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Le myristate d’isopropyle, un ester gras plein de bonne volonté qui se met au vert !

> 07 août 2019

Le myristate d’isopropyle, un ester gras plein de bonne volonté qui se met au vert !

Le myristate d’isopropyle (CAS : 110-27-0 ; EC : 203-751-4) est un ester d’acide gras (ester isopropylique de l’acide myristique), très utilisé dans le domaine cosmétique, depuis les années 1950. Il est apprécié du fait de son pouvoir d’étalement important. On dit d’ailleurs de lui qu’il s’agit d’un ingrédient filmogène. Le Cosing le présente comme un « agent liant, émollient, masquant, parfumant ». Si nous lui reconnaissons bien un effet émollient, son effet parfumant ou masquant des mauvaises odeurs, en revanche, doit être expliqué, le myristate d’isopropyle étant un liquide parfaitement inodore. Ce sont les propriétés solvantes du myristate d’isopropyle à l’égard d’un certain nombre de molécules parfumantes qui justifient l’emploi des termes « parfumant, masquant ». Mais à nos yeux, le myristate d’isopropyle c’est beaucoup plus que cela… Cet ingrédient méritait donc un Regard afin de détailler soigneusement toutes ses propriétés.

Un ingrédient « vert »

Bien que n’existant pas dans la nature,1 cet ingrédient peut être qualifié de « vert », si l’on pense à certains modes de synthèse le concernant. Le myristate d’isopropyle peut, en effet, être obtenu par synthèse enzymatique, en ayant recours à la lipase B de Candida antartica.2

Un effet exhausteur de pénétration démontré

L’effet exhausteur de pénétration du myristate d’isopropyle est bien documenté. Proposé dans les années 1970 dans les modèles in vitro d’étude du passage transdermique, il passe rapidement de l’autre côté de la barrière et est étudié en tant que facilitateur de la pénétration de divers principes actifs médicamenteux.3,4 On sait que cet ingrédient est capable de fluidifier les membranes lipidiques, facilitant ainsi la pénétration des ingrédients au travers de la cellule.5 L’incorporation de 3 % de myristate d’isopropyle dans un gel hydroalcoolique de carbomère, composé d’eau, de Carbopol 980 et de soude, permet de multiplier le flux de testostérone au niveau cutané par un facteur six.6 Le mélange alcool isopropylique/myristate d’isopropyle (dans un rapport 1/1) incorporé dans une pommade à la lanoline est capable, quant à lui, de multiplier par 12 le flux de bétaméthasone-17-valérate par rapport à l’excipient n’en contenant pas.7 Même chose dans le cas d’un gel contenant du diclofénac sodique.8 Des associations d’exhausteurs de pénétration (acide lactique, myristate d’isopropyle, éthanol) peuvent être réalisées dans le cadre de la formulation de préparations anti-inflammatoires.9 En cas d’incorporation dans certains patchs transdermiques, on observe un phénomène de réduction du caractère adhésif du système ; on dit dans ce cas que le myristate d’isopropyle joue un rôle de plastifiant pour le polymère en question.10 Cet effet exhausteur de pénétration, très étudié dans le domaine pharmaceutique, est passé sous silence dans le domaine cosmétique où l’on craint de faire peur aux consommateurs en évoquant la notion de pénétration cutanée. Chut, on n’en dira donc pas plus !

Un effet antimicrobien présumé

Lorsque l’on veut contrôler la stérilité d’une préparation ophtalmique, on réalise une filtration sur membrane de façon à isoler les microorganismes de la forme galénique à tester. Lorsque l’on emploie comme solvant le myristate d’isopropyle afin de diluer la préparation à tester, on se rend compte que l’on peut observer des faux-négatifs du fait de la sensibilité de certaines souches bactériennes ; on pensera en particulier à Pseudomonas aeruginosa.11 Ce phénomène fut constaté dès les années 1970 par un certain nombre de microbiologistes ; certains imputèrent l’effet antimicrobien non pas à l’ester, mais à des traces de catalyseurs acides retrouvés dans la matière première.1 Attention, enfin, tous les germes ne sont pas aussi sensibles (si sensibilité il y a). Le myristate d’isopropyle est sans effet sur B. subtilis et E. coli.12 A une époque où l’on recherche à réduire au maximum le nombre et la dose d’emploi des conservateurs antimicrobiens, il est peut-être utile de se rappeler de ces travaux et de creuser à nouveau dans cette direction afin de se faire une idée juste du pouvoir antimicrobien de cet ester gras.

