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Préférences cosmétiques de Gérard Fronsèque, un drôle d’araigne !

> 28 février 2021

Préférences cosmétiques de Gérard Fronsèque, un drôle d’araigne !

« L’araignée, l’araignée est tombée dans la purée... », cette version particulière du générique de Spiderman, entendue et chantée pendant notre enfance, pourrait tout à fait s’appliquer à Gérard Fronsèque, le personnage au cœur sec, dont Henri Troyat nous raconte les déboires dans son roman L’araigne.1 Tombé dans la purée, à force de méchanceté ! Ce littéraire, qui est persuadé d’être le grand écrivain de demain (son œuvre maîtresse traitera du « Mal » sous tous ses aspects), de santé fragile voire même de constitution débile, vit depuis toujours dans un cocon protecteur. Sa mère et ses 3 sœurs sont à ses petits soins, apportant potion et réconfort dès le moindre rhume. Gérard aime ses sœurs, passionnément, jalousement, au point de se refuser à les voir partir pour fonder un foyer. C’est pourtant ce que Luce va faire avec Paul Aucoc ; puis ce sera le tour d’Elisabeth avec Tellier. Lorsque la cadette Marie-Claude se met à fréquenter Vigneral, un ancien camarade de classe de Gérard, la coupe est pleine. Isolé (sa mère est décédée subitement), Gérard tourne en rond et tente différents subterfuges pour mettre la zizanie dans les couples établis. Un suicide à la colchicine mettra fin à une vie de douleurs et de peine.

Pour mieux connaître Gérard, un petit questionnaire « j’aime », « j’aime pas » !

Ce qu’il aime, rester à la maison

Gérard est le type même du sujet génétiquement programmé pour résister aux périodes de confinement imposées par des vagues épidémiques ou autres cataclysmes. Bien au chaud dans son cocon protecteur, Gérard réalise des traductions, en attendant de publier sa grande œuvre. « Je certifie [...] que j’abats à domicile plus de besogne que n’importe quel rat d’administration. »

Ce qu’il aime, le parfum de la chambre maternelle

Un mélange de « parfum d’eau de Cologne et de pommes blettes » rassurant, apaisant.

Ce qu’il aime, le maquillage de Luce, lors de son premier bal

« Le premier maquillage de Luce » reste gravé dans les souvenirs de Gérard. La jeune fille, qui n’avait pas voulu se démaquiller, avait gardé toute la nuit son joli visage fardé. Luce, une « personnalité maquillée, parfumée et têtue. »

Ce qu’il aime, le parfum de pommade de Marie-Claude

Marie-Claude, la petite dernière de 17 ans, fait l’Ecole du Louvre. Contrairement à ses camarades (« le flot bavard, futile et maquillé » ; une foule « pépiante », « parfumée » et poudrée), elle s’y rend non maquillée (pas de poudre, les ongles non vernis), en pull-over taché d’encre, les cheveux en désordre. Marie-Claude distille un « sage parfum de pommade » « et de poudre », qui imprègne sa peau et l’air de sa chambre. Lorsqu’elle s’absente, Gérard ne se gêne pas pour rechercher son carnet intime et pour farfouiller dans ses cosmétiques. Prenant son poudrier, « il ôta le couvercle. Il trempa le doigt dans la poudre, stupidement. Puis il reposa la boîte à sa place, et se mit à frotter l’une contre l’autre ses paumes enfarinées. »

Ce qu’il aime, le parfum des lampes Berger

Surtout lorsqu’elles éclairent le salon de la maison de campagne des Aucoc. Une « odeur aigrelette et fraîche », une odeur de trahison, puisque Gérard est venu en compagnie de son camarade Lequesne, un jeune homme timide, amoureux transi de Luce. Un petit faux-pas arrangerait bien Gérard, qui n’a qu’une idée en tête, briser le couple de sa sœur.

Ce qu’il aime, une sœur en gentille infirmière

Lorsque Mme Fronsèque tombe gravement malade, ses filles accourent. Luce joue même les infirmières. « Maquillée, parfumée, désolée, inutile, et vêtue d’une blouse blanche à initiales », Luce s’affaire autour de la malade. S’il faut être malade pour faire revenir ses sœurs, Gérard est bien capable d’avaler de la colchicine pour reconquérir leur amour perdu.

Ce qu’il n’aime pas, l’odeur du métro

Ces odeurs de gens entassés... Cette « écœurante odeur de viande sur pied ».

