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Le rouge à lèvres, on ne peut pas souvent le voir en peinture !

> 02 janvier 2024

Le rouge à lèvres, on ne peut pas souvent le voir en peinture !

Les femmes se « peignent » les lèvres,1 nous disent certains écrivains, qui, en employant ce terme (« peinture »), semblent bien vouloir porter le discrédit sur cette habitude cosmétique. Les écrivains nous dépeignent ainsi, en quelques mots tranchés, des femmes à la moralité douteuse. Et que font les peintres, pendant ce temps-là ? Nettoient-ils leurs pinceaux avec les mots caustiques sortant de la bouche de leurs confrères ? Nous racontent-ils des histoires, en enduisant leurs toiles d’une bonne couche de vernis à ongles2 ou de rouge à lèvres ? Qui fait quoi dans l’histoire ?

Le rouge à lèvres dans la littérature, peu présent… mais tout de même

Ce rouge à lèvres est le cosmétique du diable, puisqu’il laisse, sur les plastrons de chemise des maris infidèles, des marques indélébiles.3 Ce rouge, qui ensanglante la bouche, est du plus mauvais genre, selon les honnêtes femmes !4 Il constitue, pour Carson McCullers, le cosmétique qui fait basculer la petite fille innocente dans le monde trouble des adultes.5

Ce rouge à lèvres, retrouvé sur des scènes de crime6 laisse des traces sur les verres et les tasses ; il est choisi avec gourmandise par les maris amoureux, qui engloutissent, lors de baisers langoureux, des tonnes de produit.7

Le rouge à lèvres en peinture, présent chez Morris et Peggy

En peinture, le rouge à lèvres n’est pas le sujet le mieux représenté. Au musée Peggy Guggenheim de Venise, il est, toutefois, possible d’admirer un curieux tableau de Morris Hirschfield, un peintre d’origine polonaise, émigré aux Etats-Unis, ayant commencé sa carrière dans le monde de la couture et du chausson. A 65 ans, Morris prend sa retraite et, pour tuer le temps, se découvre une passion pour la peinture. Observateur méticuleux, il enregistre les scènes, personnages, attitudes qu’il couchera ensuite sur la toile, cherchant à reproduire « sa » réalité, avec le plus d’exactitude possible. Autodidacte, le tailleur à la retraite se taille un franc succès parmi les surréalistes qui admirent sa « fraîcheur » et son talent ; il essuie également quelques critiques. En 1947, il peint une curieuse toile, intitulée, Two women in front of the mirror, représentant deux femmes nues, à la toilette.8

La brune est à gauche de la toile. La blonde à droite. La brune passe une brosse dans sa chevelure et dirige un drôle de petit flacon blanc en direction de son front. La blonde, quant à elle, utilise un peigne, pour démêler ses cheveux, qui sont pourtant nattés et dirige un bâton de rouge à lèvres vers sa bouche. Ce bâton est conditionné dans un étui doré. Les deux femmes font face à un vaste miroir, qui renvoit leur image d’une manière peu orthodoxe, pour la femme brune, dont les fesses nous sont montrées aussi bien pour le personnage que pour son reflet.

Notons la manière étrange et naïve dont la femme blonde tient son rouge à lèvres. Entre le pouce et l’index, ce qui n’est ni facile à réaliser, ni très habituel. Le rouge à lèvres, semble presque, ici, un sixième doigt. Une sorte d’extension physiologique, destinée à exalter sa beauté naturelle.

A sa manière, Morris surenchérit à L’éloge du maquillage, réalisé presque un siècle plus tôt par le poète Charles Baudelaire.9 Avec simplicité, il place les cosmétiques, en général, et le rouge à lèvres, en particulier, au centre de la vie féminine.

Le rouge à lèvres dans l’art ou avec du lard ?

A base de beurre ou de lard et de raisin rouge (c’est pour cette raison que le bâton de rouge à lèvres est aussi appelé « raisin »),10 le rouge à lèvres d’hier n’a plus rien à voir, en matière de composition, avec le rouge à lèvres d’aujourd’hui, bourré de microplastiques et de colorants de synthèse. Les adeptes du véganisme ne voudront pas revenir en arrière : pas de lard (ni de cire d’abeilles), dans les cosmétiques ! Quant aux peintres ou aux marchands d’art, ils semblent bien atteints du même genre de syndrome que ces consommateurs, se refusant à placer le rouge à lèvres au centre de l’art pictural.

Non, vraiment, le rouge à lèvres, vous ne le verrez pas souvent en peinture !

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-irene-nemirovsky-fait-le-proces-des-cosmetiques-2695/

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/cosmetiques-a-la-plage-2655/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/teinture-pour-cheveux-poudre-et-rouge-a-levres-pour-apprentie-espionne-1537/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/anosmie-fond-de-teint-blanc-rouge-a-levres-sanglant-ca-va-saigner-1833/

5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/entre-l-enfant-et-l-adulte-un-simple-trait-de-rouge-a-levres-2237/

6 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/une-histoire-de-rouge-a-levres-rouge-cerise-fonce-de-bonne-qualite-1690/

7 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/reflexions-esthetiques-et-cosmetiques-au-fil-des-saisons-1820/

8 https://www.guggenheim-venice.it/en/art/artists/morris-hirshfield/

9 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/avec-baudelaire-fetons-la-saint-valentin-des-cosmetiques-954/

10 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/louise-bourgeois-avec-un-g-comme-gaiete-363/

 

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