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Le venin d’abeille, l’ingrédient cosmétique qui a piqué notre curiosité !

> 03 avril 2023

Le venin d’abeille, l’ingrédient cosmétique qui a piqué notre curiosité !

Il fait bon se promener dans les allées fraichement ratissées de l’inventaire européen. On peut y dénicher des pépites bien cachées. C’est ainsi, qu’un jour de désœuvrement, nous sommes tombées nez à nez avec un curieux actif : le venin d’abeille. Le Cosing le présente sous différentes formes. Le venin d’abeille (nom INCI : bee venom) serait, nous dit-on, un actif « astringent » et « protecteur cutané »,1 l’extrait un « conditionneur cutané »,2 et la mélitine, qui le compose, un « actif anti-séborhéique ».3 Les venins, ces « produits nocifs, de sécrétion animale »,4 sont, par définition, des produits que l’on fuit plus facilement que l’on ne courtise. Quelle idée d’envenimer un cosmétique ? Bonne ou mauvaise ? C’est la question du jour !

Une piqûre qui coûte la vie… et pas que !

Une piqûre qui coûte la vie de l’abeille. On dit, en effet, que l’abeille s’autotomise, en laissant le dard dans la peau de sa victime. Celui-ci est si bien enfoncé dans la chair de celui qui a croisé son chemin (il faut dire que notre petite abeille a enfoncé son dard avec énergie en le faisant tourner comme un bouchon dans un goulot en réalisant une rotation hélicoïdale dans le sens des aiguilles d’une montre), que l’insecte, pour retourner à ses occupations, doit sacrifier une partie de son intégrité ! Une fois la pendule remontée, il ne reste plus à notre belliqueuse abeille que quelques heures (18) ou quelques jours (au maximum 5) à vivre. Il est bon de savoir que même lorsque notre petite abeille s’est mutilée en laissant derrière elle son dard, celui-ci continue à faire des siennes, en s’enfonçant irrémédiablement. Ceci dure au bas mot 30 secondes. Et dès que l’on franchit la barre des 20 secondes on sait que 90 % du sac à venin a été gentiment transféré à la victime. Retirer le dard est donc bien sûr indispensable… mais cela ne jouera pas en matière d’envenimation. En moyenne, ce sont 140 à 150 microgrammes de venin qui sont délivrés lors d’une piqûre. La dose létale 50 est comprise entre 2,8 mg et 3,5 mg de venin par kilogramme de poids corporel. Une personne pesant entre 60 et 70 kilogrammes risque donc de perdre la vie dans 50 % des cas, suite à des piqûres multiples (1000 à 1500 piqûres). Voilà pour la théorie… Pour la pratique, on ne tentera pas l’expérience, puisque l’on sait que 200 à 500 piqûres peuvent suffire, dans certains cas, pour faire passer de vie à trépas. Nous ne sommes, en effet, pas tous égaux devant l’abeille et selon l’état de santé général, selon une sensibilisation antérieure, selon des comorbidités, on peut rapidement faire mentir les chiffres !

Un venin qui contient tout ce qu’il faut pour faire… le mal

Le venin d'abeille ou apitoxine constitue un mélange complexe composé de protéines, de peptides, d’acides aminés, de phospholipides, de sucres, d’amines biogènes, de composés volatils, de phéromones et d’une grande quantité d'eau (> 80 %). Ce liquide jaune clair se reconnaît à son goût amer (qui veut goûter ?), à son odeur piquante et à son pH acide (pH compris entre 4,5 et 5,5).5

La composition du venin d'abeille est parfaitement bien connue. On sait que les abeilles sont des insectes de l'ordre des Hyménoptères, tout comme les guêpes. Par conséquent, le venin d'abeilles et le venin de guêpes sont similaires sur certains points et renferment des molécules communes tels que l'adrénaline, la dopamine, l'histamine, la hyaluronidase, la noradrénaline, les phospholipases A2 (PLA2), les phospholipases B (PLB) et la sérotonine. Certaines molécules, en revanche, sont spécifiques au venin d'abeille ; il s’agit de l'apamine, de la mélitine et d’un peptide capable de provoquer la dégranulation des mastocytes. La mélitine (avec une teneur de 50 à 60 % du venin) constitue le composé majoritaire du venin, induisant une sensation douloureuse et une chaîne de réactions en aboutissant à la dégranulation des mastocytes. Vient ensuite la phospholipase A2 (10 à 12%) (qui associée à la mélitine constitue un duo infernal capable de désorganiser les membranes cellulaires), puis l’apamine (1 à 3 %) (un agent neurotoxique), puis une enzyme responsable de la distribution rapide du venin, la hyaluronidase (1 à 3 %) ; cette enzyme en dégradant l’acide hyaluronique qui constitue la matrice extracellulaire du derme est connue sous le nom de « facteur de propagation » dans la mesure où elle crée les conditions tissulaires idéales pour permettre au venin de se distiller rapidement dans les tissus. Outre les composants mentionnés, le venin d'abeille contient également de l'histamine et les catécholamines. L'histamine est capable d'augmenter la perméabilité capillaire, contribuant à la réponse inflammatoire, tandis que les catécholamines (c'est-à-dire la noradrénaline et la dopamine) améliorent la distribution du venin d'abeille, car elles augmentent, entre autres fonctions, le débit cardiaque.6 Tout est donc parfaitement bien huilé pour faire le maximum de dégâts. Chaque molécule présente dans le venin sait parfaitement ce qui lui reste à faire, dès lors qu’elle est injectée dans le corps de l’ennemi !