Ce qu’il n’aime pas, la teinture pour moustache

Surtout si elle est portée par un membre de la famille Aucoc (le beau-père, en l’occurrence).

Ce qu’il n’aime pas, le maquillage de mariage de Luce

C’est avec douleur que Gérard a vu Luce se mettre en beauté la veille du grand jour. Un savonnage soigneux pour sentir le propre (« Elle sentait le savon, la peau fraîchement lavée. »). De la « vaseline » sur le visage pour faire la peau douce. De quoi sortir dans le froid, histoire de s’enrhumer et de devoir garder le lit durant cette journée insupportable. Le soir, Gérard imagine, avec douleur, sa sœur, toute belle, maquillée avec soin, afin de plaire à son époux. « Elle serait ainsi dans le grand lit qui la recevrait ce soir. Elle ne laverait pas sa face peinte, préparée, parée, pour mieux séduire le pauvre mâle gras et empoté qui s’avancerait du fond de la chambre vers sa ration de plaisir offerte dans l’alcôve comme dans une mangeoire. »

Ce qu’il n’aime pas, la poudre sur le visage de Marie-Claude

Lorsque Vigneral se met à courtiser Marie-Claude, celle-ci découvre la nécessité de se maquiller, afin de matifier un nez un peu trop luisant. « [E]lle sortit une houppette et se poudra à petites gifles nerveuses ». Peu experte en la matière, la jeune fille, aux gestes maladroits, laisse des paquets de poudre s’accumuler au niveau des ailes de son nez. Son « tiède parfum de fard » enivre Vigneral, mais pas Gérard !

Ce qu’il n’aime pas, la cérémonie du bain des nourrissons

Lorsqu’Elisabeth accouche d’un fils, c’est le pompon ! Un bébé, un petit être à la chair peu ragoûtante... et tout le monde qui bêtifie devant cet embryon humain. La cérémonie du bain est particulièrement débilitante aux yeux de Gérard. Philippe - c’est le nom du bébé - est démailloté, lavé avec dextérité, essuyé, bouchonné, « saupoudré » « de talc au-dessous des bras et sur les fesses. », à l’aide d’une boîte poudreuse de « Minéraline », que l’on doit au Dr Baud.2 Rituel écœurant !

Ce qu’il n’aime pas, le maquillage des femmes de petite vertu

Un passage éclair dans une maison close a dégoûté à jamais Gérard des femmes de petite vertu. Une odeur dérangeante de sueur (« L’air fleurait la femme échauffée et la poudre »), des couches de fard, tellement épaisses que la peau en paraît « dure » et cartonnée, des rouges à lèvres de piètre qualité qui craquèlent et ne résistent pas au baiser.

Ce qu’il n’aime pas, le vernis à ongles rouge sang, des belles de nuit et des vendeuses de jour

Marcelle Audipiat, l’ancienne maîtresse et vendeuse à face « plâtrée » de son beau-frère Tellier et ses « ongles de feu », Tina, l’ancienne conquête de Vigneral, le soupirant de Marie-Claude, « une fille coloriée comme une soucoupe », « face peinte », « lèvres grassement fardées » et ongles rouges, « taillés en curette » ont vacciné à vie Gérard contre le vernis à ongles. Et que dire, dans ces conditions, des ongles de pied « passés au carmin » de Marie-Claude ?

 L’araigne, en bref

Gérard Fronsèque souhaite posséder les âmes, à défaut de posséder les corps. Combat dont il ne peut sortir victorieux ! Chaque mariage est pour lui un nouveau coup du sort. Afin de reconquérir ses sœurs, Gérard avale quelques granules de colchicine et met son suicide qu’il espère raté (8 granules ne doivent dans doute pas entrainer la mort) en scène. « Il avait pris un bain dans la matinée. Il s’était parfumé. » C’est entouré de ses trois infidèles que Gérard s’éteint lentement. Luce « démaquillée par les pleurs » (« Le rimmel avait coulé de ses cils sur ses paupières. Le rouge de ses lèvres avait déteint sur ses joues ») s’entend dire dans un souffle : « Remaquille-toi, je veux que tu sois belle. »

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Troyat H. L’araigne, Plon, 1974, 317 pages

2 Raynal C, Lefebvre T. « Maison du Biscuit » ou musée de la pharmacie ? Rev Hist Pharm. 2011, 372, 529-531.

 

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