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L’éthanol, l’ingrédient déodorant un peu bourrin !

> 05 février 2024

L’éthanol, l’ingrédient déodorant un peu bourrin !

L’éthanol possède de multiples casquettes d’un point de vue cosmétique. Solvant « green »,1 « éco-friendly », il coche la case « environnemental » et « éthique » (du moins dans le domaine cosmétique). Dans le domaine médical, il désinfecte la peau. Dans le domaine cosmétique, il permet de faire peau nette, en ce qui concerne un microbiome gênant, d’un point de vue olfactif. Place nette… trop nette, nous dirons celles et ceux qui ne considèrent pas l’hygiénisme comme la panacée. Cet éthanol, qui entre dans la composition d’un très grand nombre de déodorants du commerce, mérite que l’on se pose un instant. On s’arrête. On s’interroge. L’éthanol est-il en fin de vie ? Est-il trop brutal ? Vaut-il mieux lui préférer des ingrédients plus doux, plus intelligents ? A voir !

Sentir ou ne pas sentir, telle est la question !

Pour des philosophes de l’Antiquité, comme pour des médecins du XIXe siècle, le meilleur parfum au monde est… l’absence de parfum… De ce fait toute personne, dont les odeurs corporelles sont jugées fortes et qui, pour les masquer, use de parfum musqué ou d’eau de Cologne ou de toute autre solution parfumée, est jugée sévèrement par ces personnes intransigeantes de la police des odeurs.2 Soyons claires, depuis toujours il existe un dilemme entre les pro et les anti-déodorant !

Fermenter ou ne pas fermenter, telle est la question

A l’heure actuelle, la fermentation est à la mode dans le domaine cosmétique et certains grands groupes ont décidé de prendre l’affaire à bras le corps, afin d’incorporer des germes vivants (des probiotiques) dans les cosmétiques du futur. Pour ce faire une réflexion s’impose !

Toutefois, il est bon de se rappeler que toute fermentation n’est pas bonne à entretenir. C’est ce que nous dit un savoureux article datant de 1957 qui dégaine, pour la circonstance, deux armes cosmétiques différentes : des déodorants (et d’ailleurs plutôt des antitranspirants puisque les actifs mis en avant sont des astringents) et l’épilation ou la dépilation. Pour lutter contre les odeurs axillaires (« surtout chez les femmes » !), il est conseillé d’agir sur la « fermentation des composants de la sueur apocrine » et d’éliminer le poil, du fait de sa capacité à absorber les odeurs.3

Et il y en a des germes présents au niveau des aisselles, nous précisent les chercheurs spécialistes du domaine. Une flore (ou microbiote) dont la composition est très variable d’un individu et à un autre et qui peut être modifiée selon les habitudes cosmétiques (emploi de déodorants et d’antitranspirants ou non). Parmi les espèces fréquentes, on peut citer : Corynebacterium, Staphylococcus, Betaproteobacteria, Clostridiales, Lactobacillus, Cutibacterium et Streptococcus.4 Cutibacterium… cela parle à des chercheurs thaïlandais qui rêvent d’un produit 2 en 1 déodorant–produit anti-acné à base d’un extrait végétal d’Hedychium coronarium.5

Un microbiote dont il va falloir se rendre maître, nous indiquent des microbiologistes et des dermatologues, qui imaginent les déodorants du futur, non plus comme de bêtes réservoirs d’antiseptiques, à action coup de poing, mais comme des produits intelligents, capables de faire le tri entre les bons germes et les mauvais. Et là, bien évidemment, on sort le tiquet « probiotique », avec l’objectif de réaliser le « remplacement du microbiote autochtone responsable des mauvaises odeurs par un microbiome non susceptible de générer des odeurs désagréables » ;6 on sort également le tiquet « prébiotique », en testant différents ingrédients et en sélectionnant ceux (comme le 2-butyloctanol) capables de faire le tri entre les bons germes et les mauvais.7

Alors finis les antiseptiques dans les déodorants ?

Non, pas si l’on en croit les travaux récents publiés dans la littérature scientifique. On trouve, ainsi, des publications mettant en selle des antiseptiques nouveaux. Des peptides (tétraspanine CD9) seraient en effet capables de lutter spécifiquement contre les bactéries commensales, responsables des odeurs corporelles, ce qui ne ferme pas la porte à l’usage des antiseptiques dans cette catégorie de produits.8 Des antiseptiques nouveaux, qu’il va falloir apprendre à connaître, qu’il va falloir faire entrer, si possible, dans l’Annexe V du Règlement (CE) N°1223/2009, pour plus de sécurité et de légalité !

Et l’éthanol dans tout ça ?

