> 19 février 2024
La composition du lis est connue et complexe comme tout végétal d’ailleurs (avec selon les parties étudiées des richesses plus ou moins importantes en saponines, stéroïdes, alcaloïdes, flavonoïdes…).1 Très utilisée par le passé en médecine traditionnelle et en cosmétologie, cette plante est un peu négligée de l’industrie, à l’heure actuelle. Elle est, en effet, peu retrouvée dans les produits du commerce et ce pour la bonne raison que très peu étudiée quant à ses propriétés cosmétiques. Les publications sont rares. Et pourtant, cette fleur, à la fois symbole de pureté et de la royauté, a été exploitée à fond du point de vue littéraire avec toutes ces héroïnes au teint de lis (ou lys comme on préfère)… Petit histoire du lys blanc, qui nous dit-on efface les cernes noirs !
Dans l’évangile de Saint Matthieu, le lis des champs est comme les oiseaux du ciel ; pendant que les oiseaux vivent « sans semailles ni moissons », les lis « poussent sans travailler ni filer », tenant leur beauté et leur parfum du don de Dieu.2 Une plante qui vit de sa beauté et donc semble totalement inutile !
Une plante à parfum, pourtant… qui donne, toutefois, du fil à retordre aux parfumeurs, qui doivent s’armer de patience pour extraire les molécules parfumées. Piesse enrage en constatant la longueur de la manip qui lui permet d’obtenir un « extrait de lis » bon à utiliser. « Si on jette des lis dans de l’huile d’amandes douces ou dans l’huile d’olive, ils lui communiqueront leur douce odeur ; mais pour obtenir le moindre résultat, il faut répéter l’infusion une douzaine de fois avec la même huile, en se servant à chaque fois de fleurs nouvelles, après les avoir laissées au moins un jour. L’huile agitée pendant une semaine avec une égale quantité d’alcool lui cède son odeur et l’on peut faire ainsi de l’extrait de lis. » Ouf… On croyait que ça n’en finirait jamais… Le parfumeur pressé n’aura pas le temps de voir pousser le lis des champs, de voir macérer le lis des champs, il prendra la tangente et concoctera dans son laboratoire un substitut de lis qui lui fera gagner du temps.3 Et René Cerbelaud de rebondir, en nous proposant des ersatz, associant différents ingrédients comme la vanilline, le musc, l’essence d’ylang-ylang, le linalol, l’ionone, l’ambrette… avec une touche de « lys » synthétique (« mélange dont la composition nous est inconnue ») !4 Nous voilà bien avancé !
Le lis permet la réalisation de différentes préparations. Au XVIe siècle, le lis, au même titre que d’autres fleurs blanches,5 est mélangé à de la mie de pain et à de la céruse, afin de mettre au point une lotion destinée à obtenir une face « belle et blanche », après une étape de distillation et de chauffage, sous les rayons du soleil ! Un lavage matin et soir (sans rincer bien sûr) est conseillé, afin d’obtenir la carnation rêvée.6
Le bulbe (et son amidon) permet la réalisation d’une poudre pour le visage. Le parfumeur Violet met ainsi sur le marché, au début du XIXe siècle, une poudre de lys de Kachemyr, destinée à blanchir et velouter le teint. Paul Devaux, qui classe le « lys » dans les parfums suaves, entre la rose et le jasmin, entre autres, semble apprécier cette plante multi-usage, susceptible d’être incorporée dans des crèmes, des lotions ou des poudres.7
Chez Aromazone, dans la pure tradition, le macérat huileux de lis est obtenu par macération de fleurs de lis dans de l’huile de tournesol. L’ingrédient est présenté comme un agent éclaircissant et apaisant.8
Un passé très ancien, puisqu’Avicenne, entre autres, le considère comme l’allié des blessures, des inflammations, des érythèmes, du fait d’un caractère à la fois analgésique et anti-inflammatoire.9
Pour les formulaires médicaux anciens, le lis blanc (ou Lis des seins, ou Lis Saint-Antoine, ou Lilium candidum ou Lilium album) est employé pour ses fleurs ou pour ses bulbes, selon l’indication. Les bulbes ou oignons de lys font l’objet d’une cuisson, « sous la cendre ou à la vapeur », afin d’obtenir une préparation susceptible d’être utilisée en cataplasme, à titre d’émollient et de « maturatif » ! Les fleurs, mises à macérer dans une huile végétale, permettent, quant à elle, de réaliser un topique auriculaire, à effet antalgique. L’hydrolat, enfin, semble adapté pour les lavages oculaires.10,11
La peau, les yeux, les oreilles, mais aussi les dents, avec un effet curatif sur les « fluxions dentaires » ; l’idée est de faire bouillir un mélange de lys (fleurs ou racines), de vin, d’huile et de sel. On applique ensuite, le végétal, « tout chaud », sur la zone douloureuse.12
Dans le même esprit, on a gardé le souvenir, dans beaucoup de familles, de ces fleurs et feuilles de lys conservées, au début du XXe siècle, dans un flacon d’eau de vie et toujours à portée de main. En cas de blessures, on appliquait, sur la plaie, le végétal imprégné d’alcool et on réalisait ensuite un pansement protecteur et occlusif.13
L’inventaire européen classe ainsi les extraits de bulbe et de fleur de lis,14,15 ainsi que l’eau de lis,16 dans la catégorie des ingrédients à effet « conditionneur cutané », catégorie un peu fourre-tout !
