> 15 février 2019
Le linalol ou 3,7-diméthyl octa-1,6-diène-3-ol est un alcool terpénique qui stresse les dermatologues et détresse les animaux de laboratoire.1 Cet ingrédient parfumant qui irrite les allergologues prévient l’inflammation sur modèle animal et fait rêver d’anti-inflammatoires nouvelle génération, « à odeur de propre ».2 Le linalol, extrêmement abondant dans la nature, est également très présent dans les cosmétiques, trop présent diront certains. C’est donc dans une odeur doucement florale que nous allons butiner les informations concernant cette molécule parfumante.
Les applications pour téléphones portables se multiplient et apportent aux consommateurs des informations trop souvent erronées et ce en particulier en ce qui concerne les ingrédients désignés sous le nom de « perturbateurs endocriniens ». Un grand nombre de matières premières pointées du doigt le sont malheureusement de façon abusive. Si nous ne goûtons guère ce type d’applications on peut toutefois leur reconnaître une utilité à destination des sujets atopiques qui repèrent de cette façon aisément les allergènes à déclaration obligatoire. Une équipe de dermatologues de Copenhague assistée de 157 154 consommateurs a ainsi pu passer au crible 8727 produits cosmétiques (produits d’hygiène, produits capillaires, de maquillage, de soin, parfums) commercialisés sur le marché danois. Soixante-six pour cent de ceux-ci comportaient au moins l’un des 26 allergènes à déclaration obligatoire dans sa liste INCI et/ou la mention « parfum », « arome » ou « fragrance ». Trente-quatre pour cent des produits parfumés ne comportaient pas d’allergènes à déclaration obligatoire. Six pour cent, en revanche, n’affichaient pas la mention « parfum », « arome » ou « fragrance » mais comportaient tout de même dans leur composition du limonène (dans 78 % des cas), du linalol (dans 63 % des cas), du géraniol (dans 35 % des cas) et du citral (dans 31 % des cas). En moyenne, tous produits confondus, le nombre d’allergènes est de 3,2 par produit. Les cosmétiques contenant le plus d’allergènes sont les parfums (6,8 en moyenne), les déodorants (5,4 en moyenne) ; ceux en contenant le moins (0,9 en moyenne) sont les produits d’hygiène bucco-dentaire (dentifrices et bains de bouche). Les deux allergènes les mieux représentés sont le linalol (49,5 %) et le limonène (48,5 %).3 Le même constat avait été fait quelques années plus tôt par des chercheurs allemands qui avaient compilé les informations concernant environ 5000 produits du commerce.4 On peut donc, raisonnablement, penser qu’il en est de même en France.
En imitant Gabriel, qui s’interroge sur un quai de gare de la provenance d’odeurs douteuses,5 nous nous posons, aujourd’hui, la question, de la senteur spécifique du linalol. Il n’y a, en réalité, pas un linalol, mais deux énantiomères de linalol (les formes R et S). Ces deux molécules qui peuvent se regarder sans sourciller dans un miroir, possèdent un profil olfactif différent. Le (S)-linalol possède un parfum doux, floral, herbacé et semblable à celui du petit-grain avec des notes fruitées d'agrumes ; le (R)-linalol développe un arôme boisé rappelant la lavande. Le nez humain ne détecte pas les deux énantiomères de la même façon, la forme R est détectée dès 0,8 ppb, alors qu’il faut atteindre une concentration de 7,4 ppb pour apprécier les senteurs de la forme S.6
Le linalol est largement retrouvé dans la nature, puisqu’il entre à 70 % dans la composition des parfums floraux. Il joue un rôle important dans la pollinisation, en attirant les insectes pollinisateurs. On le retrouve, en particulier, dans les plantes de la famille des Labiées, des Lauracées et des Apiacées. Les huiles essentielles en renferment des proportions variables. Celles obtenues à partir des graines et des méricarpes de coriandre renferment des teneurs élevées en linalol (teneurs respectives de 66 % et de 79 %). Les huiles essentielles obtenues par distillation à la vapeur d’eau des parties aériennes d’origan, de thym, de basilic, d’hysope (teneurs respectives de 8, 12, 18 et 51 %), de feuilles de camphrier, de bigaradier et de verveine (teneurs respectives de 12, 17 et 53 %) et du fruit du myrte (teneur de 19 %) constituent autant de sources de linalol. Ces valeurs sont données à titre indicatif dans la mesure où de nombreux facteurs entrent en ligne de compte dans leur obtention (parties de la plante utilisée, saison, climat, facteurs environnementaux…).
