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Le savon, le médicament-phare de la comtesse de Ségur

> 14 mai 2020

Le savon, le médicament-phare de la comtesse de Ségur

C’est une grand-mère d’une cinquantaine d’années qui publie, en 1856, un ouvrage à destination des jeunes mamans un peu perdues en matière de soins à porter à leurs enfants.1 La comtesse Sophie de Ségur, née Rostopchine (1799 - 1874), puisque c’est d’elle dont il s’agit, est une Russe qui, à peine arrivée en France, a fait chavirer le cœur d’Eugène de Ségur. A 20 ans, la voilà mariée, puis mère d’une famille qui devient petit à petit nombreuse, car composée de 7 enfants. La jeune femme de santé fragile souffre de maux de tête et de maux de gorge qu’elle traite à l’aide de thé fort et de radis roses…

Installée dans son château des Nouettes, sur la commune de L’Aube en Normandie, entourée de ses enfants, puis de ses petits-enfants, Sophie aime à raconter de longues histoires. Les échos de ses longues veillées animées par la voix de la vieille dame parviennent jusqu’aux oreilles du journaliste Louis Veuillot qui pousse son amie à publier ses récits dans la bibliothèque rose des éditions Hachette.

Si la conteuse aime à captiver son auditoire par des histoires mettant en scène des petites filles modèles, des polissons, des ânes et des généraux au grand cœur, elle aime aussi à se soucier de la santé des enfants et à compiler des recettes simples à destination des mamans recluses dans des châteaux situés loin de tout médecin. Le médecin qui va lui être très utile durant la rédaction de son ouvrage est le Dr Mazier qui officie à L’Aigle, une commune voisine. Celui-ci va pouvoir la guider durant la tâche qu’elle s’est assignée. En écoutant les uns et les autres, en consultant des ouvrages professionnels - sans doute le Dorvault (le pharmacien François Dorvault a rédigé une véritable bible à destination de ses collègues, listant avec soin les différentes préparations magistrales à disposition à son époque), en discutant avec les membres de sa famille (l’une de ses cousines a mis au point un baume miraculeux, appelé logiquement « baume de ma cousine »), la comtesse s’est fait une idée sur les moyens les plus sûrs et les plus simples de venir à bout d’un certain nombre de pathologies enfantines.2

Dans son ouvrage, la comtesse se fait la reine du thermostat, en indiquant les soucis que peuvent occasionner un excès de chauffage ou, à l’inverse, un froid trop cruel dans la chambre d’un enfant. Elle se met à l’écoute du nourrisson qui piaille à tout bout de champ (ne pas forcément le nourrir dès qu’il crie, mais plutôt chercher à savoir la cause de ses cris) et plaide en faveur d’une diversification tardive (attendre 18 mois à 2 ans avant de donner de la viande) en se rappelant toujours qu’une bonne alimentation est composée d’aliments sains, ni « lourds ni venteux » ou encore de la nécessité d’une aération des pièces.

D’emblée, elle nous met au parfum en se plaçant au niveau de la prévention...

Le savon est le « médicament » préventif par excellence si l’on en croit Sophie Rostopchine. Celui-ci permet, par exemple, que la tête des enfants « ne se prennent » pas, suite à une fièvre élevée. Pour se faire, le bain de pieds d’eau chaude et de savon sera très utile. « Mettez-lui le plus tôt possible les pieds dans un bain d’eau de savon ; réchauffez souvent l’eau et laissez l’enfant les pieds dans le bain pendant vingt minutes. Pendant ce bain, bassinez la tête et le front avec de l’eau fraîche et laissez-la découverte. » Si malgré cela les convulsions persistent, le savon sera remplacé par du son, de l’amidon ou du lait.

En cas de maux de gorge, l’enfant sera maintenu au lit dans une douce chaleur (« les pieds bien au chaud »). Un bain de pied d’une durée d’un quart d’heure sera préconisé, en prenant bien garde à ce que l’enfant n’ait pas froid durant cet acte.

En cas de rhumes, le cold crème et la pommade pour les cheveux seront appliqués dès les premiers éternuements sur les sourcils, le nez et les narines. Chaque jour, ces préparations seront éliminées soigneusement « à l’eau tiède et au savon ».

