Nos regards
Du Coco Boer à la crème apaisante, la réglisse a plus d’un tour dans son sac !

> 04 août 2018

Du Coco Boer à la crème apaisante, la réglisse a plus d’un tour dans son sac !

Le réglisse ou la réglisse… Selon que l’on désigne l’arbrisseau de la famille des Papilionacées, du genre Glycyrrhiza ou bien l’ensemble des matières premières extraites de la racine de cette même plante, on parlera au féminin (nom du végétal) ou bien au masculin (nom de la matière première fournie par la plante). Les Anglais utiliseront, quant à eux, le terme licorice.

Que l’on parle de la réglisse ou du réglisse, qu’importe… cette « racine douce » ou « bois doux » intéresse aussi bien les botanistes que les médecins, les apothicaires que les philosophes et ce depuis des temps fort anciens. Administrée le plus souvent sous forme de potion ou de tisane, mais également sous forme de bâton correspondant à la tige souterraine de la plante, la réglisse est appelée à la rescousse aussi bien pour traiter des douleurs cardiaques ou apaiser la toux que pour désaltérer, nettoyer les dents1 ou amuser les enfants qui ne disposent pas de hochet. Jean-Jacques Rousseau (Emile, 1762) se présente comme un farouche défenseur « du bâton de réglisse » qui peut être « sucé et mâché » par le jeune enfant tourmenté par des poussées dentaires. Partisan de la simplicité et ennemi du luxe (« On ne sait plus être simple en rien, pas même autour des enfants. »), Jean-Jacques Rousseau voit dans ce bâton de réglisse – tout ce qu’il y a de plus naturel – un cadeau de Dame Nature à destination des enfants .2

Au XIIe siècle, Hildegarde de Bingen traite les douleurs cardiaques (mais pas les peines de cœur… malheureusement) grâce à la réglisse. Pour une partie de réglisse, on ajoutera une partie de sucre et cinq parties de fenouil – le volume d’eau n’est pas précisé. Le miel, ajouté en petite quantité au mélange, permet de constituer une potion « que l’on boira à jeun après les repas ».3 Mais cela, c’était au XIIe siècle…

Au XIIIe siècle, Aldebrandin de Sienne place le « jus de ricolisse » dans la musette du voyageur. Ce dernier, pour se garder de la soif lors de ses déplacements, ne doit pas manger d’aliments salés, ne doit pas parler tout le long du chemin, doit éviter de respirer par la bouche… Il pourra également se désaltérer grâce à une tisane à base de réglisse (« cho oste le soif et le caleur »).

Au XVIIe siècle, on peut soigner sa toux à l’aide d’un sirop, réalisé à partir d’une décoction de bonne réglisse, à laquelle on ajoute, une fois que l’eau a réduit de moitié, de la jujube, du capillaire veneris et du sucre. Ce sirop est administré loin des repas, matin et soir. Ce médicament permet de passer de bonnes nuits ; si ce n’est pas le cas, on peut se relever et prendre à nouveau un peu de sirop.4

Au XVIIIe siècle, la réglisse fait toujours partie de l’arsenal médical ; elle permet de réaliser des tisanes pour traiter les rhumes. La baronne d’Oberkirch (1754 – 1803) se plaît, dans ses mémoires, à mêler anecdotes sur la vie de château, modes cosmétiques et pensées philosophiques. En cas de rhume, elle consomme, comme c’est la coutume, la fameuse tisane de réglisse.5

Le XIXe siècle se laisse également bercer par les tisanes à base de réglisse, comme en témoigne le Formulaire magistral des hôpitaux de Nantes de 1828. Tisanes pectorale, astringente, laxative, antiscorbutique, apéritive, douce-amère, sudorifique ou bien encore commune, toutes renferment une demi once ou une once entière de réglisse. Principe actif ou additif permettant d’améliorer l’observance, le fameux rhizome est mis à toutes les sauces.6 Il permet, en effet, de « couvrir la saveur de l’aloès, du sulfate de quinine… ».7 Les journaux populaires tel le Journal du Dimanche ne tarissent pas d’éloges sur la réglisse, « en décoction bien chaude ». Lorsque la saison des rhumes est revenue, on peut trouver, par exemple, entre l’éloge funèbre de Ferdinand de Lesseps et la description de la « redingote en soie brochée Louis XV », une recette anti-rhume, « jugée infaillible en Angleterre ». Dans 8 litres d’eau (il faut prévoir large lorsque l’hiver s’installe), on mettra « une forte cuillérée de graine de lin, 125 grammes de raisins secs, et autant de jus de réglisse en bâton (sic). On fera « bouillir le tout sur un feu doux jusqu’à réduction de moitié. » Pour améliorer le goût de ce remède, on incorporera 125 grammes de sucre candi, une cuillérée de jus de citron et également une de vieux rhum (ne surtout pas oublier celle-là !). La décoction se prend au verre, au moment du coucher. On pourra augmenter la posologie lorsque la toux s’installe.8 La mention « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération » n’étant, alors, pas obligatoire, le Journal du Dimanche du 23 décembre 1894 laisse aux lecteurs toute liberté quant à la posologie à respecter…

