Nos regards
Point trop de cosmétiques dans Vipère au poing !

> 16 mai 2020

Point trop de cosmétiques dans Vipère au poing !

Jean Rezeau est le cadet d’une famille mixte « bourgeoisie - noblesse », noblesse désargentée pour le père bourgeoisie nouvellement enrichie pour la mère.1 Elevé dans une vaste propriété craonnaise « La belle Angerie », par une grand-mère paternelle, sèche, mais juste, Jean fait la connaissance de ses parents sur le tard. Huit mois après le décès de sa mère, Jacques Rezeau (le père) revient de Chine, avec sa femme, Paule, et un petit dernier, Marcel pour l’état civil, Cropette pour les intimes. Jean (Brasse-Bouillon), le narrateur, se fait le porte-parole de son aîné, Frédie (Chiffe) et de son cadet (Cropette), pour laisser une trace d’un vécu familial lourd de frustrations. Pas de chauffage dans les chambres (pour éviter l’asphyxie), pas d’oreiller moelleux (pour éviter le « dos rond »), pas de café, mais de la soupe (c’est plus nourrissant)... tout est fait au mieux pour l’enfant, en somme… Même les gifles, les coups de fourchettes, les tracasseries, les punitions... sont scientifiquement justifiées. De quoi devenir mauvais, de quoi appeler sa mère Folcoche, par contraction des mots « folle » et « cochonne », de quoi tenter de l’empoisonner à la belladone,2 de la noyer, bref de la faire disparaître.

Herbé Bazin, dans Vipère au poing, fait siffler sa langue comme celle d’une vipère et crache son venin, avec talent, au fil des pages. Les cosmétiques ne sont pas les bienvenus dans la maison maternelle ; la vie y est rude, sans douceur, ni soins esthétiques.

D’une toilette sommaire

Dès que les parents posent le pied à « La belle Angerie », une organisation militaire se met en place, avec l’établissement d’un programme qui fait alterner leçons, prières, repas (maigres !) et hygiène (sommaire). La toilette est effectuée à 5 heures du matin ; un lavage des mains est imposé avant chaque repas. Les vêtements ne sont pas, en revanche, lavés souvent. Pour les chaussettes, il faut attendre 6 semaines avant de les changer, ce qui génère pas mal d’odeurs gênantes.

A une toilette soignée

Suite à de multiples vexations, punitions, exactions, Jean n’y tient plus et file à Paris se réfugier chez ses grands-parents maternels. Il découvre ainsi une grand-mère « encore blonde, poussant devant elle son face-à-main, son ventre, et ses parfums ». Son rouge à lèvres laisse des traces sur le front ; c’est toujours mieux que le vilain coup d’ongle habituel de sa mère. Après un voyage en train éprouvant, Jean est poussé dans un bain voluptueux. C’est une accorte bonne, Josette, qui se charge de le frotter et de le sécher avec « d’impeccables serviettes éponge épaisses comme des tapis ». La parenthèse enchantée sera de courte durée. Retour à l’envoyeur au bout de 48 heures !

Une coupe de cheveux énergique

Grand-mère est décédée ; Maman Paule reprend les rênes. Les cheveux sont tondus avec la tondeuse utilisée pour l’âne Cadichon ! De quoi aller pleurer dans le taxaudier (également appelé cyprès chauve) qui trône dans le parc et qui constitue un refuge de choix. Lorsque Paule sera hospitalisée, Jacques laissera de côté la tondeuse et laissera les cheveux de ses fils pousser librement.

Un papier toilette adapté à chaque complexion

Dans les toilettes, le papier n’est pas le même pour tout le monde. Papier de soie pour Paule ; papier journal (La Croix) pour les enfants.

Une autorité inversement proportionnelle à la taille de la moustache

Jacques Rezeau est un homme mou, au cheveu rare, de petite taille (il mesure 2 centimètres de moins que sa femme), « accablé par le poids de ses moustaches ». Il ne se plaît qu’à collectionner les mouches et à se plonger dans les registres paroissiaux au doux « parfum de fleur desséchée », en quête de découvertes généalogiques. Lorsqu’il est satisfait, il aime à friser ses moustaches ; cela n’arrive pas souvent d’ailleurs. Au quotidien, il doit supporter les cris de sa femme et ceux de ses enfants, qui lui tissent un véritable « oreiller de crin », sur lequel il ne fait pas bon poser la tête. Paule est, selon ses dires, une véritable « châtaigne sous bogue » ; qui s’y frotte, s’y pique.

