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C’était mieux avant, dans le domaine cosmétique ? Non, pas vraiment !

> 01 janvier 2024

C’était mieux avant, dans le domaine cosmétique ? Non, pas vraiment !

C’était mieux avant… voilà une phrase que l’on entend bien souvent et pas uniquement dans le domaine cosmétique. En ce 1er janvier 2024, nous avons eu envie de nous poser la question et de tenter d’y répondre. Une petite réflexion, comme ça, le lendemain d’un réveillon où les cosmétiques à paillettes ont pétillé comme des bulles de champagne. Une petite réflexion, après la première douche de l’année, après le premier brossage de dent, le premier shampooing, la première application de crème hydratante

Du temps où l’on parlait de femmes peintes !

Dans la littérature médicale de la fin du XIXe siècle, on trouve ainsi des articles d’auteurs anonymes (quel courage !) américains qui fustigent les produits de maquillage, qui recouvrent quotidiennement le visage de certaines femmes. Ces femmes sont, au regard de ces auteurs, aussi « ridicules », que « méprisables », précisant que l’homme, qui serait tenté d’épouser ce genre de créatures, ne manquerait pas d’être éclaboussé par toute la graisse qui recouvre l’épiderme de leur future compagne. L’art du maquillage est, alors, loin d’être considéré, puisqu’il est, dit-on, réservé aux femmes « très sottes » ou « vicieuses » et qualifié « d’abominable » ! Heureusement, les femmes « peintes », vêtues comme les « demi-mondaines françaises », sont peu nombreuses dans les rues de New-York, conclut l’auteur d’un article paru dans le Hall’s Journal of Health, en 1875 !

Des femmes « peintes », on ne manquera pas d’en trouver dans la littérature dans les années et décennies suivantes. Irène Némirovsky, par exemple, mettra, ainsi, en scène des mères inhumaines maquillées au point de ressembler à des pots de peinture.1 Julien Green et André Mauriac dénonceront, quant à eux, des femmes jeunes ou entre deux âges à la bouche « peinte »,2,3 classant le rouge à lèvres dans la catégorie des cosmétiques immoraux. Et ceci est sans parler des écrivains qui font mention de femmes se peignant les ongles,4 de manière vulgaire.

Du temps où l’on parlait de cosmétiques mortels

Dans la littérature scientifique, il est question, toujours à la fin du XIX siècle, d’individus qui meurent à cause des cosmétiques. Des artistes de music-hall sont évoqués, des femmes, mais également des hommes jouant les pantomimes, bref des personnes qui outrent leur jeu sur scène et outrent leur maquillage (leur « peinture »). Des médecins font le constat de décès mystérieux, survenant une semaine à 15 jours après s’être produit sur scène. On parle « d’empoisonnement du sang » ; on évoque un cas de « ramollissement du cerveau », en ce qui concerne un clown, ayant utilisé, sa vie durant, un cosmétique destiné à lui donner un teint crayeux. Et on se rend compte que ce phénomène ne touche pas que les artistes, mais concerne également de modestes femmes du peuple, qui se maquillent pour aller danser ou pour aller travailler et associent des cosmétiques permettant de rendre le teint le plus blanc possible, les sourcils le plus noir possible, d’éliminer les poils disgracieux… Et le pire, c’est que les poisons contenus dans ces cosmétiques (antimoine, plomb…)5,6 ne sont pas toujours responsables d’une mort rapide, mais commencent par assécher la peau, par lui donner un aspect jaunâtre et ridé, par entraîner des maux de tête et des troubles de la vue, avant d’aboutir à une issue fatale. L’usage d’un fond de teint à base de céruse, pendant des années, peut facilement entraîner, comme on l’imagine, une intoxication chronique au plomb.7

Dans ce contexte, certains auteurs mettent en avant les bonnes conditions de vie des Parisiennes dont le seul capital est la beauté (petit tacle en passant tout de même) et qui ne mettent pas les cosmétiques au centre de leur routine-santé. Ces Parisiennes, pleines de bon sens, s’astreignent à un régime rigoureux, associant bain quotidien, exercice physique et bonne dose de sommeil, ce qui leur permet de rester belle et en bonne santé fort longtemps. A bon entendeur salut !8

Du temps où certains cosmétiques se prenaient pour des médicaments

Ces cosmétiques étaient alors présentés comme des panacées, susceptibles de venir à bout de n’importe quelle pathologie cutanée, mais produisaient, le plus souvent, des dermatites aigues. Du charlatanisme, tout simplement !9

Du temps où l’on avait peur de l’eau et du savon... mais aucunement du borax

Après un XIXe siècle qui porte le savon au pinacle, celui-ci est descendu de son trône au début du XXe siècle. Certains laboratoires cosmétiques le jugent, en effet, irritant et considère que le meilleur cosmétique de substitution se nomme « cold cream ».10 Des spécialistes de la beauté condamnent la toilette au savon et conseillent le « lavage » (sic) au cold cream. Celui-ci doit être appliqué en couche épaisse sur la peau, qui absorbe ce qu’elle peut. L’excès de produit est éliminé à l’aide d’un papier absorbant ou d’une serviette de toilette. Il ne reste plus alors qu’à appliquer sur la peau une poudre, dont la couleur pétillante varie du vert au mauve, en passant par le jaune ou une teinte ocre, à effet bronzant ! Cette toilette matinale à sec peut être réitérée le soir. La peau est, en effet, nettoyée avec un cold cream ou un skin food, qui reste posé, par ailleurs, toute la nuit !