Un effet pédiculicide qui gagne à être connu

En 2008, on découvre une nouvelle qualité à cet ester. On se rend compte, en effet, qu’il permet d’éradiquer efficacement les poux, lorsqu’il entre pour 50 % dans la composition des lotions anti-poux, ne renfermant pas de pédiculicides neurotoxiques type perméthrine ou pyréthrine.13 L’association silicone-myristate d’isopropyle constitue également un bon duo pour la lutte anti-poux.14

Un ingrédient plutôt bien toléré

On ne note que très peu d’échos négatifs concernant cet ingrédient bien toléré. Pourtant, quelques cas d’allergies sont répertoriés. Entre 1992 et 2001, en Allemagne, sur 12 671 patients, l’incidence de sensibilisation à cet ingrédient calculée n’était que de 0,13 %.15 Le myristate d’isopropyle entrant dans la composition d’un grand nombre de cosmétiques en général et de crèmes émollientes en particulier, il faudra garder à l’esprit cet aspect de cette matière première. Lors d’un eczéma persistant, il sera important de se renseigner sur l’ensemble des cosmétiques employés par le patient.16 Noter également que le délai d’apparition des symptômes peut être long. Dans le cas d’un patient anglais sensibilisé à son produit de protection solaire, une éruption très prurigineuse au niveau du visage, du cou et des membres ne s’est manifestée que 3 jours après application du produit incriminé. Un patch test réalisé par le dermatologue grâce aux ingrédients contenus dans la formule fournis par le laboratoire commercialisant le produit solaire a montré des réactions positives à l’isohexadécane et au myristate d’isopropyle.17 Ces réactions sont rares mais méritent d’être signalées.

Un ingrédient comédogène

Parmi la liste des qualités attribuées au myristate d’isopropyle, il en est une qui ne peut lui être reconnue : sa compatibilité avec la peau du sujet acnéique. Cet ingrédient étant comédogène ;18 il devra donc être évité lors de la formulation de cosmétiques destinés à la « peau jeune » et ce de la même façon que des esters du même type : palmitate d’isopropyle, isostéarate d’isopropyle, stéarate de butyle, néopentanoate d’isostearyle, myristate de myristyle, oléate de décyle, stéarate d’octyle, palmitate d’octyle…19

Un ingrédient encore très étudié

Utilisé depuis de nombreuses années par l’industrie cosmétique, le myristate d’isopropyle fait toujours le bonheur de chercheurs du monde entier. C’est ainsi que l’on découvre dans la littérature scientifique une publication récente étudiant la stabilité de différents mélanges composés d’eau, de myristate d’isopropyle, d’octane, de dodécane, de butanol, de chlorure de sodium, de laurylsulfate de sodium, de bromure d’hexadécyltriméthylammonium. Des émulsions réalisées avec un protocole étrange (les alcools sont incorporés au goutte à goutte !),20 des formules peu exploitables… On comprend mal le but d’une telle recherche. A citer également le travail réalisé par deux chercheurs lillois qui ont formulé une émulsion de Pickering (émulsion composée d’eau, de myristate d’isopropyle, de nitrate d’éconazole stabilisée par des particules solides et non par un tensioactif classique) afin de proposer une nouvelle forme galénique pour le traitement des mycoses.21 Ce type d’émulsion, très étudiée en laboratoire, fait l’objet d’une véritable pluie de publications depuis sa première description en 1907 ;22 on notera, toutefois, qu’il n’existe pas, à ce jour, de formules sur le marché exploitant cette technologie.

Le myristate d’isopropyle, en bref

Cet ester ne manque pas de qualités, comme on a pu le constater. Excipient (du fait de son caractère filmogène, solvant) ou actif (du fait de son caractère émollient), le myristate d’isopropyle ne sait pas trop bien dans quelle catégorie d’ingrédients figurer. Il se plie pourtant en quatre pour complaire aussi bien au formulateur qu’au consommateur. On tiendra compte de son effet « exhausteur de pénétration » et on évitera quand même de l’incorporer dans les produits devant exercer une action de surface ! Lorsque l’on traquera les capitons ou que l’on voudra effacer les rides, on n’aura pas d’état d’âme, le myristate d’isopropyle fera parfaitement l’affaire. Il entrainera, avec talent, les actifs concernés dans les profondeurs cutanées. On se souviendra enfin de son effet comédogène qui lui fermera les portes d’un certain nombre de formules.

Bibliographie

1 Monographs on fragrance raw materials: Isopropyl myristate, Food and Cosmetics Toxicology, 14, 4, 1976, Pages 323-325

2 Rajeshkumar N. Vadgama, Annamma A. Odaneth, Arvind M. Lali, Green synthesis of isopropyl myristate in novel single phase medium Part I: Batch optimization studies, Biotechnology Reports, 8, 2015, Pages 133-137

3 Jonathan Hadgraft, Geoffrey Ridout, Development of model membranes for percutaneous absorption measurements. I. Isopropyl myristate, International Journal of Pharmaceutics, 39, 1–2, 1987, Pages 149-156

4 Pai-Chie Chen-Chow, Sylvan G. Frank, The determination of lidocaine and benzocaine in isopropylmyristate, International Journal of Pharmaceutics, 8, 2, 1981, Pages 81-87