En cas de rougeole, le « bain de pieds d’eau de savon » est de seconde intention. Pour « dégager la tête », c’est le cataplasme de farine de lin camphrée ou de farine de moutarde qui est le geste N°1. En cas d’échec, c’est la bassine d’eau savonneuse qui prend le relais.

En cas de scarlatine, pas de temps à perdre... Dès les prémices de la maladie, le savon est de sortie : « Il faut donc, dès les premiers soupçons de la scarlatine et avant que les rougeurs paraissent, donner des bains de pieds d’eau de savon et mettre des cataplasmes camphrés, comme c’est indiqué pour la rougeole ».

Idem en cas de petite vérole, il convient de prendre de vitesse l’apparition des boutons en plaçant les pieds de l’enfant dans de l’eau savonneuse.

En matière de toilette quotidienne, la comtesse se rit des bonnes femmes qui craignent l’eau comme la peste. Au chapitre des « croûtes de lait », le savon est roi. « Grande eau » et savon quotidien constituent le crédo de la comtesse en matière de propreté. Et on frotte, et on astique, et on bouchonne. Comme cela, on évite les croûtes de lait. Si par malheur elles se développent tout de même, la comtesse sort sa botte secrète : l’eau de sureau remplace l’eau savonneuse. Après cette toilette douce, un cataplasme est posé, suivi d’un corps gras (huile d’olive ou d’amande douce, cold crème). Si la croûte résiste à ce traitement, on passe à l’application de crème fraîche, la nuit.

Afin d’éviter les « écorchures dans les jointures, les plis et derrière les oreilles », la comtesse, pleine de bon sens, sort l’arsenal indispensable à la propreté : un savon (bien évidemment), une serviette moelleuse (afin de pouvoir sécher très efficacement l’eau qui risque de stagner au niveau des plis) utilisée avec douceur « sans frotter », de la poudre de riz ou d’orge. Idem pour les fesses des bébés.

Le savon est donc le produit du quotidien par excellence, c’est aussi le produit de soin qui prévient les effets indésirables liés à toute poussée fébrile. Il est, par ailleurs, de toutes les dermatoses.

On le retrouve également dans les situations d’urgence, lorsqu’une brûlure légère par le feu ou l’eau bouillante vient de se produire. Un curieux pansement est alors réalisé : « râpez immédiatement du savon blanc de lessive dans un peu d’eau, mêlez bien jusqu’à ce que le savon soit fondu et qu’il fasse une pâte de l’épaisseur du cérat ; appliquez un paquet de ce savon sur la brûlure ; maintenez-le avec une bande de linge ; au bout de cinq minutes la douleur disparaîtra. » La pâte de savon est réalisée en quantité importante ; il ne s’agit pas d’en manquer... Le pansement est changé toutes les 3 à 4 heures, dans la journée ; on opère le changement de la pâte de savon le plus vite possible afin de ne pas laisser la lésion à l’air libre. En ce qui concerne le traitement nocturne, on se fiera à l’enfant. S’il dort, on ne le réveille pas. S’il est gêné dans son sommeil, on n’hésite pas à changer le pansement. La comtesse a pratiqué cette technique, visiblement, un certain nombre de fois et s’en est toujours félicitée. Seule précaution à prendre, se munir d’un savon blanc et non d’un savon marbré, certainement plus esthétique, mais beaucoup moins intéressant du point de vue de sa qualité. Dans le cas des brûlures graves et étendues, la pâte de savon est remplacée par du charbon de bois ou de la teinture d’arnica.