Concrètement, les signes cliniques d’une piqûre tiennent en 3 mots : inflammation, effet anticoagulant et réponse immunitaire.7

Avant de se faire piquer, il peut être utile de se renseigner sur la carte d’identité de l’abeille piqueuse. Il existe, en effet, une grande variabilité en matière de composition du venin, selon que l’on tombe sur une jeune ouvrière de basse extraction ou sur une bestiole de sang royal (une reine !). La mélitine est à sa concentration maximale lorsque l’abeille est âgée de 4 semaines ; elle diminue ensuite progressivement lors du processus de vieillissement.6

Par ailleurs, selon l’espèce considérée, la teneur en mélitine pourra varier de manière considérable. L’abeille géante (Apis dorsata) de Thaïlande produit, ainsi, le venin le plus riche en mélitine (environ 95 %), tandis qu’Apis cerena produit le venin le moins riche (environ 56 %).8

Un venin qui contient tout ce qu’il faut pour faire… le bien

Le venin d’abeille est présenté par certains auteurs actuels comme le remède à toutes sortes de pathologies à caractère inflammatoire, microbien ou neurodégénératif. Le tout en bloc, sans précisions. Idem pour les cancers (en bloc, sans précisions). En dermatologie, ce sont le psoriasis,9,10 l’acné (par inhibition de la prolifération de Cutibacterium acnes),11-13 la dermatite atopique et l’alopécie androgénétique (par effet inhibiteur de la conversion de la testostérone en dihydrotestostérone) qui sont mentionnés tout comme un effet cicatrisant.14 Une excellente tolérance (pas de phénomène d’irritation)15 est associée à ce type de traitement, nous dit-on. Euh… c’est pas tout. Il faut juste ajouter une petite chose et pas des moindres : « Les réactions allergiques restent les principaux défis » qui doivent être relevés ; en effet, « l'hypersensibilité au venin peut être fatale sous la forme d’un choc anaphylactique » !16 Ah oui, quand même !

Administré par voie locale ou injecté (c’est le cas de l’apipuncture), le venin d’abeilles permettrait de traiter différentes pathologies telles que l’arthrite, le lupus… Toutefois, dans le cas de l’apipuncture on évoque des réactions d’intolérance locales ou générales. Et l’on cherche à utiliser des venins purifiés.17

Cette pratique fait écho à une thérapeutique ancienne. François Dorvault nous renseigne ainsi, en nous indiquant que « Jadis, dans les cas de douleurs musculaires ou rhumatismales, on exposait la région malade à la piqûre même d’un ou plusieurs insectes. En raison des dimensions du dard, cette piqûre agissait à la façon d’une injection intra-dermique ».4 Entre jadis et aujourd’hui, il y a eu de l’eau à couler sous les ponts, il y a eu des abeilles à butiner dans nos jardins… les spécialités évoquées n’existent plus !

Un venin qui contiendrait tout ce qu’il faut pour bien vieillir… du point de vue cutanée du moins

