Nos regards
Quand Emmanuel Berl se fait couler un bain paisible en pays d’Auge !

> 13 juin 2020

Quand Emmanuel Berl se fait couler un bain paisible en pays d’Auge !

Sur la route de Cabourg à Cauvigny, au début des années 1970, c’est la guerre entre Mireille (la chanteuse) et Berl (l’écrivain).1 Il y a de l’hésitation sur la route à prendre, il y a un gentil dérapage qui aboutit dans un fossé « très peu profond », il y a une batterie qui dit non, non, non et non... « Il est midi » et le pays d’Auge est désert, semble-t-il. Pas tout à fait, puisqu’un coup de klaxon bien appuyé fait sortir d’un champ de blé une nuée de garçons et de filles. L’un des garçons, qui en réalité, est une fille extirpe l’octogénaire d’un bras « solide ». Emmanuel Berl est conduit dans une ferme enchantée (du moins à ses yeux).

La jeune fille - que l’on appellera Christine par commodité - qui a secouru Emmanuel, avec spontanéité et un brin de virilité, vit en famille, dans une ferme modèle, où tout n’est qu’ordre et beauté. Le piano qui trône dans la maison appelle bien évidemment Mireille qui ne résiste pas au plaisir de « chanter quelques mesures ». Christine est elle-même musicienne, comme toute sa famille ; les notes qui s’échappent du piano lui sont aussi indispensables que l’oxygène de l’air. « Elle se servait de son piano comme un enfant de sa balle ; avec l’envie et même le besoin de la lancer et de la rattraper ; il leur fallait à tous produire de la musique, à la fois comme on a envie de courir parce que vos mollets vous démangent et comme on fait couler un bain, pour que votre peau soit immergée dans l’eau, et non plus dans l’air. »

Les effets bénéfiques de la musique ne se font pas attendre... Si Nietzsche y voit un moyen d’agir sur la circulation du sang, sur le rythme cardiaque ou l’état des poumons ou du ventre, Berl y perd la vue « objective ». Tout est trop beau ! Il n’est plus question de l’argent-roi, ni de profit ou de rendement mais de générosité, d’écologie (les « plages désertes » existent encore), de nuisance chimique inacceptable au regard de la nuisance biologique (« Mais les microbes participaient et participent à l’ordre naturel des choses, l’homme a toujours vécu parmi eux, et produit des anticorps pour se défendre contre les virus »). Le statut des infirmières (un métier visiblement à revaloriser) est également évoqué.

Le bain pris par Emmanuel Berl élimine « la souillure » occasionnée par la pollution.

Quelques mois plus tard, Christine viendra rendre visite à Emmanuel Berl, à Paris. Elle profitera de l’occasion pour astiquer les lunettes de celui qui se voit bien dans le rôle de grand-père de cette drôle de fille. Sa ferme n’est pas enchantée, elle est trop automatisée (tout se fait en appuyant sur des boutons) ; elle retentit trop des fâcheries entre enfants et parents.

Emmanuel Berl n’a vu que ce qu’il voulait bien voir… La faute au piano ? La faute à ce bain de midi, proposé et accepté en toute simplicité.

Ah au fait, un dernier détail, « Regain au pays d’Auge » n’était absolument pas destiné à être édité, nous dit l’écrivain en seconde partie d’ouvrage. Mais, oui, bien sûr ! Qui a dit que les écrivains étaient des menteurs ?

Bibliographie

1 Berl E. Regain au pays d’Auge, Le livre de poche, 117 pages, 1975

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