La lavande constitue également une source importante de linalol. La teneur dans l’huile essentielle est généralement comprise entre 30 et 50 %.7 Pour François Dorvault, l’huile essentielle de lavande vraie (Lavandula vera) française est la plus estimée.8 Pour Septime Piesse, c’est l’huile essentielle de lavande vraie cultivée en Angleterre qui constitue la matière première de choix. Elle donne, nous dit-il, « une huile essentielle bien supérieure à celle qu’on en tire dans les pays où elle pousse naturellement.9
Parmi les différents genres de végétaux permettant d’obtenir du bois de rose, on citera Ocotea caudata qui « donne une huile essentielle dite de linalol ».8 Au Brésil, on trouve également une plante, désignée sous le nom de bois de rose (Aniba rosaeodora) dont la teneur en linalol est proche de 90 % ; elle est utilisée en médecine traditionnelle en tant que sédatif, anticonvulsivant et antidépresseur.10
Afin d’assurer la conservation des produits cosmétiques en utilisant uniquement des huiles essentielles, il faudrait en employer des quantités importantes, incompatibles avec une bonne tolérance cutanée. En enrichissant certaines huiles essentielles (thym, genévrier, géranium…) en linalol, on observe des phénomènes de synergie qui permettent d’augmenter leur effet antimicrobien.11 Dans le domaine de l’aseptisation de la peau, il peut être intéressant d’associer un antiseptique connu tel que le digluconate de chlorhexidine et de l’huile essentielle de lavande.12 Donner son sang dans une douce ambiance de lavande est tout de même plus sympathique que de le faire dans une odeur « d’hôpital » !
Si le linalol est la molécule parfumante la plus fréquemment retrouvée dans les cosmétiques, c’est sa forme oxydée qui est susceptible d’engendrer des phénomènes d’allergies chez le plus grand nombre de sujets.13 Décidemment, le linalol est N°1 dans tous les domaines !
Le linalol et le limonène sont des ingrédients considérés comme des pré-haptènes dans la mesure où leur oxydation par l’oxygène de l’air avec formation d’hydroperoxydes (7‐hydroperoxy‐3,7‐diméthylocta‐1,5‐diène‐3‐ol (hydroperoxide majoritaire), 6‐hydroperoxy‐3,7‐diméthylocta‐1,7‐diène‐3‐ol, (hydroperoxyde minoritaire)14 potentialise leur effet allergisant. Cette notion est importante à prendre en compte lorsque l’on souhaite connaître la réaction d’un patient vis-à-vis de ces ingrédients. La dose doit être calculée avec soin au risque de créer une irritation. On préférera tester les hydroperoxydes de linalol (1 % dans la vaseline) et de limonène (0,3 % dans la vaseline), plutôt que le linalol ou le limonène. Une étude espagnole fait état d’un taux de sensibilisation à l’hydroperoxyde de linalool de 4,9 % sur un échantillon 3639 patients.15 Ce chiffre est un peu plus faible que celui obtenu (6,9 %) sur un échantillon de 2900 sujets souffrant de dermatites et provenant de 6 pays différents (Australie, Danemark, Singapour, Espagne, Suède et Royaume-Uni).16 Aux Etats-Unis, on note un pourcentage de 5,9 % de réactions positives aux hydroperoxydes de linalol.17
Information rassurante, il semblerait que les cosmétiques et les parfums en particulier ne renferment que peu ou pas d’hydroperoxydes ou de dérivés oxydés de linalol contrairement à certaines huiles essentielles. Il conviendra donc, dans le souci du consommateur, de choisir les matières premières avec soin de façon à minimiser les risques d’allergies.18 Ce ne doit pas toujours être le cas comme en témoigne des publications démontrant la présence de dérivés oxydés de linalol dans des cosmétiques.19
Information moins rassurante, certains cosmétiques innovants, en associant effet occlusif et formule renfermant des molécules sensibilisantes, majorent le risque de réactions allergiques. C’est le cas décrit dans la littérature avec une chaussette exfoliante renfermant de l’acide glycolique et du linalol oxydé.20
Le linalol (nom INCI : Linalool ; CAS : 78-70-6 ; EC : 201-134-4),21 répertorié au niveau de l’inventaire européen comme un agent déodorant et parfumant, semble jouer un rôle indispensable dans les cosmétiques. Partageant la vedette avec le limonène, il est à l’origine de nombreux cas d’allergies et est considéré d’un œil sévère par les dermatologues et d’un œil plein de tendresse par les parfumeurs et par les chercheurs du monde entier qui tentent de lui trouver de nombreuses applications médicales. A chacun son linalol et tout le monde sera bien parfumé !
