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Le parfum de l’homme invisible, une douce odeur anisée !

> 14 juin 2020

Le parfum de l’homme invisible, une douce odeur anisée !

L’homme invisible de Herbert George Wells est un bien curieux personnage ;1 on a pu croire, un moment, qu’il s’agissait d’un homme grièvement blessé ayant été de multiples fois opéré et obligé de se cacher sous d’épais bandages pour des raisons esthétiques évidentes.

La vérité est beaucoup plus étonnante que cela. L’homme invisible est, en réalité, un chimiste de génie qui a réussi, après de longues années d’études, à rendre la matière vivante totalement inerte vis-à-vis des rayons lumineux. Ce chimiste, qui a effectué ses études à l’University college, est « albinos, haut de 6 pieds, de forte carrure, avec des yeux rouges dans une figure rose et blanche ». Il porte une barbe. Voilà la description qui nous en faite tant qu’il est encore bien visible.

Lors d’une première expérience, Griffin (c'est son nom) a pu faire disparaître le chat de sa voisine. Il s’est, ensuite, transformé en cobaye humain pour vérifier l’efficacité du procédé mis en œuvre. Après avoir absorbé des drogues diverses, il se fond petit à petit dans le décor de sa chambre. Il ne reste plus qu’une odeur suave de primevère pour témoigner de sa présence.

C’est bien joli de devenir invisible, mais ce n’est pas très pratique... Afin de profiter pleinement de cette extraordinaire découverte, Griffin doit pouvoir réapparaitre à volonté. Nu comme un ver (le procédé qui lui a permis de disparaître est sans effet sur ses vêtements), Griffin est obligé de fuir son immeuble devenu totalement inhospitalier.

Un passage dans un grand magasin, l’Omnium, lui permet de se vêtir et de reprendre forme humaine. Au rayon des jouets, un faux nez s’impose à lui. Cet accessoire est indispensable pour ressembler à un honnête citoyen. On pourrait même le farder pour le rendre plus vrai ! Oui, mais comment ressortir discrètement d’un magasin dans lequel on a fauché un tel attirail ? Question insoluble s’il en est. Au fil des rayons, pourchassé par une troupe de vendeurs, Griffin lâche un à un les vêtements et accessoires qui dessinent son contour. Le revoilà tout nu, dans la rue, en plein hiver ! Brrr !! De quoi s’enrhumer... Atchoum... C’est fait !

Après l’Omnium, une petite boutique de déguisements ouvre les bras à notre chimiste en mal de vêtements. Le propriétaire de la boutique dûment ficelé, il ne reste plus qu’à faire son choix dans les costumes, pardessus, chapeaux, perruques, lunettes... Dans le rayon des cosmétiques, Griffin flâne un instant et s’interroge. Les poudres et fards sont bien tentants et permettraient à coup sûr de se faire un teint sur mesure. « J’avais pensé à me maquiller, à me poudrer, la figure et les mains, tout ce qu’il y avait à montrer de ma personne pour redevenir visible ; mais l’inconvénient, c’est qu’ensuite il m’aurait fallu de la térébenthine et d’autres drogues, et je ne sais combien de temps, pour disparaître de nouveau. » La question du démaquillage constitue le point d’achoppement sur lequel notre chimiste distingué vient buter.

Apparaître - disparaître quand on veut, en quelques instants, en se déshabillant tout simplement, c’est enfantin. Reste le problème des odeurs corporelles détectables par les chiens (« le nez est pour l’esprit d’un chien ce que l’œil est pour l’esprit d’un homme qui voit clair. ») bien évidemment, mais également par les humains au flair exercé.

Restent également le problème des empreintes laissées dans les sols mous, le problème de l’alimentation (tant que les aliments ne sont pas assimilés, ils restent bien visibles dans le tractus digestif), le problème des bruits liés à l’existence humaine...

Griffin, en se rendant invisible, rend sa découverte inutilisable. Condamné à réaliser des forfaits divers et variés (vols, coups...) pour pouvoir survivre, ses jours sont comptés.

Le procédé chimique mis au point par Griffin a été perdu, semble-t-il... Méfiance, tout de même, si une douce odeur de primevère vient chatouiller vos narines dans une pièce apparemment vide !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour avoir pu dresser une sorte de portrait... de l'homme invisible !

Bibliographie

1 Wells H.G. L'homme invisible, Le livre de poche, 1975

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