Outre les préparations magistrales, on trouve des spécialités médicamenteuses à base de réglisse. Les Blackoïds du Dr Meur, qui font « gorge pure et poumons sains », sont des pastilles au menthol et au suc de réglisse. Elles facilitent la digestion, calment la toux, les rhumes et les enrouements, préservent la gorge, les bronches et donnent du souffle… On a donc bien souvent une bonne raison de sucer ce type de pastilles…

La réglisse n’est toutefois pas limitée au secteur médical. « Pure et réduite en poudre, si l’on en verse un dixième de gramme dans un verre d’eau, elle s’y fond et donne une boisson sucrée agréable et hygiénique. » La préparation qui porte le nom de Coco est très en vogue au XVIIIe siècle et permet de se désaltérer à tout moment. Il n’est, en effet, pas rare de croiser dans les rues des grandes villes des marchands de Coco qui transportent une fontaine (à Coco) sur leur dos ! Après avoir été très appréciée par les consommateurs, le Coco va tomber progressivement en désuétude. Arthur Fénéon, dans son ouvrage « La réglisse – ses usages en médecine humaine et vétérinaire », jette la pierre aux fabricants de cette tisane qui l’ont, au fil des ans, adultérée, « sophistiquée par des éléments étrangers. » Pour « ramener la faveur du public », Fénéon ne voit qu’une seule solution : retrouver la formule authentique9 et en éliminer toute fioriture ! Il faudra attendre 1902 et le pharmacien Jules Courtier pour que la poudre de coco revienne à la mode. C’est sous le nom de Coco Boer (celui-là même chanté par Renaud dans sa chanson Mistral gagnant) que l’on retrouve cette poudre sur le marché.10 Diluée dans de l’eau, elle permet de reconstituer la célèbre boisson. Elle peut également être consommée à la manière d’une friandise. Si les femmes humectent alors le petit morceau de savon teinté de charbon qui tient lieu de mascara,11 les enfants, quant à eux, trempent leur doigt dans la poudre de Coco Boer et dégustent, en toute impunité, une friandise au goût d’interdit.

En 2018, la réglisse se retrouve dans des spécialités pharmaceutiques diverses et variées sous le nom d’enoxolone (ou acide 18-béta-glycyrhhétinique). Ce principe actif est retrouvé, entre autres, dans la pâte gingivale Arthrodont 1%, dans les crèmes PO 12 2 %, Irrisedermyl et Sébocrème et dans les comprimés à sucer Hexalyse. Son champ d’action s’étend des affections de la cavité buccale, à type d’aphtes, aux hémorroïdes, en passant par les maux de gorge.

N’oublions pas les granules homéopathiques de Glycyrrhiza glabra recommandés en cas de troubles gastro-intestinaux et ORL...

Le rhizome, improprement appelé racine, est composé de divers ingrédients, une matière colorante jaune, de l’asparagine, de la glycyrrhizine (que l’on nomme également acide glycyrrhizique ou glycyrrhizinique), de l’amidon, des flavonoïdes… La glycyrrhizine est un saponoside triterpénique, aux propriétés édulcorantes (son pouvoir sucrant est de l’ordre de 50). Son aglycone porte le nom d’acide glycyrrhétinique. Ses propriétés anti-inflammatoires, connues depuis fort longtemps, continuent à intéresser, toujours de nos jours, les chercheurs du monde entier.12

La présence de phyto-oestrogènes (liquiritigénine, liquiritine, isoliquiritigénine, isoliquiritine, glabridine, formononétine) dans la racine explique son utilisation traditionnelle dans le traitement des troubles liés à la ménopause.13 Glabridine et glabrène présentent également une affinité pour les récepteurs oestrogéniques, affinité de l’ordre de 10 000 fois moins élevée que celle observée avec la molécule de référence.14

