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Pâte d’amande et huile parfumée pour des mains de mousquetaire toutes en féminité !

> 19 avril 2020

Pâte d’amande et huile parfumée pour des mains de mousquetaire toutes en féminité !

Pour faire un roman à succès, la recette semble facile. Prendre 3 mousquetaires aux moustaches respectables, ajoutez 1 jeune gascon arrivant dans la capitale au pas d’un vieux bidet du Béarn de couleur jaune, saupoudrez de quelques intrigues amoureuses (chaque mousquetaire ou presque a au moins une petite aventure sur le feu) ; pimentez d’1 douce brebis qui périra par le poison (il s’agit de Constance Bonacieux) et d’1 beauté du diable qui passe son temps à séduire les uns et à semer le cadavre des autres sur sa route et qui finira transpercée d’un coup d’épée (mais est-ce vraiment sûr ?)... Placez-vous au début du XVIIe siècle ; mêlez les puissants du royaume aux humbles serviteurs de ses majestés. Laissez reposer quelques heures, tout juste le temps d’ingurgiter le contenu du « pavé » composé avec brio par Alexandre Dumas et ses sbires.1 Dégustez le Regard qui synthétise la quintessence esthétique/cosmétique de ce roman plein de charme. Digérez lentement...

Trois mousquetaires et un gascon plein de fougue

D’Artagnan est un jeune homme de 18 ans, au visage « long et brun », aux « muscles maxillaires énormément développés » et au « nez crochu ». Il emmène dans ses bagages un remède secret composé entre autres de vin, d’huile et de romarin. Ce « baume miraculeux », qui est censé guérir toutes les blessures, lui sera fort utile lors des différents duels qui ne manqueront pas de jalonner son parcours.2 Très rapidement, ce jeune provincial fait la connaissance des 3 inséparables, Athos, Porthos et Aramis.

Athos (alias Comte de la Fère), sobre et silencieux, l’aîné de la troupe (à peine 30 ans malgré tout !), d’une « grande beauté de corps et d’esprit », est celui dont l’avis compte. Son expérience et sa sagesse le distinguent de ses compagnons. Pris de vin, il est capable de vous raconter sa vie et de vous révéler son terrible secret. Amoureux d’une jeune fille de 16 ans qui paraissait l’innocence même, il découvrit, il y a quelques années, une fois les noces consommées, que la belle était marquée d’une fleur de lis, signe de son infamie. Laissée pour morte par Athos, la frêle enfant se réveillera quelques années plus tard sous le masque vengeur de celle qui se fait désormais appeler Milady.

Porthos est celui qui parle haut et fort. « De grande taille » et de « figure hautaine », c’est une force de la nature entre les mains desquels il ne fait pas bon tomber. Sa maîtresse n’est pas une grande dame comme il aime à le laisser croire ; il s’agit d’une « vieille procureuse [entendre par là femme de procureur] du Châtelet », Mme Coquenard, la cinquantaine très honorable (« une espèce de beauté mûre, un peu jaune, un peu sèche »).

Aramis, au coeur tendre, à la « figure naïve et doucereuse », à « l’œil noir et doux », aux « joues roses et veloutées comme une pêche en automne », est celui qui provoque ses ennemis en duel d’un signe de main soigné. Les cosmétiques, Aramis les connaît bien. Ce poète, qui compose des vers pour Mme d’Aiguillon, est le soupirant attitré de Mme Chevreuse, pour laquelle il aime acheter du « rouge » - ce fond de teint qui fait alors fureur - rue Saint-Honoré. Il reçoit d’elle des missives « toutes parfumées » et recouvertes d’une « écriture élégante ». Aramis prend grand soin de sa « main blanche et potelée comme une main de femme » ; il la cultive à « grand renfort de pâte d’amandes et d’huile parfumée ».

Chaque mousquetaire est accompagné d’un serviteur (Planchet pour d’Artagnan, Grimaud pour Athos, Mousqueton pour Porthos et Bazin pour Aramis) qui lui va comme un gant. 

Constance Bonacieux, la beauté céleste

Constance Bonacieux, la douce victime de ce roman-fleuve, est une jeune bourgeoise de 25 à 26 ans qui n’est autre que la femme du logeur de d’Artagnan. Cette brune aux yeux bleus possède un nez « légèrement retroussé », « un teint marbré de rose et d’opale » et des « mains blanches », qui ne brillent pas par leur finesse. Elle les cache habilement sous des gants parfumés.

Milady, la beauté du diable, une « beauté surhumaine »

Milady est une jeune femme de 20 à 22 ans ou de 26 à 28 ans (petit cafouillage que le lecteur attentif ne manquera pas de noter) ; cette « pâle et blonde personne, aux longs cheveux bouclés tombant sur ses épaules, aux grands yeux languissants, aux lèvres rosées et aux mains d’albâtre » se cache sous différentes identités. Cette blonde aux yeux clairs est brune de cils et de sourcils. Lady Clarick, Anne de Bueil ou Lady de Winter... qui se cache derrière celle qui n’hésite pas à devenir bigame ? Cette grande séductrice sait parfaitement passer sa main « savante » dans ses cheveux, afin de séduire les geôliers les plus sévères. Milady porte sur sa belle épaule ronde et blanche « une marque indélébile », imprimée par la « main infamante du bourreau ». « La fleur de lis est petite, rousse de couleur et comme effacée par les couches de pâte qu’on y applique ». 

Anne d’Autriche, la beauté fardée 

Anne d’Autriche nous est présentée ici comme une femme cosmétiquée. Trop de poudre... trop de rouge. Voilà le verdict d’Alexandre Dumas. La reine a certes belle prestance avec une « bouche petite et vermeille » et une peau douce comme le velours. Pourtant, ses cheveux châtains portés frisés (peut-être trop frisés) sont recouverts de beaucoup trop de poudre. Le rouge sur ses joues est également déposé en excès. Cette femme est trop... 

Un roman en trois lignes 

Anne d’Autriche aime le duc de Buckingam et lui offre ses « ferrets de diamants » ; le cardinal qui a juré la perte de la reine met tout en œuvre pour récupérer ces ferrets. Milady est dans son camp. Dans le camp adverse, se trouvent les mousquetaires, bien évidemment. 

Un roman en cinq cosmétiques et un remède souverain 

On retiendra la pâte d’amande et l’huile parfumée pour attendrir et velouter la main d’Aramis ; la poudre et le fard rouge utilisés de manière intempestive par Anne d’Autriche ; un fond de teint clair, chargé en pigment blanc à pouvoir couvrant, destiné à masquer le tatouage laissé sur la peau de Milady par le bourreau de Lille. Pour les blessures (sauf celles qui atteignent le cœur), un mélange de vin, d’huile et de romarin sera l’excipient parfait pour une recette restée jusqu’à ce jour partiellement secrète. 

Merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie 

1 Dumas A. Les trois mousquetaires, Calmann - Lévy, Paris, 512 pages
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pre-rasage-after-shave-pour-qui-pourquoi-164/

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