qu’un bal est organisé, la princesse s’y rend contre l’avis de son mari et y danse frénétiquement, jusqu’aux premières lueurs de l’aube. A son arrivée chez elle, la princesse se heurte à son époux qui lui commande de boire « un bouillon » préparé à son intention. Mme de Guise « ne douta point que ce ne fut du poison. » Stoïque, elle but le breuvage et en attendit les effets. Mais aucune douleur ne vint. Monsieur de Guise avait trouvé, dit-on, une façon plaisante de faire comprendre à sa femme les affres de la jalousie.

L’abbé est un homme d’esprit qui sait passionner son lecteur. On tremble pour M. de Valence qui, bien qu’en exil, revient subrepticement à Paris et élimine, sous les yeux des archers venus l’arrêter, des documents compromettants dans un bassin contenant le fruit d’un lavement. Tout le monde se bouchait le nez... et se voilait les yeux.

On savoure la réponse du même Valence à Mme de La Baume : « Elle lui dit, en parlant d’elle-même, que quand une femme approche de la cinquantaine, elle ne doit plus songer qu’à sa santé. « Dites, Mme, reprit M. de Valence, quand elle s’en éloigne. »

Le bon abbé de Choisy est vraiment un excellent guide pour qui veut se glisser dans l’intimité de Louis XIV. Par petites touches, à l’aide de nombreuses anecdotes, il nous emmène à une époque où le pire des défauts est d’oublier de se poudrer en abondance, de se parfumer à la folie, de parsemer son visage de mouches malicieuses ou provocantes et surtout sans doute... d’oublier d’aiguiser son esprit en toute occasion !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui se plaît, aujoud'hui, à nous donner à voir, un abbé de Choisy en véritable caméléon, face au Roi-Soleil !

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