La « manière de faire prendre les bains de pieds » constitue, à elle seule, matière à un chapitre entier. La comtesse parle tout le long de son ouvrage des bains de pieds, il ne s’agirait pas de mal s’y prendre. Le bain de pieds de savon constitue le premier de la liste. Il précède le bain de pieds de moutarde, le bain de pieds de sel et de vinaigre, le bain de pieds de cendre. On comprend qu’il ne doit pas être pris à la légère et qu’il convient de respecter quelques règles si l’on souhaite en tirer tous les bénéfices voulus. « Prenez un seau pour bain de pieds, versez-y de l’eau chaude, prenez un quart de livre ou 125 grammes de savon blanc ; grattez-le avec un couteau jusqu’à ce que tout soit réduit en tout petits morceaux. Faites tomber à mesure dans l’eau chaude, mêlez ensuite avec un bâton. Quand le savon est fondu, remplissez le bain aux deux tiers au plus avec de l’eau froide et chaude ; pour vous assurer que le degré de chaleur est suffisant, plongez-y votre avant-bras ; il faut que vous puissiez l’y maintenir sans être incommodé de la chaleur. » La comtesse, ne souhaitant pas ébouillanter ses chers bambins, insiste sur la notion de sensibilité à la chaleur. Si l’enfant trouve le bain trop chaud, on adaptera la température à l’aide d’un volume suffisant d’eau froide. Une serviette couvrira le seau afin d’éviter que le bain ne refroidisse trop vite.

Le savon est donc, selon la comtesse, le produit (on n’ose pas parler de cosmétique tant ce savon véhicule de propriétés thérapeutiques) dont on ne doit jamais manquer. Au vu des connaissances actuelles, on émettra quelques critiques en matière de prise en charge des croûtes de lait (le savonnage n’étant certainement pas la meilleure solution)3 ou des brûlures (l’application d’un savon irritant sur une peau lésée n’est pas souhaitable). Pour le reste, ces gentils bains de pied ne feront pas de mal à défaut de faire du bien !

Gargarismes, cataplasmes, sangsues et lavements sont bien sûr également de la partie dans cet ouvrage d’un autre temps. L’œuf donne sa peau (celle qui adhère à la coquille) pour soigner l’écorché, le citron aseptise la gorge de l’angineux, le riz, cuit à l’eau, permet d’obtenir une lotion adoucissante pour les yeux irrités, le tilleul se met en infusion pour calmer les poussées dentaires douloureuses, la poudre de craie supprime, comme par enchantement, les douleurs liées aux piqûres d’insectes, la chandelle fondue se joue des cors…

D’un autre temps, vraiment ? Non, pas complètement, si l’on se penche sur toutes les recettes maison qui circulent sur la toile. Le savon (présenté parfois sous le nom de liniment) est encore préconisé sur de nombreux sites pour traiter les croûtes de lait,4,5 calmer les brûlures,6 traiter l’acné7 ou le psoriasis.8 Présenté parfois comme une « crème hydratante pour le corps », le liniment9 est le savon à la mode qui nettoie les fesses des bébés et démaquille les mamans.10

Entre les recettes de la comtesse de Ségur et les recettes des blogs de beauté, que d’analogies !

Le savon, produit star du XIXe siècle reste, pour certains, le produit star du XXIe siècle.

Ce produit qui répond à la définition du cosmétique du fait de ses propriétés nettoyantes11 ne devrait pas être présenté comme un médicament (à moins de se lancer dans une procédure d’AMM). A méditer, tout simplement !

Bibliographie

1 http://www.bibebook.com/files/ebook/libre/V2/segur_comtesse_de_-_la_sante_des_enfants.pdf
2 Lanchy F. La comtesse de Ségur et la santé des enfants, Revue d’histoire de la pharmacie, 1981, 250, Pages 179 - 185
3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-croutes-de-lait-des-solutions-cosmetiques-existent-474/
4 https://blog.bebe-au-naturel.com/2012/03/croutes-de-lait-les-solutions-naturelles/
5 https://www.marieclaire.fr/idees/des-soins-pour-bebe-a-faire-soi-meme,1134445.asp
6 https://blog.easyparapharmacie.com/liniment-le-produit-a-tout-faire/
7 https://biotenaturelle.fr/beaute/recette-savon-saponifie-acne/
8 http://beauteendouceur.canalblog.com/archives/2014/12/05/30774232.html
9 https://cnz.to/vf/recettes/autres-recettes/liniment-oleo-calcaire-fait-maison-recette/
10 https://transitionenfamille.wordpress.com/2016/05/20/tuto-liniment-huile-de-coco/?iframe=true&theme_preview=true
11 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/exercices-de-style-a-la-maniere-de-raymond-queneau-autour-de-la-definition-du-cosmetique-672/

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