Le venin d’abeille apparaît, si l’on en croit certains, comme un ingrédient de choix pour cosméceutique (ces dermocosmétiques d’Outre-Atlantique).18 Si les Américains rêvent de cet ingrédient anti-âge, ce sont les Coréennes qui se retroussent les manches et s’appliquent 2 fois par jour un sérum dosé à 0,006 % de venin d’abeille pour le grand bonheur de l’élasticité de leur peau. A noter que l’étude en question ne concerne d’un tout petit échantillon, soit 22 femmes âgées de 30 à 49 ans.16 On peut préciser que venin d’abeille, mucus d’escargot, extrait de Sang Dragon et d’herbe du tigre constituent la « ménagerie » en vogue en matière d’ingrédients cosmétiques tendance en Corée.19 On avouera au passage que cette « ménagerie », qui fait appel à l’abeille zélée et au lymphatique escargot, comporte deux extraits végétaux n’ayant rien à voir avec le règne animal sinon le nom. Le Sang Dragon est, en effet, extrait du fruit du rotang,20 alors que l’herbe du tigre n’est autre que la populaire hydrocotyle, plus connue sous le nom de Centella asiatica.21

Côté tolérance, c’est un peu flou. Les plus optimistes n’y voient rien à redire22 et considèrent que le venin d’abeille n’est ni irritant (certains vont même jusqu’à trouver qu’un produit capillaire à base de venin d’abeilles légèrement irritant doit ce caractère non à l’actif mais plutôt à l’excipient),23 ni sensibilisant, ni photosensibilisant24 et est donc parfaitement adapté au domaine cosmétique.

Les plus réalistes tentent de mettre au point des venins d’abeille « light », autrement dit allégés en ingrédients indésirables, comme la phospholipase A2 par exemple… arguant d’une innocuité plus satisfaisante.25

Et une méthode de détection, une !

Jonans Tisiimire trouve décidément que l’on a mis la charrue avant les bœufs. Ce chercheur anglais a décidé de mettre au point une méthode de détection de la mélitine (marqueur principal du venin d’abeille), afin de vérifier que les produits du commerce qui s’en revendiquent en contiennent bien. Dans ces conditions, il a démontré que la mélitine émargeait dans les cosmétiques testés à des teneurs comprises entre 3 et 37 ppm.26

Etant donné le prix élevé de cet ingrédient de la ruche jugé « précieux » (1 gramme peut coûter 300 dollars),27 il est, évidemment, indispensable, de s’assurer qu’il n’y a pas de mensonge publicitaire et que l’ingrédient annoncé est bien là.

Le venin d’abeilles, en bref

Les médecins Galien et Hippocrate ont chanté les louanges des abeilles et, tout particulièrement, de leur venin. L’empereur Charlemagne a vu une goutte tenace s’évaporer sous l’action thérapeutique de l’abeille-médecin.28 Réaumur, dans ses Mémoires sur les abeilles, admire, quant à lui, au travers d’une ruche en verre, la sociabilité de ces insectes habitués à vivre en bande et capables de tuer leur reine pour peu que celle-ci se soit absentée une trentaine d’heures (non reconnue la reine passe dans le camp de l’ennemi !)29 Bon, la sociabilité est donc toute relative ! De l’Antiquité à nos jours, nombreux ont été les chercheurs, les écrivains qui se sont penchés sur l’abeille et sa capacité à produire des ingrédients exploitables dans le domaine médicale ou cosmétique. A l’heure actuelle l’apithérapie – elle fait toujours publier ! – est, en pratique, en perte de vitesse. L’industrie du médicament, comme celle du cosmétique, est frileuse et ne souhaite visiblement pas retourner au passé. En matière de tolérance, on comprend pourquoi. Il existe des milliers d’ingrédients cosmétiques… Alors franchement, aller s’emmancher dans la catégorie « venin », c’est pas très malin !

Bibliographie

1 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=54831

2 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=92231

3 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=92044

4 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

5 Pascoal A, Estevinho MM, Choupina AB, Sousa-Pimenta M, Estevinho LM. An overview of the bioactive compounds, therapeutic properties and toxic effects of apitoxin. Food Chem Toxicol. 2019 Dec;134:110864

6 Pucca MB, Cerni FA, Oliveira IS, Jenkins TP, Argemí L, Sørensen CV, Ahmadi S, Barbosa JE, Laustsen AH. Bee Updated: Current Knowledge on Bee Venom and Bee Envenoming Therapy. Front Immunol. 2019 Sep 6;10:2090

7 Cornara L, Biagi M, Xiao J, Burlando B. Therapeutic Properties of Bioactive Compounds from Different Honeybee Products. Front Pharmacol. 2017 Jun 28;8:412

8 Somwongin S, Chantawannakul P, Chaiyana W. Antioxidant activity and irritation property of venoms from Apis species. Toxicon. 2018 Apr;145:32-39

9 Kim H, Park SY, Lee G. Potential Therapeutic Applications of Bee Venom on Skin Disease and Its Mechanisms: A Literature Review. Toxins (Basel). 2019 Jun 27;11(7):374