L’éthanol constitue un antiseptique pour déodorant ayant fait ses preuves. Une publication, entre autres de 1983, en est la preuve. Des sniffeurs de mauvaises odeurs « volontaires » (ce terme a toute son importance étant donné la mission qui leur a été confiée) ont pu constater, qu’en matière de lutte contre les mauvaises odeurs, il n’est pas forcément utile d’aller chercher midi à quatorze heures, puisqu’une simple solution éthanolique à 60 % permet de réduire, de manière significative, les mauvaises odeurs d’origine axillaire et ce pendant une durée jugée longue, soit 24 heures. Alors, forcément, partant du bon pied avec une solution qui fonctionne déjà bien, il n’est pas très difficile d’optimiser encore l’efficacité du produit formulé, en ajoutant, dans la « sauce », des agents antiseptiques comme la chlorhexidine ou le triclosan (on est en 1983, on le souligne !) ou bien encore en incorporant dans le milieu un agent antitranspirant comme le chlorhydrate d’aluminium. Et tant qu’à faire, on pourra aussi, pour augmenter encore en efficacité, ajouter une pincée de ricinoléate de zinc, un absorbeur d’odeur, qui fait alors son entrée sur le marché de la lutte contre les odeurs corporelles.9

Les solutions éthanoliques constituent à la fois des actifs en elles-mêmes et des excipients, permettant de véhiculer des actifs considérés comme des inhibiteurs enzymatiques (ces ingrédients sont capables d’inhiber les enzymes bactériennes responsables de la genèse des mauvaises odeurs).10

Has been l’éthanol ? Plutôt quand même, dans la mesure où l’on cherche des ingrédients de substitution, afin de mettre au point des déodorants « sans alcool ».11

Et les tomates ?

Stop, arrêtez de consommer des tomates, nous dit-on si vous voulez purifier l’air sous-axillaire. En effet, la sueur serait composée de différentes molécules issues de notre alimentation. Ce qui est connu pour l’ail, l’est moins pour la tomate… mais il faut y penser !12

L’alcool dans les déodorants, en bref

Antiseptique efficace, qui crée des « trous » en matière de populations bactériennes au niveau cutané, solvant de molécules parfumées, qui masque les odeurs tout de même générées, l’éthanol (nom INCI : alcohol) est toujours largement employé dans un grand nombre de références du commerce et ce aussi bien en ce qui concerne les produits de grandes surfaces, que les produits de luxe. Actuellement, on a tendance à considérer, cet alcool comme un ingrédient un peu bourrin, qui fait bien le job, mais ne brille pas par sa finesse. On nous parle d’ingrédients beaucoup plus intelligents, capables de discerner les germes qui puent (ou plutôt des germes qui génèrent des mauvaises odeurs), des germes qui sentent bon (ou plutôt des germes qui ne sont pas susceptibles de générer de mauvaises odeurs). L’avenir nous dira qui avait raison en matière de maitrise des odeurs corporelles ! Pour l’instant, notre éthanol continue à se faufiler dans un grand nombre de formules du commerce. Paisible, il attend qu’on lui apporte la preuve qu’il n’a plus rien à faire ici et qu’il n’a plus qu’à aller se faire voir ailleurs !

Bibliographie

1 L’alcool, un solvant d’extraction qui tire le meilleur de la nature ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 Deodorizers and Disinfectants. Halls J Health. 1871 Aug;18(8):172-175. PMID: 36487072

3 DEODORANTS and depilatories. Br Med J. 1957 Mar 16;1(5019):638

4 Urban J, Fergus DJ, Savage AM, Ehlers M, Menninger HL, Dunn RR, Horvath JE. The effect of habitual and experimental antiperspirant and deodorant product use on the armpit microbiome. PeerJ. 2016 Feb 2;4:e1605

5 Mitchaleaw M, Juntrapirom S, Bunrod A, Kanjanakawinkul W, Yawootti A, Charoensup W, Sirilun S, Chaiyana W. Antimicrobial Properties Related to Anti-Acne and Deodorant Efficacy of Hedychium coronarium J. Koenig Extracts from Pulsed Electric Field Extraction. Antibiotics (Basel). 2024 Jan 22;13(1):108

6 Callewaert C, Lambert J, Van de Wiele T. Towards a bacterial treatment for armpit malodour. Exp Dermatol. 2017 May;26(5):388-391) (Oliveira ECV, Salvador DS, Holsback V, Shultz JD, Michniak-Kohn BB, Leonardi GR. Deodorants and antiperspirants: identification of new strategies and perspectives to prevent and control malodor and sweat of the body. Int J Dermatol. 2021 May;60(5):613-619

7 Li M, Truong K, Pillai S, Boyd T, Fan A. The potential prebiotic effect of 2-Butyloctanol on the human axillary microbiome. Int J Cosmet Sci. 2021 Dec;43(6):627-635

8 Al-Talib H, Abdulwahab MH, Murad K, Amiruddin ND, Mohamed NN. Antimicrobial Effects of Tetraspanin CD9 Peptide against Microbiota Causing Armpit Malodour. Antibiotics (Basel). 2023 Jan 29;12(2):271. doi: 10.3390/antibiotics12020271

9 Baxter PM, Reed JV. The evaluation of underarm deodorants. Int J Cosmet Sci. 1983 Jun;5(3):85-95

10 Egert M, Höhne HM, Weber T, Simmering R, Banowski B, Breves R. Identification of compounds inhibiting the C-S lyase activity of a cell extract from a Staphylococcus sp. isolated from human skin. Lett Appl Microbiol. 2013 Dec;57(6):534-9

11 Teerasumran P, Velliou E, Bai S, Cai Q. Deodorants and antiperspirants: New trends in their active agents and testing methods. Int J Cosmet Sci. 2023 Aug;45(4):426-443

12 Stewart JC. Tomatoes cause under-arm odour. Med Hypotheses. 2014 May;82(5):518-21. doi: 10.1016/j.mehy.2014.02.001

 

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