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Le n°8 de Mme Sagan

> 08 août 2019

Le n°8 de Mme Sagan

On ne présente plus le n°5 de Melle Chanel. On connaît tous le n°8 de Mme Sagan, ce chiffre miraculeux qui permit à l’écrivain de devenir propriétaire d’une maison en Normandie. « Avec mon meilleur souvenir » est un livre vite écrit, vite lu, qui reconstitue à merveille l’image que Françoise Sagan aime à laisser d’elle.1 Dans sa malle aux souvenirs, on trouve pêle-mêle, les portraits de personnes disparues toujours chères à son cœur, des arrêts sur images de vacances, des lectures anciennes qui se rappellent à sa mémoire.

Françoise Sagan est une femme sensible aux parfums. Pour elle, « New-York sent l’ozone, le néon, la mer et le goudron frais [...] ». Voiture rime avec odeur de cigarettes et de cuir. Saint-Tropez, au temps de sa splendeur, avant l’invasion des touristes, est dans son jus. Les cafés y sentent « le bois, l’insecticide et la limonade. » Le soleil y est toujours « aimable » ! Une « odeur d’acacias » est associée pour toujours à une œuvre de Gide, « Les nourritures terrestres », dévorée à l’âge de... 13 ans.

Pour elle, Honfleur rime avec bains de mer... L’été 1960 est l’occasion d’acquérir une maison « au-dessus de Honfleur ». Après une folle nuit au casino et alors qu’elle s’apprête à faire l’état des lieux (comptage des petites cuillers, recherche de la cocotte-minute et vérification de l’état des sanitaires !) à 8 heures tapantes avec un propriétaire aux abois financiers, Françoise Sagan reçoit une proposition étrange. Serait-elle intéressée par un achat ? On est le 8 août, à 8 heures du matin… Sagan vient de gagner 80 000 francs, grâce au numéro 8... Croyez-vous aux coïncidences ? Non, pas vraiment. Françoise Sagan tire une poignée de billets de son sac à main de soirée dont elle n’a pas eu le temps de se séparer... La promesse de vente est actée en quelques minutes sous le ciel pommelé de Normandie.

Françoise Sagan a quelque chose de Tennessee, c’est sûr. Quelques années après avoir rencontré l’écrivain, elle se retrouve dans l’obligation de traduire une pièce de celui-ci. C’est l’histoire d’un gigolo qui trimbale, dans ses « valises Vuitton », « des crèmes, des pâtes pour le visage ».

Elle a également quelque chose de Jean-Paul Sartre. Alors qu’il est en fin de vie et a perdu la vue, elle se plait à venir déjeuner avec lui à « La Closerie des Lilas » et à lui découper sa viande avec gentillesse. « J’aimais le tenir par la main et qu’il me tînt par l’esprit. »

Mme Sagan ne manque pas de nous rappeler son goût de la vitesse et l’accident de voiture qui l’a laissée « six mois habillée à la scène comme à la ville en toute exclusivité par les bandes Velpeau. »

Faut-il attendre des conseils de maquillage de cet ouvrage de souvenirs ? Non, c’est le moins que l’on puisse dire. Si l’écrivain manie le crayon avec dextérité, lorsqu’il s’agit de noircir des pages de manuscrit, elle est nettement moins à l’aise lorsqu’il lui faut rafraichir un maquillage déliquescent. Lors de la première représentation de la pièce « Les violons parfois », Sagan a voulu mettre toutes les chances de son côté et s’est fait maquillée par un « des coiffeurs vedettes de l’époque ». Son maquillage est compliqué ; le mascara lui pique les yeux... Sagan se barbouille de rouge et de noir au fil de la soirée tant elle est stressée. Le maquillage ne tient pas. La pièce et le maquillage sont des « fours ». Dommage, en matière de maquillage il aurait fallu demander conseil au danseur Noureev, le spécialiste du maquillage de scène. Cet homme, qui ne vit que pour son art, jette « des kilos de fatigue, de sueur et de fards mêlés » dans les lits d’hôtels qui jalonnent son existence.

Enfin dernier conseil, à tous ceux qui n’arrivent pas à se glisser dans l’univers proustien, de celle qui voue au n°8 une vénération sans faille. Pour aborder l’auteur commencer par « Albertine disparue », si possible dans un grenier surchauffé d’une maison de famille dans le sud-ouest.

Dis, Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, on tente notre chance... comme Sagan ?

Bibliographie                                                                                            

1 Sagan F. Avec mon meilleur souvenir, Gallimard, 1984, 214 Pages

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