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Le tonique, la lotion du toner !

> 06 février 2024

Le tonique, la lotion du toner !

Bon, ça commence bien, vous dites-vous, avec ce titre à la noix, qui comporte une belle faute d’orthographe ! Et bien, pas tant que ça, si on se souvient que le terme « toner » désigne, en anglais, le terme français de « tonique ». Le « tonique », quel tonique ? Qu’est-ce qui peut bien se cacher derrière ce type de cosmétique qu’il serait bon de définir avant que d’employer ? Certains laboratoires font clairement la différence entre lotion et tonique,1 alors que d’autres associent hardiment les deux termes entre eux.2 Certains nous parlent d’un produit d’hygiène permettant un démaquillage optimal,3 d’autres d’un produit de soin multifonction qui revitalise, donne de l’éclat, tonifie, désaltère et dépollue,4 selon le moment de la journée où il est employé ou d’un produit de soin ciblé, à action éclaircissante,5 par exemple. On pourrait encore multiplier les exemples, mais ce n’est pas le but de ce Regard. Le but est de savoir si la notion de « tonique » implique la notion de formule alcoolisée… ou pas. Et c’est parti !

La lotion et le tonique selon François Dorvault

Si la lotion possède une définition très claire (« Préparation liquide destinée à être appliquée sur la peau sans friction, afin d’exercer une action locale. Elle est obtenue par dissolution ou par dispersion d’un ou de plusieurs principes actifs dans un véhicule approprié, généralement aqueux ou hydroalcoolique. »), pour le tonique, en revanche, on pédale un peu dans la semoule… puisque François Dorvault qui, habituellement, arrive à répondre à toutes nos questions s’avoue vaincu… pour une fois. Dans le dictionnaire de référence dont il est l’auteur point de définition précise. Le « tonique » est rattaché à une forme mystérieuse ayant, le plus souvent, pour fonction d’ouvrir l’appétit (puisque le mot « tonique » a souvent été accolé au qualificatif « amer »). Un genre de produit (type Quintonine), regardé avec beaucoup de sévérité, puisque présenté comme un « alibi pour l’éthylisme familial ». Ce tonique à base d’éthanol est donc considéré avec circonspection par le pharmacien moderne (c’est en effet cet avis qui est émis dans l’édition de 1995).6 Cela donne forcément envie de creuser du côté des vins médicinaux.

Le tonique apéritif, plus apéritif que tonique !

Le vin, l’esprit de vin, sont utilisés, depuis fort longtemps, dans le domaine pharmaceutique, afin de permettre l’extraction d’un certain nombre de principes actifs. L’éthanol est, en effet, connu comme un excellent solvant,7 permettant d’obtenir des « teintures alcooliques », en faisant macérer des drogues sèches ou fraiches avec le fameux solvant. Au cours des siècles, le vocabulaire utilisé va varier et l’on parlera indistinctement de « baumes, d’élixirs, de gouttes, d’essences, de quintessences », pour désigner ce genre de préparations susceptibles d’être administrées par différentes voies.

On pourra également parler d’œnolés ou de vins médicinaux, pour désigner les préparations liquides à base de vins, destinées à la voie orale. Vins doux ou liqueurs servent ainsi d’excipients fort agréables pour véhiculer des principes actifs aussi variés que des agents purgatifs, stomachiques, diurétiques, antilymphatiques, antigoutteux, antiscorbutiques… Au registre des formules de vins aromatiques amers, destinés à ouvrir l’appétit, les exemples se font nombreux et extrêmement populaires.6

Le vin médicinal peut donc être le résultat de la macération d’une plante dans du vin ou bien résulter du mélange de différentes teintures (quinquina, colombo, gentiane, rhubarbe, noix vomique…) qui forment une solution homogène. On utilise un compte-gouttes pour délivrer le nombre de gouttes voulues (15, très précisément), à diluer dans un peu d’eau et à ingurgiter avant les repas.8

Là on a compris, on est dans le domaine pharmaceutique, on est du côté médical… On approuve ou pas, mais on se rend compte que le « tonique », qui tonifie, rend plus fort, donne du peps… est obligatoirement à base d’éthanol ! Hic…

Le tonique ou la lotion cosmétique, de quoi y perdre son latin !

Dans le domaine cosmétique, il conviendra de bien s’accrocher et d’éviter tout excitant avant de se pencher sur le sujet des lotions toniques.

En effet, René Cerbelaud, dans son Formulaire de 1912, nous propose diverses eaux de toilette pour la chevelure, qui collent pile poil avec la définition du tonique. De l’alcool à 90°, dans lequel on a dissout différents ingrédients aussi variés qu’une simple huile essentielle de roses ou qu’un mélange plus complexe de formol, d’héliotrope blanc, de jasmin et de caramel… Et ce que l’on fait pour la chevelure peut également être extrapolé à la peau, puisque l’on nous indique aussi des eaux de toilette pour l’épiderme composées d’une tripotée d’infusions (jasmin, tolu, benjoin, myrrhe, musc Tonkin, clous de girofle, baume du Pérou, castoreum, civette,…) et d’huiles essentielles (bergamote, citron, géranium, myrte, néroli,…) dans de l’alcool à 90°.9 On nous parle d’eau de toilette ou de « lotion », mais nullement de tonique ! Dans un autre formulaire du même auteur, on est abreuvé de formules de lotions de toutes sortes, alcoolisées ou non, destinées à la peau, au cheveu, à la femme, à l’homme, pour la toilette ou le soin.10 Toujours pas de toniques !

