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Le masseur qui en savait trop sur les cosmétiques !

> 23 janvier 2021

Le masseur qui en savait trop sur les cosmétiques !

Imagine-t-on notre bonne vieille tante Jane (Miss Marple) aux Antilles ?1 Et bien, oui. Et c’est même son neveu, Raymond, un romancier à succès, qui a eu cette riche idée. Mais là où Miss Marple passe... l’on trépasse. Mieux vaut donc ne pas entrer en conversation avec cette charmante vieille dame. Ah si seulement le major Palgrave, un vieil homme que l’on pourrait comparer à une « grenouille portant monocle », avait été moins bavard, il serait toujours là pour se dorer au chaud soleil d’une île paradisiaque ! Le major aime à ressasser ses souvenirs, à parler crimes et assassins. Un certain mari - reconnaissable entre tous, croyez-moi - qui envoie ses femmes au paradis pour vivre pénard des rentes de celles-ci... Pour accompagner Jane Marple en vacances, prévoir des tenues légères et un bon flacon de crème solaire. Apprêtons-nous à assister à un festival de corps dénudés, « d’épaules et de corps bronzés ».

Des hôteliers tout simplement charmants

L’hôtel, le Golden Palm, est tenu par un jeune couple très attachant. Molly Kendal, une jeune femme « blonde d’une vingtaine d’années pleine de gentillesse », se met en quatre pour satisfaire le client. Molly forme, avec Tim, son aîné de 10 ans, un homme « grand, mince et brun », un fort joli couple, qui pourrait très bien poser pour les magazines touristiques. Pourtant, tout n’est pas rose pour Molly qui fait des cauchemars épouvantables, a des absences, semble proche de sombrer dans la folie ! Tant et si bien qu’un excès de somnifère la conduit aux portes de la mort. Tentative de suicide raté, semble-t-il !

Des clients qui herborisent et observent la flore, en toute simplicité

Greg et Lucky Dyson, ainsi que Edward et Evelyn Hillingdon, forment une belle paire d’amis. Venus dans les îles pour observer la faune et la flore, ils ne se contentent pas d’observer les papillons. Il semble bien que les couples soient plus ou moins interchangeables, d’où quelques tensions par moment. Evelyn, « une belle femme un peu trop hâlée », est aussi brune que Lucky est blonde... et cette blondeur-là, on en reparlera ! Le point commun des deux femmes, une vénération pour le soleil, qui les pousse, sans cesse, à augmenter les doses d’UV. Lucky passe son temps libre « allongée sur la plage ».

Un milliardaire qui houspille son personnel, en toute amitié

Mr Rafiel, un homme d’affaires richissime, a posé ses bagages dans cet hôtel de luxe. Dans ses malles, on trouve aussi une secrétaire, Mrs Esther Walters et un masseur-valet de chambre-garde malade du nom de Jackson. Mrs Walters, avec « ses cheveux de la couleur des blés mûrs », est loin d’être désagréable à regarder. Une « jolie peau », c’est indéniable, mais... un manque de charme certain. Son passe-temps favori consiste à lézarder au soleil, un peu trop d’ailleurs, au goût de son acariâtre patron. « Je vous ai emmenée ici pour travailler un peu et non pour que vous restiez continuellement assise à vous dorer au soleil et à exhiber votre anatomie. » Lorsque Miss Marple interroge Esther, au sujet du meurtre qui vient d’être commis, celle-ci se trouble, plonge la tête dans son sac, à la recherche de son bâton de rouge à lèvres. Bizarre !

Un masseur qui s’y connaît en cosmétiques, en tout professionnalisme

Lorsque Miss Marple surprend Jackson dans la salle de bains de Molly, en train d’observer attentivement « l’assortiment des crèmes de Mrs Kendal » et tout particulièrement un certain « pot de crème », celle-ci ne manque pas d’être étonnée. Jackson, imperturbable, ne se laisse pas désarçonner ; s’il est là, c’est pour rechercher le bâton de rouge à lèvres d’Esther Walters. Celle-ci l’a prêté à Molly, il y a quelque temps. Drôle d’idée, de prêter son rouge à lèvres ! Pour en rajouter une couche, Jackson se met à discourir sur le fameux produit de beauté pointé du doigt. Cette formule « sent bon » ; c’est un « excellent produit », qui se démarque des produits de la concurrence, par une excellente tolérance cutanée. Cette crème n’est pas comme certains cosmétiques qui font venir des boutons à la première application. Une fois lancé, Jackson ne s’arrête plus. Intarissable sur le sujet des cosmétiques, le masseur attitré de Mr Rafiel explique, à une Miss Marple médusée, que cette connaissance approfondie du domaine cosmétique lui vient de l’époque où il travaillait dans une pharmacie. Et une autre corde à son arc ! Incollable sur les ingrédients cosmétiques, Jackson se moque gentiment des femmes à cosmétiques : « Mettez n’importe quoi dans un pot de crème, que vous enfermez dans une boîte élégante... Ah ! C’est étonnant à quel point on peut escroquer les femmes ! » Pourtant devant le mutisme de Miss Marple, la belle assurance du masseur aux multiples talents commence à se fissurer. Quelques propos incohérents peuvent être notés. Devant une étagère pourtant bien pourvue en cosmétiques, Jackson trouve que le nombre de références est fort modeste. Ce qui est logique, vu la jeunesse de Molly. « Rien ne vaut le maquillage naturel ! » est la conclusion de l’entretien. Tout cela c’est bien joli, mais l’attitude du brillant cosmétologue est tout de même assez étrange. En sortant de la chambre, Miss Marple glisse le pot de crème « qui sent bon » dans sa poche.