1 Yamamoto N, Fujiwara S, Saito-Iizumi K, Kamei A, Shinozaki F, Watanabe Y, Abe K, Nakamura A., Effects of inhaled (S)-linalool on hypothalamic gene expression in rats under restraint stress, Biosci Biotechnol Biochem., 2013, 77, 12, Pages 2413-2418
2 Huo M, Cui X, Xue J, Chi G, Gao R, Deng X, Guan S, Wei J, Soromou LW, Feng H, Wang DJ, Anti-inflammatory effects of linalool in RAW 264.7 macrophages and lipopolysaccharide-induced lung injury model, Surg Res., 2013, 180, 1, e47-54
3 Bennike NH, Oturai NB, Müller S, Kirkeby CS, Jørgensen C, Christensen AB, Zachariae C, Johansen JD, Fragrance contact allergens in 5588 cosmetic products identified through a novel smartphone application, J Eur Acad Dermatol Venereol., 2018, 32, 1, Pages 79-85
4 Uter W, Yazar K, Kratz EM, Mildau G, Lidén C., Coupled exposure to ingredients of cosmetic products: I. Fragrances, Contact Dermatitis., 2013, 69, 6, Pages 335-41
6 Pragadheesh VS, Chanotiya CS, Rastogi S, Shasany AK, Scent from Jasminum grandiflorum flowers: Investigation of the change in linalool enantiomers at various developmental stages using chemical and molecular methods., Phytochemistry, 2017, 140, Pages 83-94
7 Pereira I, Severino P, Santos AC, Silva AM, Souto EB, Linalool bioactive properties and potential applicability in drug delivery systems., Colloids Surf B Biointerfaces, 2018, 1, 171, Pages 566-578
8 Dorvault F., L'Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages
9 Piesse S., Histoire des parfums, Baillière, Paris, 371 pages
10 Dos Santos ÉRQ, Maia CSF, Fontes Junior EA, Melo AS, Pinheiro BG, Maia JGS., Linalool-rich essentialoils from the Amazon display antidepressant-type effect in rodents., J Ethnopharmacol., 2018, 15, 212, Pages 43-49
11 Herman A, Tambor K, Herman A, Linalool Affects the Antimicrobial Efficacy of Essential Oils, Curr Microbiol., 2016, 72, 2, Pages 165-172
12 Alabdullatif M, Boujezza I, Mekni M, Taha M, Kumaran D, Yi QL, Landoulsi A, Ramirez-Arcos S, Enhancing blood donor skin disinfection using natural oils, Transfusion., 2017,, 57, 12, Pages 2920-2927
13 Bennike NH, Zachariae C, Johansen JD, Non-mix fragrances are top sensitizers in consecutive dermatitis patients - a cross-sectional study of the 26 EU-labelled fragrance allergens, Contact Dermatitis., 2017, 77, 5, Pages 270-279
14 Bråred Christensson J, Andersen KE, Bruze M, Johansen JD, Garcia-Bravo B, Gimenez Arnau A, Goh CL, Nixon R, White IR, Air-oxidized linalool: a frequent cause of fragrance contact allergy, Contact Dermatitis., 2012, 67, 5, Pages 247-259
15 Deza G, García-Bravo B, Silvestre JF, Pastor-Nieto MA, González-Pérez R, Heras-Mendaza F, Mercader P, Fernández-Redondo V, Niklasson B, Giménez-Arnau AM ; GEIDAC., Contact sensitization to limonene and linalool hydroperoxides in Spain: a GEIDAC* prospective study, Contact Dermatitis., 2017, 76, 2, Pages 74-80
16 Bråred Christensson J, Karlberg AT, Andersen KE, Bruze M, Johansen JD, Garcia-Bravo B, Giménez Arnau A, Goh CL, Nixon R, White IR, Oxidized limonene and oxidized linalool - concomitant contact allergy to common fragrance terpenes, 2016, 74, 5, Pages 273-80
17 Audrain H, Kenward C, Lovell CR, Green C, Ormerod AD, Sansom J, Chowdhury MM, Cooper SM, Johnston GA, Wilkinson M, King C, Stone N, Horne HL, Holden CR, Wakelin S, Buckley DA., Br J Dermatol., Allergy to oxidized limonene and linalool is frequent in the U.K, 2014, 171, 2, Pages 292-297
18 Kern S, Dkhil H, Hendarsa P, Ellis G, Natsch A., Detection of potentially skin sensitizing hydroperoxides of linalool in fragranced products, Anal Bioanal Chem., 201, 406, 25, Pages 6165-6178
19 Elliott JF, Ramzy A, Nilsson U, Moffat W, Suzuki K, Severe intractable eyelid dermatitis probably caused by exposure to hydroperoxides of linalool in a heavily fragranced shampoo, Contact Dermatitis., 2017, 76, 2, 114-115
20 Millelid R, Isaksson M, Allergic contact dermatitis caused by exfoliating socks,Contact Dermatitis., 2017, 76, 1, Pages 59-60
21 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=35016
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