Le nouveau bréviaire de la beauté de 1912 nous offre la possibilité de passer commande de différentes lotions, destinées à la beauté de la peau ou des yeux.11 La lotion du Dr Vauthier, par exemple, est, nous dit-on, une eau « purement végétale », composée des « eaux distillées des bleuets et des roses » ; ce soin est « le charme et le sourire des yeux » ! Grâce à cette lotion, chaque femme peut acquérir (pour 18 francs, le ½ litre) un regard magnétique, en lui communiquant « une fascination quasi-magique » ! Bref… du lourd ! Du lourd dans de l’eau !

En 1935, la célèbre marque Tho-Radia distribue, à ses clientes, un petit opuscule dans lequel la lotion est définie comme un « médicament liquide qui s’applique au moyen d’un tampon d’ouate. Les lotions de toilette se font avec de l’eau chaude ou froide additionnée d’eau de Cologne. »12 Le tonique, en revanche, est toujours inconnu au bataillon.

En 1939, le Dr Paul Gastou, un ponte de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, commet un formulaire cosmétique à destination des femmes prudentes, qui réclament des conseils en matière de choix de cosmétiques. Il y aborde les « lotions pour la toilette et soins du visage » à utiliser après la toilette du soir ou du matin, selon les préférences de chacune. Selon lui, la lotion doit être appliquée sur un « tampon d’ouate hydrophile stérilisée », qui est ensuite baladé sur la peau, en tamponnant ou en frottant. Puis, le Dr Gastou, après l’établissement de ce mode d’emploi, rentre dans le vif du sujet en détaillant, comme son maître René Cerbelaud, les formules du commerce qu’il recommande. Parmi elles, on pourra signaler des lotions sur base d’eau de rose (lotion pour peau sensible, irritable renfermant de l’acide borique et de l’essence de miel d’Angleterre), sur base d’hydrolat de fleurs d’oranger (lotion pour peau à rougeurs, taches, boutons et points noirs renfermant du borate de soude et de la glycérine) ou encore sur base d’eau de Cologne (lotion pour peau grasse, renfermant de l’essence de verveine, du menthol, du thymol). La lotion contre la transpiration est logiquement formulée à l’aide d’alun (il s’agit d’une lotion aqueuse)… Parmi toutes les lotions proposées, une lotion tonique est indiquée. Cette formule, sur base éthanolique, comporte de la teinture de cochléaire et de la teinture de benjoin, dissoutes dans de l’eau de Cologne. A noter que cette lotion tonique ne s’utilise pas pure, mais diluée dans l’eau de toilette !13

Marcelle Auclair, en 1949, ne nous parle de « lotions tonifiantes » qu’au rayon démaquillage. Cette lotion tonifiante, qui permet de parfaire le nettoyage de la peau, tout en tonifiant les tissus, est, selon la journaliste de Elle, une solution aqueuse à base de verveine, d’eau de rose et d’eau d’hamamélis ou bien une solution alcoolique, à base d’eau de Cologne, de rose, de citron et de concombre. La lotion tonique la plus simple proposée est composée, en outre, de deux ingrédients (du blanc d’œuf et de l’alcool à 40°). Cette lotion, dans laquelle on peut ajouter du jus de citron, est qualifiée de « merveilleuse », de tonifiante et de nettoyante !14

Donc, on l’aura compris, lorsque l’on cherche des formules de lotions et de toniques dans la littérature médicale, on trouve de tout, des lotions aqueuses ou alcooliques, des toniques aqueux ou alcooliques ! Pas simple !

Et le tonique moderne ?

On entend déjà les réflexions. Oui, votre bibliographie est ancienne… n’importe quoi. Bon et bien, on va aller gratter la notion de « toner », dans la littérature scientifique récente. Ce « toner » constitue, pour Zoe Draelos, un cosméceutique intéressant, à ranger dans la catégorie des produits nettoyants, formulés à base de tensioactif.15 Tiens, c’est nouveau ça !