Le grand-père Pluvignec, quant à lui, est un sénateur de belle stature (1 mètre 87) ; sa moustache « teinte en noire » ne peut rivaliser avec celle de son gendre, du point de vue de son envergure. Il ne manque pourtant pas d’autorité !

Une mère dure comme le fer

Paule, Folcoche pour ses enfants (c’est Frédie qui est à l’origine de ce surnom) possède une santé chancelante ; elle souffre de lithiase vésiculaire entre autres et refuse tout traitement (Algocoline Zizine, eau de Vichy). Lorsqu’elle souffre trop, elle s’injecte, elle-même, de la morphine, avec une seringue de Pravaz. Cette femme est dure au mal et dure, tout court !

De l’urée qui tue

Pour Jean, l’urée n’est pas un ingrédient cosmétique,3 mais une valeur biologique à surveiller. La grand-mère paternelle, meurt comme un certain nombre de ses ancêtres, d’urémie (« comme si la nature se vengeait de ceux qui n’éliminent pas l’urée par la sueur »).

De l’huile de ricin qui purge

L’huile de ricin n’a rien de cosmétique,4 chez les Rezeau. On ne l’entend, ni comme un agent filmogène qui favorise l’étalement du cosmétique, ni comme un dispersant des pigments permettant de stabiliser les produits de maquillage. L’huile de ricin est administrée, à la place du chocolat purgatif de grand-mère, pour pratiquer de salutaires purges.

Du coton en guise de sourire

On ne peut pas dire que l’enfance de Jean se soit déroulée dans du coton ; on ne le retrouve que sur les lèvres d’une alliée de famille, Yolande de Poli. Celle-ci file « en son éternel sourire, le dernier coton de sa race ». En la voyant, Jean comprend ce que signifie l’expression « tomber en quenouille ».

Des cheveux à la coumarine, un fond de teint à la bouse

L’âge venu, c’est Madeleine, la fille de ferme qui initie Jean à l’amour. Ses « cheveux ont la couleur et l’odeur du foin frais », un vrai parfum de coumarine en bouteille.5 Ceci ne durera pas longtemps. A l’heure de la séparation, la pauvre petite essuie une larme, à l’aide d’un tablier souillé, ce qui lui fardera la joue d’une drôle de façon (« comme son tablier a traîné dans quelque bouse, elle ne parvient qu’à se farder de brun la pommette »).

Hervé Bazin, porte-parole des enfants maltraités ?

Hervé Bazin et sa mère sont au cœur d’un mystère filial. Une mère « maltraitée » par un roman à succès, une mère devenue « immortelle » sous les traits de Folcoche...,6 une mère, qui comme l’aimait à le souligner l’un de nos amis (Y. C.), témoin oculaire de la scène, n’hésitait pas à accompagner son fils à Angers dans une librairie lors d’une séance de dédicace consacrée à un ouvrage qui la taillait pourtant en pièces…

La vie d’Hervé Bazin n’a pas été empoisonnée par un excès de cosmétiques (pas d’effet cocktail à redouter !), mais bien plutôt par un manque cruel de douceur cosmétique...

Merci beaucoup à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce Bazin, venimeux à souhait !

Bibliographie

1 Bazin H. Vipère au poing, Grasset, 248 pages, 1954
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/belladone-drole-de-nom-pour-une-plante-toxique-1245/
3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-uree-histoire-d-une-molecule-qui-a-plus-d-un-tour-dans-son-sac-744/
4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/castor-oil-et-ricinus-communis-oil-bonnet-blanc-et-blanc-bonnet-65/
5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-coumarine-ou-comment-chercher-un-parfum-dans-une-botte-de-foin-938/
6 https://next.liberation.fr/culture/1996/02/19/herve-bazin-le-fils-de-folcoche-est-mort_162550

Retour aux regards