Une touriste espagnole qui bronze au soleil, en toute sécurité

La senora de Caspearo n’aime rien tant que s’allonger sur la plage privée de l’hôtel. Les vertus de l’huile anti-solaire, la senora y croit dur comme fer ; elle « étendit un peu plus d’huile sur ses longues et belles jambes tout en chantonnant. » Un peu déçue de ne pas trouver à acheter son produit solaire fétiche, le « Frangipanio », à l’hôtel, la senora s’est rabattue sur un produit plus courant. Pleine de dédain pour la sœur du chanoine Prescott, la belle senora ironise sur ces dames d’âge mûre, qui se couvrent à l’excès. « Elle cache ses bras et son cou [...]. Sa peau est affreuse comme celle d’un poulet déplumé. » Ce n’est bien sûr pas le cas de la belle touriste qui s’expose sans aucune pudeur aux chauds rayons du soleil.

Et puis une histoire de médicament qui apparaît et disparaît

Lorsque le major meurt subitement, il se trouve une personne bien intentionnée pour répéter à qui veut l’entendre que le major souffrait d’hypertension. Dans sa salle de bains, on a retrouvé « du dentifrice, des comprimés digestifs (tiens drôle d’expression !), de l’aspirine et des pilules « Cascara » et aussi celles appelées « Serenite ». Pourtant, Victoria Johnson, la femme de chambre, est sûre et certaine qu’il y a quelque chose de louche là-dessous. Le major ne prenait pas de Serenite, contrairement à Greg Dyson, qui en avait six flacons en réserve. Ah, ces « petites pilules roses » vont semer le trouble et la pagaille parmi les résidents de l’hôtel. Lorsque Victoria est assassinée, le doute n’est plus permis... il y a un tueur en série dans les parages. L’autopsie du major s’impose alors. Une teneur élevée de « di-flor, hexagonalethylcarbenzol » est retrouvée dans son organisme.

Et une histoire de teinture capillaire

Miss Marple a trouvé, dans la sœur du chanoine Prescott, une compagne de bavardage hors-pair. Calées dans leur fauteuil, les deux vieilles femmes apprécient le « très joli bronzage » de Lucky et devisent, de manière, un peu perfide sur ses cheveux (« presque de la même couleur que ceux de Mrs Kendal »). Mrs Joan Prescott fait toutefois remarquer à Miss Marple que la couleur de cheveux de Molly est naturelle, alors que celle de Lucky est due à une teinture capillaire. Le chanoine, qui n’aime guère la critique, ne peut s’empêcher de désapprouver cette attitude peu chrétienne. « Ce détail peu charitable à révéler » aurait dû, selon lui, rester secret. Cette histoire de teinture va pourtant jouer un rôle primordial dans notre affaire. La belle Lucky va ainsi être assassinée, en lieu et place de la jolie Molly. Miss Marple, très observatrice, distingue des racines qui commencent à se faire jour. « La même couleur de cheveux, mais ceux de Lucky, naturellement, étaient plus sombres à la racine parce qu’elles les teignaient ».

Et une histoire de crème de beauté à la belladone

On se souvient de l’attirance de Jackson pour les produits de beauté de Molly. Il n’a pas fait un stage en officine pour rien. Les symptômes décrits par la gentille hôtelière ont mis la puce à l’oreille de ce garçon intelligent. La crème de beauté de Molly doit être saturée en belladone. « Utilisée dans la crème pour visage, cette belladonna pourrait » donner « des trous de mémoire », des cauchemars, des absences... bref tous les troubles ressentis par Molly depuis quelque temps.

Le roman, en bref

Ce roman exotique nous emmène tout droit sur un lieu de vacances, plaisant à souhait. On sentirait presque l’odeur de la crème solaire ! On y croise une flopée de personnages amusants, singuliers, intrigants. Il y a des produits de beauté empoisonnés. La grande dame du crime, fan de produits cosmétiques, a encore frappé !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Le major parlait trop, Librairie des Champs Elysées, 185 pages

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