5 Adina Eichner, Sören Stahlberg, Stefan Sonnenberger, Stefan Lange, Reinhard H. H. Neubert, Influence of the penetration enhancer isopropyl myristate on stratum corneum lipid model membranes revealed by neutron diffraction and 2H NMR experiments, Biochimica et Biophysica Acta (BBA) - Biomembranes, 1859, 5, 2017, Pages 745-755

6 Ahmed S. Zidan, Nahid Kamal, Alaadin Alayoubi, Mark Seggel, Muhammad Ashraf, Effect of Isopropyl Myristate on Transdermal Permeation of Testosterone From Carbopol Gel, Journal of Pharmaceutical Sciences, 106, 7, 2017, Pages 1805-1813

7 S. Mitriaikina, C. C. Muller-Goymann, Synergetic effects of isopropyl alcohol (IPA) and isopropyl myristate (IPM) on the permeation of betamethasone-17-valerate from semisolid Pharmacopoeia bases, Journal of Drug Delivery Science and Technology, 17, 5, 2007, Pages 1-8

8 A. Arellano, S. Santoyo, C. Martı́n, P. Ygartua, Influence of propylene glycol and isopropyl myristate on the in vitro percutaneous penetration of diclofenac sodium from carbopol gels, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 7, 2, 1999, Pages 129-135

9 Yoichi Kobayashi, Hiroyuki Nakamura, Kenji Sugibayashi, Yasunori Morimoto, Estimation of action site of l-lactic acid-ethanol-isopropylmyristate mixed system for its enhancing effect on the skin permeation of ketotifen, International Journal of Pharmaceutics, 156, 2, 1997, Pages 153-162

10 Chunyi Zhao, Peng Quan, Chao Liu, Qiaoyun Li, Liang Fang, Effect of isopropyl myristate on the viscoelasticity and drug release of a drug-in-adhesive transdermal patch containing blonanserin, Acta Pharmaceutica Sinica B, 6, 6, 2016, Pages 623-628

11 Valéria Macedo Cardoso, Ana Gabriela Reis Solano, Maria Auxiliadora Fontes Prado, Elzíria de Aguiar Nunan, Investigation of fatty acid esters to replace isopropyl myristate in the sterility test for ophthalmic ointments, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 42, 5, 2006, Pages 630-634

12 Soumik Bardhan, Kaushik Kundu, Sajal Das, Madhumita Poddar, Bidyut K. Paul, Formation, thermodynamic properties, microstructures and antimicrobial activity of mixed cationic/non-ionic surfactant microemulsions with isopropyl myristate as oil, Journal of Colloid and Interface Science, 430, 2014, Pages 129-139

13 Aditya Gupta, Nalini Kaul, Kathleen Palma, Isopropylmyristate 50% as a novel pediculicide in the treatment of head lice, Journal of the American Academy of Dermatology, 58, 2,Suppl 2, 2008, Page ab8

14 Barnett E, Palma KG, Clayton B, Ballard T, Effectiveness of isopropyl myristate/cyclomethicone D5 solution of removing cuticular hydrocarbons from human head lice (Pediculus humanus capitis), BMC Dermatol, 3, 2012, Pages 12:15

15 Uter W, Schnuch A, Geier J, Lessmann H, Isopropyl myristate recommended for aimed rather than routine patch testing, Contact Dermatitis, 50, 4, 2004, Pages 242-244

16 Tong PL, Chow ET, Isopropyl myristate contact allergy: could your moisturizer be the culprit?, Contact Dermatitis, 77, 3, 2017, Pages 184-185

17 Bharati A, King CM., Allergic contact dermatitis from isohexadecane and isopropyl myristate, Contact Dermatitis, 50, 4, 2004, Pages 256-7

18 Nguyen SH, Dang TP, Maibach HI., Comedogenicity in rabbit: some cosmetic ingredients/vehicles, Cutan Ocul Toxicol., 26, 4, 2007, Pages 287-292

19 Fulton JE Jr, Pay SR, Fulton JE, Comedogenicity of current therapeutic products, cosmetics, and ingredients in the rabbit ear, J Am Acad Dermatol., 10, 1, 1984, Pages 96-105

20 Y. Zhang, X. Y. Zhang, J. L. Chai, X. C. Cui, J. J. Lu, The phase behavior and solubilization of isopropyl myristate in microemulsions containing hexadecyl trimethyl ammonium bromide and sodium dodecyl sulfate, Journal of Molecular Liquids, 244, 2017, Pages 262-268

21 Loïc Leclercq, Véronique Nardello-Rataj, Pickering emulsions based on cyclodextrins: A smart solution for antifungal azole derivatives topical delivery, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 82, 2016, Pages 126-137

22 Tina Skale, Lena Hohl, Matthias Kraume, Anja Drews, Feasibility of w/o Pickeringemulsion ultrafiltration, Journal of Membrane Science, 535, 2017, Pages 1-9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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