La consommation chronique et excessive de réglisse peut engendrer des troubles biologiques comme une augmentation de la pression artérielle liée à une hypernatrémie.15 Les effets sont dose-dépendants. La littérature fait état d’une jeune fille de 18 ans, anorexique, ayant été hospitalisée du fait d’un état de santé préoccupant. L’alcalose métabolique liée à une hypokaliémie ne pouvant être mise en relation avec la prise de laxatifs (la jeune fille déniait, en effet, cette pratique), l’interrogatoire finit par révéler que la jeune fille consommait 20 g de réglisse par jour, sous la forme de bonbons.16

L’extrait de réglisse est un actif fréquemment retrouvé dans le domaine cosmétique. Il se cache, entre autres, sous les noms suivants : ammonium glycyrrhizate, dipotasium glycyrrhizate, glycyrrhetinic acid ou encore glycyrrhiza glabra root extract

Son effet anti-inflammatoire est indéniable. L’acide glycyrrhétique et ses dérivés se retrouvent ainsi tout naturellement dans des produits de soin ou d’hygiène conseillés comme produits de support lors de certaines pathologies inflammatoires telle que la dermite séborrhéique.17,18

Son effet cortisone-mimétique est également indéniable. On évitera donc de l’incorporer dans les sticks labiaux destinés aux enfants… et aux personnes ayant pour geste habituel de s’hydrater continuellement les lèvres au cours d’une seule et même journée.19 On évitera également de formuler des produits de protection solaire en contenant.20

Bibliographie

1 Portères R. Les baguettes végétales mâchées servant de frotte-dents, Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 1974, 21-4-6, 111-150

2 https://www.littre.org/definition/r%C3%A9glisse

3 Les causes et les remèdes, Editions Jérôme Million, 2007, 301 pages

4 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57340r/f30.image

5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-baronne-d-oberkirch-papotages-charmants-sur-sujets-cosmetiques-475/

6 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5836877x/f28.image.r=r%C3%A9glisse

7 Dorvault F. L’Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 p.

8 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61525643/f2.image.r=r%C3%A9glisse

9 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k135133r/f24.image

10 http://www.cocoboer.com/histoire.html

11 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-mascara-entre-savon-et-emulsion-son-coeur-balance-124/

12 Seung-Hyung Kim, Jung-hee Hong, Ji-Eun Lee, Young-Cheol Lee, 18β-Glycyrrhetinic acid, the major bioactive component of Glycyrrhizae Radix, attenuates airway inflammation by modulating Th2 cytokines, GATA-3, STAT6, and Foxp3 transcription factors in an asthmatic mouse model, Environmental Toxicology and Pharmacology, 52, 2017, 99-113

13 Victoria Harding, Justin Stebbing, Liquorice: a treatment for all sorts?, The Lancet Oncology, 18, 9, 2017, 1155 ; Sanja Vlaisavljević, Filip Šibul, Izabella Sinka, Istvan Zupko, Suzana Jovanović-Šanta, Chemical composition, antioxidant and anticancer activity of licorice from Fruska Gora locality, Industrial Crops and Products, 112, 2018, 217-224

14 Snait Tamir, Mark Eizenberg, Dalia Somjen, Sarit Izrael, Jacob Vaya, Estrogen-like activity of glabrene and other constituents isolated from licorice root, The Journal of Steroid Biochemistry and Molecular Biology, 78, 3, 2001, 291-298

15 Ângelo Luís, Fernanda Domingues, Luísa Pereira, Metabolic changes after licorice consumption: A systematic review with meta-analysis and trial sequential analysis of clinical trials, Phytomedicine, 39, 2018, 17-24

16 René K. Støving, Linnéa E. Lingqvist, Rasmus K. Bonde, Alin Andries, Kirsten Hørder, Is glycyrrhizin sensitivity increased in anorexia nervosa and should licorice be avoided? Case report and review of the literature, Nutrition, 27, 7–8, 2011, 855-858

17 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/lorsque-crealine-ds-apaise-le-shampooing-node-ds-nous-fait-prendre-nos-jambes-a-nos-cous-479/

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pierre-fabre-au-service-de-la-dermatite-seborrheique-ici-cuir-chevelu-et-peau-peuvent-y-trouver-leur-compte-480/

19 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/huile-de-soja-pe-reglisse-effet-cortisone-like-et-alcool-un-stick-pourtant-recommande-par-ufc-que-choisir-371/

20 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/institut-esthederm-mieux-vaut-ne-pas-lui-confier-sa-peau-quand-on-va-au-soleil-160/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour aux regards