Bien plus qu’un simple nettoyant ordinaire donc, si l’on poursuit notre recherche. En y incorporant un extrait de goyave, on obtient un produit nettoyant, adapté à la peau grasse.16 Oui, bien plus qu’un simple tonique astringent pour peau grasse, un tonique aqueux et parfumé, à base de 20 % d’extrait de goyave, de 1 % de menthol et de chlorhydrate d’aluminium (% non précisé), dans un excipient constitué d’éthanol, de polysorbate-80, qui resserre les pores et exerce un effet anti-transpirant (c’est normal, vue la présence du sel d’aluminium), pour une population de sportifs, adeptes de la course sur tapis roulant !17

Un produit nettoyant, au même titre qu’un autre, qui est conseillé par le dermatologue (une source d’informations fiables à 42 % pour un échantillon de sujets coréens),18 mais qui, pourtant, comme tout cosmétique, peut être plus ou moins bien toléré.19

Côté soin, le binôme tonique hydratant, puis crème hydratante, semble le plus efficace du point de vue effet hydratant.20

Et la lotion moderne ?

Au sujet de la lotion, on restera sur notre faim, puisque les « lotions » en question sont, en réalité, bien souvent, des émulsions, composées classiquement d’une phase grasse, d’une phase aqueuse et de tensioactifs.21 On trouve, quand même, en cherchant bien, de vraies lotions, très simples, composées d’un actif solubilisé dans de l’huile d’olive.22 On ne va pas loin avec ça !

Le tonique, en bref

Il est un peu comme on veut, ce tonique. Alcoolique, lorsque l’on souhaite exercer une sorte de coup de fouet pour une peau flagada et associé à des actifs rafraichissants et astringents, il se fait tout miel, tout sucre, sans alcool, pour une action plus lénifiante, donc moins en adéquation avec la notion de tonus.

Les fans d’Hémingway savent, en tout cas, depuis longtemps, que pour l’écrivain, pas besoin de longs discours, une lotion capillaire, quelle qu’elle soit, est toujours alcoolisée.23 Point final !

Bibliographie

1 https://www.algologie.com/fr/33-lotions-toniques

2 https://www.bcombio.fr/produit/lotion-tonique/

3 https://www.cosmetique-thermesmarins.com/produit/visage/nettoyant-exfoliant/lotion-tonique-algues-malachite/

4 https://www.cosmetique-thermesmarins.com/produit/visage/nettoyant-exfoliant/lotion-tonique-algues-malachite/

5 https://www.academiebeaute.com/products/lotion-tonique-eclaircissante-1

6 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

7 L’alcool, un solvant d’extraction qui tire le meilleur de la nature ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

8 Bitter Tonic Mixture for Improving the Appetite. Tex Med J (Austin). 1912 Jan;27(7):270

9 Cerbelaud R., Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Paris, 1912, 1190 pages

10 Cerbelaud R., Formulaire de parfumerie, Tome II, 1933, Paris, 764 pages

11 Clarks G., Le nouveau bréviaire de la beauté, Paris, 1912, 192 pages

12 Dictionnaire des soins de beauté, Tho-Radia, Paris, 158 pages, 1935

13 Gastou P., Formulaire cosmétique et esthétique, Baillière, Paris, 1939, 312 pages

14 Auclair M., La beauté de A à Z, dictionnaire de beauté et de santé, S.E.P.E, Paris, 1949, 393 pages

15 Draelos ZD. Cosmeceuticals: What's Real, What's Not. Dermatol Clin. 2019 Jan;37(1):107-115

16 Pongsakornpaisan P, Lourith N, Kanlayavattanakul M. Anti-sebum efficacy of guava toner: A split-face, randomized, single-blind placebo-controlled study. J Cosmet Dermatol. 2019 Dec;18(6):1737-1741

17 Wongsanao T, Leemingsawat W, Panapisal V, Kritpet T. Thermoregulatory effects of guava leaf extract-menthol toner application for post-exercise use. Pharm Biol. 2021 Dec;59(1):854-859

18 Lee YB, Shin MK, Kim JS, Park YL, Oh SH, Kim DH, Ahn JY, Lee SJ, Kim HO, Kim SS, Lee HJ, Lee MW, Lee YW, Park MY. Perceptions and Behavior Regarding Skin Health and Skin Care Products: Analysis of the Questionnaires for the Visitors of Skin Health Expo 2018. Ann Dermatol. 2020 Oct;32(5):375-382

19 Wang S, Lyu J, Jiang Y, Li J, Diao Q. Adverse Cosmetic Reactions in a Pediatric Population Reported to the Chongqing Drug Administration in China From 2017 to 2021. Dermatitis. 2023 Dec 21

20 Yuanxi L, Wei H, Lidan X, Li L. Comparison of skin hydration in combination and single use of common moisturizers (cream, toner, and spray water). J Cosmet Sci. 2016 May-Jun;67(3):175-83

21 Gabe Y, Uchiyama M, Sasaoka S, Amari N, Imai A, Hachiya A, Kiyomine A. Efficacy of a fine fiber film applied with a water-based lotion to improve dry skin. Skin Res Technol. 2022 May;28(3):465-471

22 Theoharides TC, Stewart JM, Tsilioni I. Tolerability and benefit of a tetramethoxyluteolin-containing skin lotion. Int J Immunopathol Pharmacol. 2017 Jun;30(2):146-151

23 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/chez-hemingway-meme-la-lotion-capillaire-est-alcoolisee-1032/

 

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