10 Şenel E, Kuyucu M, Süslü I. Honey and bee venom in dermatology: A novel possible alternative or complimentary therapy for psoriasis vulgaris. Anc Sci Life. 2014 Jan;33(3):192-3

11 Kurek-Górecka A, Górecki M, Rzepecka-Stojko A, Balwierz R, Stojko J. Bee Products in Dermatology and Skin Care. Molecules. 2020 Jan 28;25(3):556

12 An HJ, Lee WR, Kim KH, Kim JY, Lee SJ, Han SM, Lee KG, Lee CK, Park KK. Inhibitory effects of bee venom on Propionibacterium acnes-induced inflammatory skin disease in an animal model. Int J Mol Med. 2014 Nov;34(5):1341-8

13 Han SM, Lee KG, Pak SC. Effects of cosmetics containing purified honeybee (Apis mellifera L.) venom on acne vulgaris. J Integr Med. 2013 Sep;11(5):320-6

14 Han SM, Park KK, Nicholls YM, Macfarlane N, Duncan G. Effects of honeybee (Apis mellifera) venom on keratinocyte migration in vitro. Pharmacogn Mag. 2013 Jul;9(35):220-6

15 Kurek-Górecka A, Górecki M, Rzepecka-Stojko A, Balwierz R, Stojko J. Bee Products in Dermatology and Skin Care. Molecules. 2020 Jan 28;25(3):556

16 El-Wahed AAA, Khalifa SAM, Elashal MH, Musharraf SG, Saeed A, Khatib A, Tahir HE, Zou X, Naggar YA, Mehmood A, Wang K, El-Seedi HR. Cosmetic Applications of Bee Venom. Toxins (Basel). 2021 Nov 18;13(11):810

17 Ko SH, Oh HM, Kwon DY, Yang JE, Kim BJ, Ha HJ, Lim EJ, Oh MS, Son CG, Lee EJ. Incidence Rate of Bee Venom Acupuncture Related Anaphylaxis: A Systematic Review. Toxins (Basel). 2022 Mar 26;14(4):238

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-cosmeceutiques-ou-les-dermocosmetiques-made-in-us-150/

19 Nguyen JK, Masub N, Jagdeo J. Bioactive ingredients in Korean cosmeceuticals: Trends and research evidence. J Cosmet Dermatol. 2020 Jul;19(7):1555-1569

20 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/stage-de-relooking-avec-colette-412/

21 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/cicapair-du-dr-jart-quelques-incoherences-788/

22 Han SM, Lee GG, Park KK. Skin Sensitization Study of Bee Venom (Apis mellifera L.) in Guinea Pigs. Toxicol Res. 2012 Mar;28(1):1-4

23 Mi Kyung L, Eun Hye HRDC, Sang Ho LRDC, Jee Hee KRDC. Evaluation of the safety of hair essence containing 0.05% purified bee venom on the skin and eyes of rabbits. J Tradit Chin Med. 2020 Feb;40(1):67-72

24 Han SM, Hong IP, Woo SO, Kim SG, Jang HR, Park KK. Evaluation of the skin phototoxicity and photosensitivity of honeybee venom. J Cosmet Dermatol. 2017 Dec;16(4):e68-e75

25 Lee H, Pyo MJ, Bae SK, Heo Y, Kim CG, Kang C, Kim E. Improved Therapeutic Profiles of PLA2-Free Bee Venom Prepared by Ultrafiltration Method. Toxicol Res. 2015 Mar;31(1):33-40.) (Heo Y, Pyo MJ, Bae SK, Lee H, Kwon YC, Kim JH, Kim B, Kim CG, Kang C, Kim E. Evaluation of Phototoxic and Skin Sensitization Potentials of PLA 2 -Free Bee Venom. Evid Based Complement Alternat Med. 2015;2015:157367

26 Tusiimire J, Wallace J, Dufton M, Parkinson J, Clements CJ, Young L, Park JK, Jeon JW, Watson DG. An LCMS method for the assay of melittin in cosmetic formulations containing bee venom. Anal Bioanal Chem. 2015 May;407(13):3627-35

27 Scaccabarozzi D, Dods K, Le TT, Gummer JPA, Lussu M, Milne L, Campbell T, Wafujian BP, Priddis C. Factors driving the compositional diversity of Apis mellifera bee venom from a Corymbia calophylla (marri) ecosystem, Southwestern Australia. PLoS One. 2021 Jun 30;16(6):e0253838

28 https://www.persee.fr/doc/linly_0366-1326_1958_num_27_7_7991

29 https://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1958_num_11_1_3633

 

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