On déplore toutefois une bibliographie très mince concernant ces ingrédients.
Une publication de 2013 met en avant (mais prudemment !) l’efficacité d’une crème, composée de différents extraits végétaux (Pfaffia paniculata, Ptychopetalum olacoides et Lilium candidum), en matière de lutte contre les cernes péri-orbitaires.17 Elle fait suite à une première publication montrant l’intérêt de cette association de plantes (utilisée à 5 % dans un sérum), en matière de réduction de la couleur sombre des cernes (du moins la vingtaine de volontaires recrutés pour l’essai en sont-ils satisfaits), mise en lien expérimentalement avec des effets antioxydant et anti-inflammatoire démontrés.18
Une publication de 2016 présente certaines molécules isolées du lis (kaempférol, jatrophame) comme des ingrédients génoprotecteurs vis-à-vis du stress environnemental, occasionné sur des cellules végétales (orge) ou humaines (lymphocytes).19
Le lis ou le lys est une fleur éminemment symbolique, retrouvée sur de nombreux tableaux et associée, bien souvent, à l’image de saints, comme Saint Joseph ou Saint Antoine. Cette fleur, à la robe pleine de pureté, est gage depuis des siècles, de manière totalement empirique, d’un teint virginal… Qui veut afficher un teint sans ombre au visage use de lotion ou de crème à base de lis. Voilà pour le passé. Partant de cet emploi ancestral, certaines sociétés surfent sur la vague de la tradition et s’échoue sur le rivage des convictions scientifiques. Les preuves de l’effet éclaircissant des extraits de lis ne sont pas légion. Et en plus, le lis n’est pas incorporé seul dans les rares formules étudiées. Il est accompagné de deux autres extraits végétaux, du ginseng brésilien et du muira puama… Bref, difficile d’y voir clair dans cette histoire de cernes ! Pour exploiter cosmétiquement parlant le lis, il reste du pain - blanc - sur la planche !
L’illustration du jour correspond à un tableau exposé au musée des Beaux-Arts de Rennes : Les enfants Habert de Montmor peint par Philippe de Champaigne en 1649. Sur le tableau dont nous précisons des détails, sont présentés les sept enfants de « l’érudit et homme de lettres Henri Louis Habert de Montmor et d’Henriette de Buade de Fontenac ». C’est la seule fille de la fratrie qui est représentée ici avec, à la main, « des fleurs de lys et un citron, respectivement symboles de pureté et de richesse ».
1 Pengyu Wang, Jian Li, Fatma Alzahra, K. Attia, Wenyi Kang, Jinfeng Wei, Zhenhua Liu, Changqin Li, A critical review on chemical constituents and pharmacological effects of Lilium, Food Science and Human Wellness, 8,4, 2019, 330 - 336
2 http://agora.qc.ca/documents/Liseron_grand--Voyez_les_lis_des_champs
3 Piesse S., Histoire des parfums, Paris, Baillière et fils, 1890, 371 pages
4 Cerbelaud R., Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Paris, 1912, 1190 pages
5 https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?intro=cosmeto
6 Couteau C., Coiffard L., Beauté mon beau souci, Edilivre, 2015, 286 pages
7 Devaux P., Les auxiliaires de la beauté, 1887, Paris, 89 pages
8 https://www.aroma-zone.com/info/fiche-technique/macerat-huileux-lys-bio-aroma-zone
9 Rasoulinezhad S, Yekta NH, Fallah E. Promising pain-relieving activity of an ancient Persian remedy (mixture of white Lily in sesame oil) in patients with chronic low back pain. J Family Med Prim Care. 2019 Feb;8(2):634-639
10 Dorvault F., L'Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages
11 Gilbert A. et Yvon P., Formulaire de thérapeutique et de pharmacologie, 17e édition, 1928, Doin, Paris, 828 pages
12 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1981_num_69_250_2114
13 https://www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_1976_num_4_1_990
14 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57181
15 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57182
16 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57183
17 Alsaad SM, Mikhail M. Periocular hyperpigmentation: a review of etiology and current treatment options. J Drugs Dermatol. 2013 Feb;12(2):154-7
18 Eberlin S, Del Carmen Velazquez Pereda M, de Campos Dieamant G, Nogueira C, Werka RM, de Souza Queiroz ML. Effects of a Brazilian herbal compound as a cosmetic eyecare for periorbital hyperchromia ("dark circles"). J Cosmet Dermatol. 2009 Jun;8(2):127-35
19 Jovtchev G, Gateva S, Stankov A. Lilium compounds kaempferol and jatropham can modulate cytotoxic and genotoxic effects of radiomimetic zeocin in plants and human lymphocytes In vitro. Environ Toxicol. 2016 Jun;31(6):751-64
Retour aux regards