Cette mode de nettoyage à sec, sans eau, au gras, ne convient pas à tout le monde… Certains dermatologues, en particulier, trouvent ce protocole absurde et mettent à l’honneur le savon « surgras »,11 formulé avec un agent surgraissant comme la lanoline (environ 1 %), en excès et conseillent d’éviter le savon surgras à l’huile de coco, jugé irritant.

Les cold creams de composition variable, mais généralement formulés à partir de borax, sont jugés responsables d’effets délétères par la communauté scientifique, comme des éruptions cutanées, par exemple.12

Le temps à venir…

En ce premier jour de l’année 2024 force est de constater que ce n’était pas mieux avant.

Les produits de maquillage étaient considérés comme des produits immoraux, réservés aux femmes de vie dite mauvaise. L’état d’esprit a évolué. Une femme maquillée n’est plus considérée comme une femme « peinte ». Les cosmétiques ont donc gagné en honorabilité et constituent même, dans le cas particulier de la socio-esthétique,13 une manière noble, capable de permettre aux personnes fragilisées d’affronter l’étape de la maladie, de la vieillesse, de la désocialisation, de l’incarcération…

Les cosmétiques qui n’étaient pas encore réglementés contenaient, bien souvent, des ingrédients toxiques, comme des métaux lourds, entre autres. La réglementation, mise en place par Simone Veil,14 a permis l’établissement d’une liste de substances interdites, liste qui s’allonge d’année en année en fonction de l’état de l’Art en toxicologie. Les cosmétiques sont donc plus sûrs d’emploi en matière de préservation de la santé.

Restent certains cosmétiques qui ne jouent pas le jeu et flirtent avec le domaine du médicament (oui, cela existe toujours) !

Restent certains cosmétiques dont la composition repose sur des modes aberrantes (oui, cela existe toujours et on pensera, en particulier, à cette mode désastreuse d’un point de vue de la santé publique et de l’environnement qui consiste à incorporer des filtres UV dans de nombreux produits cosmétiques du quotidien) !

Oui, globalement, on est sur la bonne voie. Restent, pourtant, des efforts à faire en matière de préservation de l’environnement, en matière de sensorialité, en matière d’efficacité, en matière de transparence et de communication.

Bref, il y a du pain sur la planche. Il y a de belles innovations à mettre à point, dans la joie et la bonne humeur !

C’est pourquoi, nous souhaitons à tous les acteurs de la profession, à tous ceux qui conçoivent les cosmétiques et à tous ceux qui les utilisent, une excellente année 2024, pleine de projets réussis, d’idées novatrices, de travail passionné. Une année lumineuse, pleine de joie et de santé !

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-irene-nemirovsky-fait-le-proces-des-cosmetiques-2695/

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/histoire-d-une-femme-fardee-capable-de-coucher-avec-un-gorille-2549/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-francois-mauriac-chante-en-canon-avec-alain-souchon-j-ai-dix-ans-2448/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/-les-magiciennes-histoire-d-un-magicien-qui-noie-son-chagrin-dans-un-pot-de-fond-de-teint-1684/

5 The Cosmetics of the Market. Halls J Health. 1885 Apr;32(4):17

6 Investigation of Injuries from Hair Dyes, Dyed Furs and Cosmetics. Can Med Assoc J. 1927 Mar;17(3):321

7 Carleton A. THE USES AND DANGERS OF COSMETICS. Br Med J. 1933 Jun 10;1(3779):999-1001

8 Dangerous Cosmetics. Halls J Health. 1883 Jan;30(1):30

9 Pernet G. SKIN DISEASES AND COSMETICS. Br Med J. 1911 May 27;1(2630):1242

10 Le cold cream, on en parle beaucoup, on le connaît peu ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

11 Le savon surgras, merci Dr Unna ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

12 Mackenna RM. MODERN COSMETIC PREPARATIONS: THEIR CHEMICAL COMPOSITION, AND THE PATHOLOGICAL DEVELOPMENTS ATTRIBUTABLE TO THEM. Br Med J. 1930 May 17;1(3619):899-902

13 La socio-esthétique, au fait, qu’est-ce que c’est ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

14 Simone Veil ou le combat pour des cosmétiques sûrs d’emploi | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

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